Comme je l'écrivais dans mon précédent billet consacré à ma conférence sur le poids des impôts, le gouvernement semble avoir abandonné définitivement l'idée d'un Grand soir fiscal au profit de rustines destinées à calmer le "ras-le-bol fiscal", devenu "haut-le-cœur" fiscal sous Valls. Quitte pour cela à oublier l'impératif d'équité fiscale qu'il portait en étendard... Dans ce billet, nous reviendrons ainsi sur une mesure phare : la suppression d'une tranche de l'impôt sur le revenu.
Le consentement à l'impôt
En dehors des incendies qui visent les centres des finances publiques, il semble que le problème soit devenu bien plus grave puisque c'est le consentement même à l'impôt qui s'effrite actuellement.
Or, c'est précisément pour s'opposer au pouvoir absolu du souverain en matière fiscale, que les révolutionnaires avaient fait inscrire le principe du consentement à l'impôt dans l’article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée".
En conséquence, pour tenter de réconcilier les Français avec l'impôt, le gouvernement a choisi de supprimer une tranche de l'impôt sur le revenu.
Comment fonctionne l'impôt sur le revenu ?
L'impôt sur le revenu est un impôt progressif avec tranches, c'est-à-dire que le taux d’imposition augmente avec la base d’imposition. Pour le dire autrement, le taux est plus élevé pour les plus riches et moins élevé pour les plus modestes.
En 2014, les tranches étaient les suivantes :
[ Source : DGFIP ]
Prenons un exemple. Si un ménage déclare 21 000 euros à l'impôt sur le revenu, le calcul sera le suivant :
* 0 % d'impôt sur les revenus inférieurs à 6 011 €
* 5,5 % d'impôt sur les revenus compris entre 6 011 et 11 991 euros (la première tranche)
* 14 % sur les revenus compris entre 11 991 et 21 000 (la deuxième tranche)
Petite subtilité : le barème vu ci-dessus présente les revenus par tranche et par part fiscale. Dans le cas d'un ménage avec deux enfants, qui compte fiscalement pour 3 parts, les 21 000 euros déclarés seront imposés sur 21 000/3 = 7 000 euros par part fiscale, donc à 0 % sur les premiers 6 011 € et à 5,5 % pour les 7 000 - 6 011 = 989 € suivants (soit 5,5 % x 989 = 54,39 €). L'impôt total dû sera alors de 3 x 54,39 = 163,20 euros. Il existe encore d'autres subtilités fiscales, mais pour notre propos nous pouvons nous contenter de cela.
Quelle était la répartition de l'impôt sur le revenu en 2013 ?
L'infographie suivante donne la réponse :
[ Source : Le Monde ]
Que va changer la suppression d'une tranche de l'IR ?
Il s'agit donc de supprimer la tranche à 5,5 %. En pratique, cela signifie que les foyers fiscaux paieront des impôts lorsque leurs revenus dépasseront le seuil de la tranche à 14 %, soit 26 631 euros en 2014. Mais le problème est que cette mesure bénéficiera également aussi aux foyers les plus riches pour la fraction de leurs revenus compris dans cette tranche.
Pour éviter cela et cibler les célèbres et introuvables classes moyennes, le gouvernement va devoir mettre en place une usine à gaz comportant notamment une baisse du seuil d’entrée dans la deuxième tranche, actuellement fixé à 11 991 euros, et un renforcement de la décote. Pour le dire simplement, il faudra que les plombiers de Bercy révisent judicieusement les seuils de chaque tranche afin que les ménages entrent plus tôt dans la tranche à 14 %, et que la mesure ne profite pas aux hauts revenus...
[ Source : France Bleu ]
Est-ce une bonne nouvelle ?
Rappelons que cette idée avait déjà été proposée par Nicolas Sarkozy en 2009, puis abandonnée en raison de son coût. En effet, Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget, évoquait 6 millions de foyers fiscaux concernés ; si l'on y ajoute les mesures prises cette année, ce sont 9 millions de foyers fiscaux qui seront concernés par les baisses d'impôt l'année prochaine, pour un coût estimé à 3,3 milliards d'euros. Officiellement, cette mesure sera financée par les économies prévues dans le cadre du pacte de responsabilité. Le lecteur remarquera au passage que le pacte de responsabilité est invoqué comme viatique pour presque toutes les questions fiscales.
Mais au-delà de l'aspect rendement de l'impôt, c'est aussi la question primordiale de l'équité fiscale qui est soulevée puisque la suppression de la première tranche va mécaniquement faire baisser le nombre de contribuables qui payent l'impôt. Or, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 dispose que "pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés".
Mais comment répondre à ce principe cardinal d'équité fiscale alors que le gouvernement ne cesse de faire diminuer la part des foyers imposés (seulement 48,5 % en 2014 contre 53 % en 2013) ?
[ Source : Les Échos ]
Comme de plus les finances publiques sont dans un mauvais état et que les mesures d'austérité se poursuivent, il y a fort à craindre que cela conduira à concentrer l'impôt sur le revenu sur un nombre toujours plus faible de contribuables, au risque de provoquer un effritement encore plus rapide du consentement à l'impôt... A moins que le gouvernement ne décide de récupérer ce qu'il a donné du côté de l'impôt direct par une hausse des impôts indirects : n'a-t-on pas entendu une rumeur de hausse de la TVA justement ?
En définitive, il y a quelque chose de paradoxal et de profondément incohérent dans l'idée de supprimer une tranche de l'impôt sur le revenu. En effet, au moment où le consentement à l'impôt se délite et où la recherche de l'équité fiscale commanderait de faire contribuer chaque ménage même symboliquement à l'impôt, le gouvernement choisit de réduire l'assiette fiscale et donc de se priver de ressources indispensables à la bonne marche de l'État ! Mais les choses peuvent encore changer, car il semble que la Commission européenne ait imposé à la France de revoir son budget 2015 pour y ajouter encore plus de rigueur...
N.B : l'image de ce billet provient de ce blog