Magazine France

L'élève chinois va dépasser le maître nippon

Publié le 23 mai 2008 par Roman Bernard

Crédit photo: China Guccio / FlickR

Par commodité, j'utilise aujourd'hui un ordinateur chinois dans un cybercafé. Je rentre d'une excursion dans la ville de Suzhou et n'ai pas le temps d'utiliser un ordinateur francais. Cet écart, source d'une facheuse omission des accents, sera réparé demain avec la mise en ligne de mes premieres photos, moins nombreuses et belles que je l'eusse voulu (pas de flamme olympique notamment).
Malgré la confirmation, lors de mes entretiens, du ressentiment tenace des Chinois à l'égard de leurs anciens dominateurs japonais, l'observation du développement de Shanghai m'inspire une profonde reflexion qui convoque ensemble l'histoire et la prospective : la Chine est en train de reproduire sciemment, en plus grand, en plus fort et en plus rapide, ce que le Japon a fait à partir de la fin du XIXe siecle jusqu'aux années 1980. Dans ce qu'il a été convenu d'appeler l'ère Meiji, du nom posthume de l'empereur Mitsuhito (1868-1912), le Japon a imité l'Occident, au faite de sa puissance à l'époque, pour accéder a son niveau de développement et pouvoir le concurrencer.
Le douloureux épisode de la Seconde guerre mondiale, qui a laissé l'archipel vaincu, humilié et meurtri, n'a pas empêché, comme en Allemagne de l'Ouest, la spectaculaire résurgence de l'après-guerre. Dans un mouvement long d'un siècle, le Japon est ainsi devenu la deuxième puissance économique mondiale, allant jusqu'a provoquer une vague de nippophobie dans les Etats-Unis des années 1970-1980, incapables de concurrencer l'industrie de pointe japonaise, alors la plus sophistiquée du monde.
Comme dans la Chine actuelle, le développement du Japon a consisté en l'application, souvent au moyen déloyal de l'espionnage industriel, des recettes occidentales. Toutefois, en dépit de son Produit interieur brut (PIB), le deuxième du monde, loin derrière les Etats-Unis mais loin aussi devant l'Allemagne, le Japon a echoué dans sa quête d'hégémonie mondiale, que l'abandon du militarisme et de l'expansionnisme consécutif a Hiroshima avait transposé du plan militaire au plan économique.
A partir de la fin des années 1980, et plus encore au cours des années 1990 et 2000, le développement du Japon s'est ralenti, se heurtant a l'exiguité de l'archipel et au vieillissement de la population, lequel va provoquer une catastrophique décroissance démographique au cours des prochaines décennies.
La Chine, qui dispose d'un territoire autrement plus vaste que celui du Japon (mais moins stratégiquement situé cependant), ne devrait pas connaître - du moins pas autant que son rival nippon - le problème de la décroissance démographique. D'abord parce que la politique de l'enfant unique n'a commencé qu'en 1978. Elle ne concerne donc que les aines des familles qui ont eu leur premier enfant il y a trente ans. Elle rencontre aussi, comme on le sait, la résistance des populations rurales, majoritaires dans le pays. Selon les diverses projections démographiques, la population chinoise devrait culminer a 1,6 milliard d'individus au milieu de ce siècle, ce qui est sans commune mesure avec les 120 millions de Japonais, qui ne seront plus que 80 millions au même moment.
Il n'y a donc pas, à priori, de raison valable pour que la puissance chinoise se limite à l'échelle continentale, et qu'elle ne puisse concurrencer celle, que certains disent déclinante, des Etats-Unis. Comme pour le Japon, il manque néanmoins a la puissance chinoise l'attribut culturel pour qu'elle puisse égaler puis supplanter celle de l'Amérique. L'influence culturelle de la Chine est quasi-nulle à l'échelle mondiale. Son ouverture au monde, pour l'instant, a consisté à reproduire au plan culturel ce que l'Occident a de plus mauvais : égotisme et consumérisme. Une imitation dont on voit aujourd'hui les effets désastreux au Japon, déboussole et sans réelle perspective.
On peut cependant douter que les dirigeants chinois, dont le controle sur la population est absolu, la laisseront dériver comme l'ont fait au Japon leurs homologues nippons, forcés en 1945 par les Etats-Unis d'adopter une démocratie libérale vraisemblablement inadaptée au contexte nippon. L'autocratie chinoise, qui jouit dans la population d'une profonde légitimité, sera plus à même d'éviter la reproduction de la décadence occidentale que le Japon n'a pu conjurer. Il est en outre douteux que la Chine se contente de la puissance économique à l'avenir. Contrairement au Japon, elle dispose d'une puissante armée, probablement la deuxième ou la troisième plus forte du monde.
Au contraire du Japon egalement, elle représente pour les pays du Tiers-Monde un modèle de développement alternatif. Malgré les critiques que la communauté occidentale qui se prétend internationale lui adresse régulièrement, il est probable que le modèle chinois va faire des émules partout dans le monde en développement, notamment en Afrique noire ou la Chine est en train de batir un empire économique et bientôt, peut-être, politique et culturel. Une montee en puissance totale qui représente un véritable défi pour les Etats-Unis, et le monde occidental qu'ils dominent avec eux. Il serait judicieux que la reponse à ce défi, en Occident, passe par une remise en cause de ses propres valeurs, et non un denigrement systématique de celles de la Chine, différentes des siennes mais non moins respectables.
Roman Bernard


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Roman Bernard 428 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte