d'après EN WAGON de Maupassant
En cette fin de matinée-là,
Trois dames discutaient.
Sur un banc du parc de Royat,
Les vacances scolaires commençaient.
Et une grave affaire les tourmentait.
Il s’agissait
De faire venir à Royat leurs fils,
Pensionnaires à Paris chez les Dominicains.
Ces dames n’avaient aucune envie
De faire un long voyage en train
Pour aller chercher leurs jeunes enfants
Et elles ne connaissaient personne pouvant
Se charger de cette mission.
Leur embarras augmentait du fait
Qu’un horrible crime sexuel
Venait de se produire dans un wagon
Du Paris-Vichy. (Durant les mois d’été,
C’est bien connu, des femmes indignes,
Empruntent, pour raison professionnelle,
Cette maudite ligne.)
Alors, que faire pour leurs enfants ?
Il était hors de question
Que Roger Besson,
Âgé de quinze ans,
Gontran de Mirepoux, treize ans,
Et Roland de Linière, onze ans
Tous trois fils d’honnêtes bourgeois
Puissent, dans leur compartiment,
Être au contact de ces filles de joie.
La situation semblait sans issue
Quand leur amie, Mme Delarue,
Rejoignait les trois mères dans l’embarras :
-« Mais…je vais vous prêter l’abbé Duprat
Je peux m’en passer pour une si courte durée.
L’éducation de ma petite Andrée
N’en sera pas compromise pour autant.
Il ira, si vous voulez, chercher vos enfants. »
Il fut convenu que l’abbé,
Un jeune prêtre fort instruit,
Précepteur de la jeune Andrée,
Partirait samedi
Pour récupérer les trois gamins
Dimanche matin.
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L’esprit hanté
Par toutes les recommandations
Des dames Mirepoux, Linière et Besson,
L’abbé arpentait le quai,
Suivi des trois collégiens,
Telle une poule et ses poussins,
En quête d’un compartiment
Qui ne serait occupé
Que par deux ou trois voyageurs présentant
Le respectable aspect désiré.
La petite troupe prit finalement place
À côté d’une vieille dame au port altier
Et en face
D’une jeune femme distinguée.
Lors de la réunion dans le parc de Royat,
Il avait été aussi convenu
Que Mme Delarue
Autorisait l’abbé Duprat
À donner quelques répétitions
Aux trois garçons.
L’ecclésiastique voulut profiter
De ce long trajet en train
Pour sonder
Les caractères de chacun
Des trois enfants :
Roger parlait lentement.
Gontran de Mirepoux
Se moquait de tout.
Et Roland avait l’air d’un crétin.
Il ne s’intéressait à rien.
Ensuite, l’abbé les a informés
Sur la méthode qu’il emploierait.
Mais son discours fut interrompu
Par un petit cri aigu
Lancé par la jeune voisine, assise en face d’eux.
Ses joues étaient devenues pâles et ses yeux
Demeuraient fixes. Puis elle jeta
Un nouveau cri, un ’’ah !’’
Comme si elle souffrait.
-« Vous sentez-vous indisposée ? »
Demanda l’abbé. -« Non, ce n’est rien.
Les trépidations du train.
C’est tout. »
-« Si je puis faire quelque chose pour vous… »
-« Oh ! Non, M. l’abbé, je vous remercie. »
Le prêtre reprit sa causerie,
Préparant les trois enfants
À son prochain enseignement.
Une heure après,
La jeune voyageuse s’allongeait.
Crispée, elle répéta : -« Oh ! Mon Dieu !
Oh ! Mon Dieu ! »
L’abbé s’élança : -« Madame…madame…
Qu’avez-vous, madame ?
Dans une clameur affolée, elle a balbutié :
-« Je…je…crois que…que je vais accoucher. »
Le prêtre, éperdu, ne savait
Que faire, que dire, que tenter.
On l’entendit murmurer :
-« Mon Dieu, si je savais… ! »
La femme se tordait de douleur
L’abbé pensa : ’’Elle meurt ! ’’
Et lui dit d’une voix déterminée :
-« Je vais vous aider comme je pourrai. »
Puis aux trois gamins, il ordonna :
-« Passez vos têtes sous le rideau de la portière
Et ne vous retournez pas
Sinon vous me copierez mille vers ! »
Oh ! Que la future maman gémissait !
L’abbé s’approcha pour la réconforter
Et l’assister.
Les gamins, eux, coulaient
Des regards furtifs, vite détournés.
-« M. de Mirepoux, vous me copierez
Le verbe ‘désobéir’ cent fois.
Et pour vous, M. de Linière,
Je demanderai à Madame votre mère
De vous priver de dessert pendant un mois. »
Soudain un léger miaulement
Fit, d’un seul élan,
Retourner les trois collégiens.
L’abbé tenait le bébé dans ses mains.
Il le regardait
Avec des yeux effarés
Et déclara : -« C’est un garçon !
Monsieur de Besson,
Veuillez me passer la bouteille d’eau
Qui est là-haut
Dans le filet. »
Il versa un peu d’eau sur le front du bébé
Et dit : -« Je te baptise, au nom du Père, du Fils,
Et du Saint-Esprit. »
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Quand le train entra
En gare de Royat.
Mmes de Linières et Besson
Apparurent dans le couloir.
L’abbé leur présenta le nourrisson :
-« C’est madame qui vient d’avoir
Un petit accident dans le wagon.
Les enfants n’ont rien vu, j’en réponds. »
Pour fêter l’arrivée de leurs enfants,
Les trois familles étaient rassemblées pour diner.
Tout à coup, le plus jeune, Roland,
A demandé : -« Dis, maman, le petit garçon,
Où M. l’abbé l’a-t-il trouvé ? »
-« Laisse-nous tranquilles avec tes questions. »