Note : 3/5
Le Sel de la terre présente au critique un problème assez récurrent lorsqu’il est face à un documentaire : si le film manque souvent d’aboutissement, tant dans sa forme que dans son discours, il est sauvé par son sujet, passionnant. Est-ce à dire que le film est bon ? Là est toute la difficulté.
© Donata Wenders : NFP*
Le film se penche sur le parcours de Sebastião Salgado, grand photographe brésilien qui, depuis quarante ans, s’est fait connaître par ses photographies centrées sur l’humain et les grands drames de la fin du XX° siècle (la famine au Sahel, le travail à l’ère industrielle, la Yougoslavie, le Rwanda : le »sel de la terre ») et, plus récemment, sur l’état de la nature (la »terre » seule cette fois).
Co-réalisé par Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, le fils de Sebastião, Le Sel de la terre retrace de façon chronologique la vie du photographe. La linéarité du récit n’est pas un problème : elle met bien en lumière l’évolution du travail photographique, et surtout de ses thèmes, Salgado ayant changé de sujet de prédilection après un séjour au Rwanda qui l’a, évidemment, quelque peu traumatisé (« mon âme était malade » dit-il).
Entre interviews, images d’archives et commentaires des photographies, le film insère quelques images tournées avec Salgado pendant ses missions photographiques, une belle façon de voir le photographe au travail et les coulisses de certaines de ses réalisations. Pour Wenders, dont les documentaires, de Nick’s movie au plus récent Pina, se sont souvent portés sur des figures artistiques, il s’agit d’interroger le rôle de témoin de Salgado, de percevoir la portée politique, sociale et humaine (et désormais écologique) de ses photographies.
C’est là que le bât blesse : le film n’en reste qu’à la surface de son sujet, ne choisissant pas entre un traitement intime (quelques informations, comme la naissance de son fils trisomique ou ses absences régulières qui ont gêné son rôle de père, sont évoquées pour être aussitôt oubliées) et une interrogation sur la photographie. Salgado laisse échapper quelques fulgurances intéressantes (le rôle de la composition, qui fait la différence entre « montrer un ours », et « faire une photographie d’ours »), mais ni Wenders ni le fils Salgado ne semblent avoir voulu percer le mystère derrière la création.
La forme documentaire adoptée, bien que souvent émouvante en raison de la portée de son sujet, n’est pas bien originale (voix off surplombantes, témoignages, déplacement sur les lieux) et jure quelque peu avec l’ambition photographique et l’aspect aventurier voire ethnologue du travail de Salgado.
Pourtant, on apprécie le film, dont le rythme, bien mené, interdit tout ennui. Pour ceux qui ne connaîtraient pas le travail de Salgado, Le Sel de la terre est l’occasion rêvée de découvrir, projetées sur grand écran, ses photographies noir et blanc absolument magnifiques. Pour tout le monde, c’est aussi une façon de replonger dans une fin de siècle dont on oublie peut-être un peu les drames. De l’Afrique, son continent de prédilection (avec l’Amérique du Sud bien sûr), Salgado a rapporté des photographies qui, quoique presque insoutenables d’horreur parfois, savent rendre à l’humanité toute sa beauté.
© Juliano Ribeiro Salgado : NFP*
Le Sel de la terre ressemble à un projet inachevé : pas de vraie interrogation esthétique, pas non plus de »plongée » intimiste, mais un vrai hommage rendu à l’un des grands photographes actuels dont il était important de rappeler le rôle et le travail.
Alice Letoulat
Film en salles le 15 octobre 2014.