Comme chaque année depuis 5 ans, nous nous amusons à relayer le prix Pinocchio. A la manière des Gérard du cinéma, il s’agit d’une cérémonie parodique mais qui récompense les pires pollueurs de l’année. C’est un exercice potache qui a tout de même une vertu pédagogique puisque de sérieux enjeux sont ainsi mis en lumière. Ainsi de l’accaparement des terres (sujet dramatique mais peu traité) ou du rôle de la finance dans la destruction environnementale.
Initié par les Amis de la Terre, une des plus vieilles ONG et certainement parmi les plus « pures », le prix Pinocchio s’attaque aux éternels méchants du pétrole, du charbon, du nucléaire et de la chimie et. Pour y avoir assisté une fois en vrai, dans un petit café parisien, on passe un bon moment même si on sait à l’avance que cela n’aura pas changé la face du monde.
Qu’importe, le plaisir et l’humour permettent de ne pas sombrer dans l’acharnement militantique !
Cette année il y a un nominé surprise !
Il est nominé contre son gré. Il n’est pas content. Et il le dit. Sur le banc des accusés donc, entre EDF, GDF, Perenco, Samsung, Shell, Total et Crédit Agricole il y a… Pur Projet.
Si vous n’avez pas compris, relisez-donc, je vous assure que la phrase est correcte.
C’est donc la deuxième fois que Tristan Lecomte met les pieds dans le plat. D’abord en « vendant son âme » à la grande surface avec le commerce équitable façon Alter Eco. Et maintenant en absolvant les pollueurs à qui il propose de planter des arbres pour leur offrir une image écolo.
Sur leur site, les Amis de la Terre n’y vont pas avec le dos de la cuillère:
C’est précisément ce que fait Pur Projet dans la région de San Martin, au Pérou, prétendument à la demande et au bénéfice des communautés locales. En réalité, la logique de ces projets se heurte à la réalité et aux besoins des gens. Ces projets reposent sur un montage financier et contractuel complexe. A San Martin par exemple, à chaque arbre planté ou à chaque parcelle de forêt protégée est attaché un contrat carbone, signé entre un propriétaire foncier (État ou communauté) et des coopératives de producteurs de cacao ou de café.
Pur Projet signe ensuite avec ces coopératives des contrats de transfert exclusif pour 80 ans des droits sur le carbone, afin de les revendre à des entreprises polluantes en quête de « pureté carbone ». Le gouvernement régional ne perçoit aucun bénéfice sur cette revente. Et les communautés locales n’ont absolument aucune idée des montants générés par ce marché, ni n’en connaissent les clients finaux et leurs motivations.
Dans les forêts aujourd’hui sous contrat exclusif avec Pur Projet vivent des centaines de migrants, établis en communautés au fil des ans : ils ont fui les provinces minières, où leur terre était devenue incultivable. Mais faute de droits fonciers reconnus, pas de consultation sérieuse : impossible donc de s’opposer au gel de leurs forêts.
Pur Projet clame haut et fort qu’il ne s’agit pas là d’une forme d’accaparement des terres. Mais pour générer les précieux crédits carbone, il faut bien ralentir la déforestation. Idéalement en mettant en place des activités alternatives. Et au besoin, en empêchant l’accès des communautés aux ressources naturelles dont elles dépendaient traditionnellement pour vivre. Pur Projet a ainsi prévu un budget de 150 000€ pour « l’action en justice contre les invasions des migrants dans l’aire de conservation ».
Bien avant la nomination, j’avais eu vent du droit de réponse que s’apprêtait à publier Pur Projet. Celui-ci est disponible ici (complété avec les réponses des Amis de la Terre). J’imagine que vous n’avez pas le temps de rentrer en profondeur dans cette querelle de clochers alors je me permets de la résumer à ma façon.
Sommairement, Pur Projet est vexé parce qu’ils se donnent beaucoup de mal pour faire du bien et que Les Amis de la Terre ne veulent pas le voir. Pur Projet accuse Les Amis de la Terre d’avoir réalisé une contre-enquête en dilettante… ce qui est évidemment faux quand on voit la matière fournie par l’ONG environnementale.
M’est avis que le quiproquo repose in fine sur deux conceptions très différentes et pas nouvelles du tout concernant le « développement » . Pour Pur Projet, on reste dans une vision très occidentalisée où l’on utilise les mécanismes de marché mondiaux pour amener le progrès dans des communautés amérindiennes. Les Amis de la Terre sont partisanes « laissons-les tranquille afin qu’ils choisissent eux-même leur voie de développement; d’abord ne pas nuire » .
En un mot : Pur Projet est dans une approche paternaliste, Les Amis de la Terre sont dans une approche d’empêchement des nuisances (réglons d’abord nos problèmes d’occidentaux pollueurs avant d’expliquer aux autres comment protéger leur forêt).
Le général de Gaulle surnommait les Nations-Unies « Le Machin » . Un copain qui a participé au montage initial de la compensation carbone me disait que c’était devenu « un monstre » . Les Amis de la Terre n’ont pas attendu Pur Projet pour alerter sur la dérive de l’initiative REDD (Reducing Emissions from Deforestation) portée par l’ONU en partenariat avec le marché carbone.
Un Machin Monstrueux donc.
C’est bien parce qu’il n’existe aucune logique scientifique rigoureuse derrière la volonté de générer des crédits carbone REDD, que les discussions autour de ce mécanisme achoppent au niveau international et que l’Union Européenne a annoncé un moratoire sur les crédits carbone REDD
Trouver un compromis entre des pays, des communautés autochtones, des entreprises pollueuses est un projet louable. Mais c’est un projet schizophrène. Même l’Europe n’est pas convaincue. Même Pur Projet reconnaît du bout des lèvres quelques problèmes.
Au-delà du fond théorique sur lequel nous nous sommes d’ailleurs prononcé dès 2008, je me fais toujours la même réflexion quant à la motivation de se lancer dans un tel business. Le fait-on par passion de sauver la forêt et les peuples autochtones ? Ou le fait-on par opportunisme. Je veux dire, si on est attaché aux forêts, on doit dénoncer par exemple Vinci qui a une attitude scandaleuse en Russie (forêt Khimki) et plus proche de nous sur le patrimoine naturel de Notre-Dame-des-Landes.
Bref, si on s’appelle Pur Porjet, la seule chose à clamer c’est « Vinci Dégage » et pas
VINCI, de son côté, s’était engagée à replanter un arbre pour chacun des 180 000 employés du groupe
[on imagine la fierté de chaque employé qui au pu fanfaronné "Aujourd'hui j'ai planté un arbre au Pérou !"]
Nestlé, Safran, Accor, Clarins, Cogedim (centres commerciaux), Société Générale et caetera et caetera ad nauseam.
Les partenaires de Pur Projet
Donc oui les Amis de la Terre ont raison, c’est bien du greenwashing et Pur Projet mérite d’être nominé. Mais comme nous le disions au début, nous sommes tiraillés. Il y a aussi des gens biens qui font du Pur Projet. On en connaît et on même été démarché récemment par quelqu’un de sympathique qui propose des bracelets en bois français dont la réelle portée symbolique est justement une participation financière à une reforestation. Bref, Pur Projet peut aussi ne pas être un alibi. Cela peut-être une cerise sur le gâteau. Tiens il y a même Veja qui n’a pas grand chose à se reprocher (cf notre billet on d’ailleurs on se moquait de la marque de chaussure Faguo qui déjà pratiquait l’absolution par l’arbre planté)
Droit dans ses bottes, avec son sourire de cow-boy qui ne doute de rien il m’avait dit « Ces gens-là on s’en fout, ils branlent le mammouth » . J’ignore pourquoi mais je suis resté coi. Soit par l’expression fleurie que je découvrais, soit par cette assurance d’homme qui ne doute jamais de son bon droit.
Alors il y aura encore et toujours des gens qui « branlent le mammouth ». Et peut-être même que ces gens-là sont les mêmes qui inlassablement interpellent sur l’état de la planète et sur les inégalités des richesses qui ont nourri un moment donné les indignations de Pur Projet. Hélas, ces branleurs de mammouths, en plus d’alerter et de proposer, ont la fâcheuse tendance à dénoncer les fausses bonnes solutions.