La porte claque et je reste plantée devant, la bouche ouverte, prête à crier quelque chose mais je renonce à converser, sur quelque ton que ce soit, avec une porte, fût-elle en chêne.
Je suis là, les poings serrés et la nuque raide. Je sens petit à petit la rage se muer en colère froide, et son reproche, le premier, se frayer lentement un chemin à travers mes veines jusqu’à mon cerveau, puis à mon cœur.
La porte de la Collégienne vient de claquer, et, si elle avait été vitrée, on aurait entendu le son qu’a fait mon cœur en tombant par terre. Le bruit du verre, en morceaux à terre. Le bruit de mon cœur, en morceaux à terre.
Se rend-elle compte qu’arrivées ici il n’y a plus de retour possible ? Se rend-elle compte en cet instant qu’elle a cassé ce fil ténu qui la maintenait dans l’enfance ? Se rend-elle compte que j’ai voulu la retenir, mais que le pont entre nous a cédé au moment où elle a retiré sa main de la mienne ?
A présent il nous faut apprendre une nouvelle danse, un nouveau pas de deux. Cette porte que je ne franchirai plus, celle de son monde à elle. Il me faut accepter de ne plus y être conviée que sur invitation.
Sait-elle que ce soir je suis un peu morte ? Sait-elle le poison des mots, insidieux ?
Sait-elle que je n’étais pas prête, on ne peut jamais l’être, ça vous arrive comme ça, un jour elles sourient dans vos bras et le temps d’un battement de cils elles ont plus de seins que vous. Sait-elle que je m’échine depuis toujours à passer devant, à trancher les ronces du chemin, mais qu’à présent, elle tombera seule sur ses pierres ? Parce que c’est le jeu, parce que c’est comme ça, parce qu’il faut en passer par là pour devenir, parce que dire j’ai été ado avant toi ne suffit plus.
Parce que nous ne lui suffisons plus. Parce que le chant des sirènes est plus mélodieux que celui des berceuses à ses oreilles. Parce que je l’ai élevée pour qu’elle vole de ses propres ailes.
Est-ce que l’hirondelle a aussi mal au bide quand ses oisillons tout neufs quittent le nid ?
Ce soir il me faut réinventer le mot mère et je suis terrifiée.