Sous l'oeil du Beffroi - annexe 1 par José le Goff
On sut plus tard que l’idée d’une fête à Concarneau en été germa durant leurs palabres dans les cafés parnassiens; on profiterait que le charme de notre ville close et de nos plages rameutait déjà des touristes huppés et les gains serviraient à aider les veuves des péris en mer. Revenus de Paris Au printemps, après ce que nos anciens appelaient les miss du, traduisez les mois noirs, certains de nos artistes soumirent leur idée à leurs riches clients, gros usiniers et bourgeois fortunés d’alors et c’est ainsi que d’une complicité entre peintres et notables, naquit chez nous en 1905, la première fête des filets bleus.
affiche fête des Filets Bleus par Granchi Taylor
Ça, c’est l’histoire authentique. Mais comme les poètes sont d’incorrigibles brodeurs, aux poèmes croquant les femmes de marins succède Bretagne des misères, voici son prologue, il est là quelque part sous cette immensité ! Il dort sans sépulture et sa veuve éplorée, Anonne un requiem qu’emporte la marée ! ... Puis, je conte un violent coup de tabac drossant toute la flottille sur des récifs et la décimant corps et biens ; je décris les pauvres femmes et leurs gosses errant sur les grèves, fouillant du regard les sillons des vagues meurtrières, cherchant désespérément une trace d’un mari, d’un père … Voici l’épilogue, Ils brisaient corps et cœurs ces maudits ouragans et le malheur toquait aux portes des chaumières, on pleurait les péris, sans fleur, sans cimetière, Dans ce port bas breton. Le siècle avait 5 ans! Puis dans fête pour une tempête, j’imagine les rescapés traînant leur infortune sur les quais, se reprochant même d’être toujours vivants ; ils se sentaient si humilié et avaient le cœur si serré en croisant ces femmes et ces enfants minés par le chagrin et sans le moindre sou , qu’ils tentaient une fête de solidarité et obtenait un si vif succès que les ayant largement secourus, ils affectaient l’argent restant à élever sur un éperon face au large, une stèle sur laquelle il feraient graver la longue litanie des noms de tous leurs compagnons disparus. Ecoutez l’épilogue, Un siècle de remous et de tant d’ouragans, La fête a perduré dans la joie ou la peine, chaque année au printemps on élit une reine, la vénérable fête a bien plus de cent ans! Elle essuie une larme en posant sa lavande ! C’est la fête aujourd’hui, mais elle a pris le deuil, Pour venir au granit des âmes sans cercueil, Honorer son mari qui dort en mer d’Irlande! Certes nous sommes là dans la poésie, le rêve. Mais un rêve qui, fort malheureusement, colle à la dure réalité. Dans la première moitié du siècle achevé voici moins de 15 ans, de nombreux navires sombraient. Naufrages isolés et à répétition ou flottilles décimées par les grandes tempêtes des années 30 et du début des années 50. La jeune fille souriante qui épousait son fringant matelot connaissait les risques qu’elle encourait. Endosser trop jeune, trop tôt, les tristes habits de veuve. Sombre vérité symbolisée par le costume noir des Sénanes!
la veuve de l'île de Sein- Emile Renouf musée des Beaux-Arts de Quimper
(By Moreau.henri (Own work) [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons)
L’on racontait que les accidents de mer étaient si nombreux dans les parages du raz de Sein que l’habit avait été ainsi conçu parce que dans les familles on déplorait en permanence un membre récemment naufragé et que les femmes de l’île ne quittaient jamais le deuil. De plus, les Bretons se sacrifiant pour la patrie sur terre comme sur mer, de la macabre addition de péris en temps de paix et de morts aux 2 guerres, il s’ensuivit que beaucoup de nos foyers devinrent des matriarcats. Cet état érigeant la mère en chef de famille, résultait aussi, souvent, des absences du père dues à son métier : marin! Nommée à juste titre le grand métier, La pêche à la morue générait d’interminables campagnes aux retours redoutés par les épouses. Des bateaux ne rentraient pas, d’autres rentraient avec des hommes blessés, malades ou manquants. Que de tragédies sur les quais! Des femmes en pleurs, inconsolables, questionnaient les marins qui mettaient sac à terre, agressaient les maîtres d’équipage, les patrons et même les armateurs. Le chalutage montait toujours plus Nord en Atlantique. Sa pénibilité et sa dangerosité due aux violentes tempête s’enchaînant tout l’hiver sur ces zones étaient telles que les marins qui, risquaient souvent leur vie durant des marées de 15 jours, l’appelèrent le dur métier. Les femmes supportaient mal ces attentes horriblement angoissantes durant lesquelles elles se tourmentaient sans cesse. Aussi dès les premiers progrès de la Phonie, elles achetèrent de puissants postes de TSF dotés des gammes marines et elles étaient si inquiètent qu’elles ne manquaient jamais une vacation de radio Conquet à travers laquelle elles glanaient parfois une nouvelle du mari balloté dans les déferlantes. Pour les femmes de marins engagés dans la royale, entendez la marine de guerre, même hors des grands conflits, l’anxiété dans l’attente était relative à la tension régnant dans les pays, encore appelés colonies où l’amirauté dictait à ses navires de fréquentes escales afin d’affirmer le rayonnement et le prestige Français et d’imposer en douce l’emprise métropolitaine. Pour les femmes de marins naviguant à la marchande l’absence était moins stressante mais s’éternisait ; c’est qu’il était fréquent qu’un cargo ayant gagné la côte d’Amérique ou d’Afrique se mue en caboteur et fasse du port à port allongeant sans fin son voyage. Pour ces femmes de marin d’état ou de commerce, les retrouvailles signifiaient joie, amour, étreintes tant espérées et de ces tendres congés il arrivait souvent que la famille s’agrandisse 9 mois plus tard. Alors si nos Mamm gouzqui savaient compter, remarquaient que la jeune dame s’arrondissait, elles commentaient égrillardes «Heureusement qu’il ne vient pas souvent en permission, il lui fait un bidorig chaque fois qu’il la voit!» Pour bidorig Comprenez un tout petit bébé, bien sûr. Pas étonnant que Bretagne des éloignements s’achève ainsi :
André FOUGERON (1913 - 1998) Bretagne 1946
huile sur toile, 195 x 130 cm Dépôt du Centre Pompidou, 1993 QUIMPER Musée des Beaux-Arts
Seule au logis, l’épouse, entretient leur amour, l’exalte comme un phare, un roc inébranlable ! Sa vie est analogue à la mer sur le sable, flux, reflux, figurant éloignement, retour ! S’il navigue au chalut, l’attente est peur, souffrance. Elle est longue et lassante, au rythme du courrier, Rare et posté de loin, s’il est sur un roulier! Il revient, elle oublie, effroi, désespérance !
La relâche est finie, il doit partir ce soir ! Epouser un marin, ça tient du sacerdoce! En mettant son manteau, c’est la peur qu’elle endosse. Mais brave sur les quais, agitant son mouchoir! …
Le mari reparti, la femme reprenait son rôle de chef de famille, s’occupant de tout et entre bien d’autres casse-têtes de l’éducation des enfants. Quand l’époux gagnait bien et que le couple décidait de construire elle s’improvisait surveillante de travaux. Le mari ne voulant pas gâcher son congé en leçons de conduite barbantes pour un marin, c’était souvent la femme qui passait d’abord le permis de conduire, permis pas très courant et dur à décrocher à l’époque. Dans toutes sortes de circonstances, elle prenait de petites ou de grandes initiatives nécessaires à la bonne marche de la maison, initiatives dont elle lui rendait fidèlement compte à son retour.
Evidemment, toutes les femmes de nos ports n’étaient pas femmes de marins.
à suivre...