IV
Fixer les crânes. On se voit fuir, cramponné à la table, avec l’échec encore de ne pouvoir dire, de n’être qu’à côté. Je, coupé, moi-même jeté hors. Je déborde, m’haine de me taire, d’être avec un silence vain auquel on me répond justement de partir
avec
la culpabilité d’être malgré soi
parmi ceux qui se taisent
ou n’ont pas voulu savoir
on sait qu’on a lutté contre, qu’on lutte
contre
soi et
la honte
sa masse de vie
usée pas
épargnée
on sait on porte on se tient
./
Il faut toujours que la vie gagne. On repense à cette phrase en ne pouvant que la poser difficilement sur les collines. Il y a quelque chose de terrible de se dire qu’il faudrait pouvoir tenir comme l’herbe qui pousse entre les crânes. Être avec, pleinement.
se tenir
dire les noms des morts
et ce qu’ils aiment
tenir ce verbe au présent
ils sont
./
Mêler notes et vers pour tenter de dire. On sent qu’on n’ira pas loin mais
dire encore
face à
corps
crânes masse
jenoside (1)
Les vies coupées
vives
./
Ne pas tomber dans l’usure de dire et en même temps ne pas laisser taire. Il y a la peur de sonner faux sachant l’étrangeté qu’est la mienne. Alors être avec malgré tout
dans ce bruit d’eau des avoisinants
et leurs jets de pierres
de haine contre
l’horreur nous mange aussi de l’intérieur dit Jacob dans Rwanda 94. Elle s’entretient en toute passivité. Il y a donc de quoi lutter contre soi dans
masse d’être
et haine
définitivement lutter
contre
faire vivre
Nicolas Grégoire, face à / morts d’être, éditions Centriguges, 2014, pp. 37 à 40.
1. Génocide, jenoside en kinyarwanda. Mot nouveau puisqu’on a utilisé au départ itsembabwoko. Ce dernier vient du verbe gutsemba (massacrer) et ubwoko (ethnie pour les Belges mais initialement clan, ethnie est un mot qui n’existait pas en kinyarwanda). J’ai préféré donc utiliser le mot en kinyarwanda d’aujourd’hui. Violente évolution de la langue.
Nicolas Grégoire dans Poezibao :
bio-bibliographie, entretien avec Matthieu Gosztola, écrire avec le génocide, 1, 2, 3, ext. 1