Au tout début du film, Nick lance “ Quand je pense à ma femme, je pense tout le temps à sa tête. Sa forme pour commencer…“ Il nous raconte ensuite avec un romantisme sans égal à quel point il aimerait lui écraser le crâne afin de voir ce qui s’y passe. La couleur est annoncée, autant vous dire que mensonge, manipulation et non-dits sont au programme. Comme on lit entre les lignes en littérature, dans Gone Girl c’est entre les séquences qu’il faudra faire preuve de vivacité. Du moins c’est ce que l’on s’était dit…
Emmené par le duo Atticus Ross/Trent Reznor, qui semble être son choix par défaut depuis « The Social Network » en matière de musique, David Fincher se lance dans l’adaptation du bestseller de Gillian Flynn « Gone Girl ». À la photographie on retrouve Jeff Cronenweth, avec qui Fincher avait collaboré sur Fight Club, The Social Network et The Girl With The Dragon Tattoo. L’image créée est magnifiquement sombre et stylisée : dès les premières images on reconnaît la patte du réalisateur américain.
Gone Girl raconte l’histoire de Nick et Amy Dunne, un jeune couple marié et a priori parfait, installé depuis trois ans déjà dans le Missouri. Tous deux sont écrivains et ont été contraints à déménager hors de New York à cause d’une récession brutale. Un jour, Amy disparaît. Au vu de la stature de la jeune femme (elle est auteur d’un livre à succès intitulé « Amazing Amy »), de nombreux dispositifs sont mis en place afin de la retrouver : un communiqué de presse est organisé, un site et une association créés. Sauf que voilà, le chagrin de Nick ne paraît pas sincère, son comportement sonne faux. La presse en vient même à le suspecter du meurtre de sa femme. Après une longue chasse aux indices, ce dernier en vient à la triste conclusion que sa femme est en train de le piéger. Pourquoi donc ?
La première idée est de créer un thriller policier, où le spectateur s’interroge sur les événements puis les circonstances ayant poussés Amy à fuir. En effet, les quelques « indices » déposés laissent à croire que la belle blonde s’emploie à une sorte de jeu tordu (Fincher semble aimer cette thématique depuis The Game) dont Nick est le protagoniste. Malheureusement pour lui, il est clairement identifié comme le principal suspect dans cette affaire, et ce par une inspectrice dont le personnage manque de profondeur et de jugeote. Ce qui apparaît donc comme le premier « twist » n’en est pas réellement un, et on tire notre chapeau à tous les spectateurs qui font un meilleur travail d’inspecteur que la police dans le film.
Cela dit, l’un des points forts du film reste ses personnages féminins. Entre la formidable interprétation de Margo par Carrie Coon, la sœur jumelle de Nick ainsi que la fantasmatique, vibrante et terrifiante Rosamund Pike, il ne reste plus de place que pour un Ben Affleck pour qui l’on éprouve de l’empathie et une sorte de pitié condescendante. Certes, l’adultère n’est pas un modèle moral mais justifie-t-il de mettre en scène sa mort avec pour but de faire envoyer son mari dans le couloir de la mort ? Permettez-nous d’en douter.
Les thèmes qu’abordait Fincher avec ce dixième long-métrage étaient plutôt intrigants : le mariage (en période de crise), la femme dominant la relation amoureuse, l’influence des médias… Autant vous dire qu’on aurait aimé aimer Gone Girl, et pourtant, ça nous a même un peu déçus.
Ce qui dérange ce n’est pas la performance des acteurs, la mise en scène ou l’aspect technique du film, c’est son manque d’entrain. La trame prend une tournure chaotique et les rebondissements invraisemblables se succèdent en nous laissant plutôt confus. Par exemple, durant la première partie on nous donne le point de vue d’Amy uniquement à travers son journal intime : le mystère est à son comble. Au milieu du film, Amy apparaît, nous révélant ses motifs. À cet instant, le film change brutalement de direction, virant du thriller policier au drame et par conséquent abandonnant le récit du journal. C’est comme si on nous racontait une histoire à la première personne puis au milieu du récit on passait à la troisième. De plus ce qui nous manquait en nous tenant en haleine jusqu’alors, c’est-à-dire d’en apprendre plus sur le sort d’Amy, nous est servi sur un plateau avec cette apparition soudaine. On est pris à contre-pied, comme si on vous révélait l’identité de Tyler Durden au milieu de Fight Club, avec comme conséquence une réelle perte de rythme pour le film. Peut-être aurait-il été plus judicieux de conserver cette forme de récit (journal intime) jusqu’à la fin, construisant une tension graduelle qui aurait trouvé sa conclusion dans un climax mettant en scène l’apparition surprise de Amy à la toute fin.
Le problème de Gone Girl c’est son absence de linéarité, sa propension à vouloir en faire trop. La première heure est assez lente et plutôt intéressante, et soudainement le tempo s’emballe pour finir par s’essouffler à l’image d’un échange de tennis qui n’en finit plus.
On aurait surement plus apprécié si la trame était restée simple tout en allant puiser plus d’émotions au fond des personnages. Tout est dans l’image, c’est d’ailleurs l’un des thèmes principaux du film : l’importance qu’a l’image publique dans une affaire privée. D’autant plus que cette affaire est compliquée, comme l’est la relation, à notre avis trop peu approfondie entre Nick et Amy. L’avocat de Nick (Tyler Perry) le résume d’ailleurs très bien « You two are fucked up ». On aurait aimé avoir eu plus de détails sur l’enfance bourgeoise d’Amy, ce qui a façonné ce monstre qu’on a du mal à comprendre. Depuis Panic Room on avait l’impression que Fincher s’essayait, jusqu’ici avec succès, à adapter l’inadaptable. Cette fois-ci, ça ne prend pas. Dommage…