La semaine avait été historiquement merdique, y compris à mes standards pourtant particulièrement relevés. J’émerge du métro sur la place de la Bastille, dans l’air un peu poisseux de cet été en retard, j’engage le boulevard Henri IV, je dégouline de sueur sous mon sac trop lourd, je me sens aussi à l’aise sur le trottoir parisien qu’une truite sur le gazon pendant qu’on lui tire le portrait pour prouver quelque chose. Je soupire, allume une clope et poursuit mon chemin : dix minutes plus loin, il y a la Maison de la Mouche à la pointe de l’île Saint Louis, les quais de la Seine, et je ne suis pas là pour la balade.
Jérôme m’a rejoint entre les comptoirs aux innombrables casiers alors que je suis en train de secouer, pensif, une Scott F2 en me demandant ce qu’en diraient les chevesnes de l’Essonne près d’un certain pont de la Ferté-Alais. Lui aussi il dégouline, il revient de chez lui au pas de charge avec un gros sac sur le dos, cinq tubes en dépassent…
On n’est pas là pour la balade.
Cerise sur le gâteau de soie, J me donne un premier cours de spey à deux mains. Les bouillons de la Seine prennent tout à coup un reflet d’Oregon, et je me rêve steelheader en passant mes premiers Snap-Ts. Cette grande tige de carbone au flex soyeux (Loop Cross S1 7122) est une cause de bonheur pour mes mains. Je perçois par intermittence la jouissance particulière du spey, les longs mouvements coulant comme une respiration très ample. Slow love.
La nuit nous chasse des quais, la soie est devenue invisible et les hommes ont soif. A l’Inévitable, c’est inévitable, Indian Pale Ale(s) et Ron Diplomático en rasades. Bien vite, il est tard et temps de reprendre le carbone en main. Le bord métaphysique de l’exercice est atteint sous le ciel orange de la capitale qui dort, qui baise, qui prend son dernier métro. En remontant la longue droite de la rue Jeanne d’Arc, on passe sous les arches de la ligne 6 du métro. L’ordre dorique sévère des piliers donne à ce rebut urbain un cachet paradoxal : temple antique à réverbères, entre l’encens et la pisse, l’asphalte, la fiente.
Et c’est là que, noctambules ivres et inspirés, nous formons nos prières tardives aux dieux du vent et de la danse, tutélaires jaloux de l’art de faire voler une soie.
Sortez les cannes, occupez les rues !