La fête est dans la rue, d’abord. C’est là que la troupe vient chercher le public. Et on se dit que ça ne va pas être tranquille, l’anniversaire de Nastassia Philippovna. Spectateur, je ne peux rester sur mon siège à attendre que les évènements se déroulent devant moi. Je n’irai pas sur la scène comme d’autres le font, participer à la fête débridée, torse nu pour certains qui s’y croient invités. Je n’irai pas mais je suis dérangé par la musique trop forte (on m’a donné des bouchons d’oreille) et par l’agitation qui prend toute la salle. Et puis, la fête tourne mal. Ils ne savent parler qu’en criant, en s’invectivant, en essayant de se faire comprendre mais s’écoutent-ils les uns les autres ? Mychkine, l’idiot, depuis la salle, va l’affirmer haut et fort : « La beauté sauvera le monde ». Mais il n’y a pas de beauté. Il n’y a plus que l’argent, par liasses, par valises, ils se couvrent d’or les hommes. Ils prennent le train. Ils ne savent pas aimer. Le monde court à sa perte dans un débat assourdissant, une énergie extraordinaire, un fanatisme exacerbé. Il y a trop de vie mal employée et c’est pareil partout : ce n’est pas mieux, pas pire, ailleurs. La société russe de la fin du XIXe siècle, revisitée par Vincent Macaigne, ressemble à notre monde : dans ce fracas permanent, l’idiot, qu’il aurait fallu aimer, qu’il aurait fallu écouter, n’a plus qu’à se balancer dans le silence, avec un rire étrange.
J’avoue ma réticence au début du spectacle, mais je dois reconnaître que sa puissance m’a emporté, me rappelant certaines mises en scène du Théâtre Varia, compagnie belge, et des décors de Thomas Hirschhorn, artiste suisse. Peut-être la beauté doit-elle être convulsive, peut-être n’est-elle que précaire. Peut-être est-elle contagieuse.
J'ai vu ce spectacle au Théâtre de la Ville, à Paris.