Critique du Cabaret Barbara, de Barbara, vu le 11 octobre 2014 au Studio-Théâtre
Avec Martine Chevallier, Sylvia Bergé, Suliane Brahim, Félicien Juttner, Danièle Lebrun et Elliot Jenicot, dans une mise en scène de Béatrice Agenin
S’il y a bien un spectacle que je ne manque jamais au Français, ce sont ses Cabarets. Depuis quelques années maintenant, c’est devenu une tradition de présenter un spectacle chanté sur la scène de la Comédie-Française : orchestré par Philippe Meyer ou des comédiens de la troupe comme Sylvia Bergé ou plus récemment Thierry Hancisse, ils peuvent être de différentes sortes : autour d’un thème ou d’une époque, on observe cependant dernièrement une tendance à orienter le spectacle autour d’un compositeur-interprète. Après les excellents Cabarets Vian et Brassens, c’est donc à Barbara d’être mise à l’honneur sur la scène du Studio-Théâtre. Mais était-ce vraiment l’artiste idéale pour ce genre de spectacle ? Car si je n’avais rien à redire des précédentes versions, ce Cabaret-là est hautement critiquable sous certains aspects…
Barbara est un univers à elle seule : on a du mal à s’imaginer quelqu’un d’autre qu’elle-même interpréter ses chansons. Sa voix seule traduit délicatesse, désillusion, sensibilité : elle incarne l’émotion à l’état pure. C’est pourquoi c’est un pari délicat que d’essayer de rendre sur scène ce qu’elle était, puisque prendre les textes seuls n’a aucun sens, sans l’âme qui les faisait vivre. C’est un pari à moitié relevé ici, car l’absence totale de mise en scène n’aide en rien les comédiens dont une partie seulement parvient à capter l’essence des chansons de Barbara.
Je ne comprends pas pourquoi on a fait appel à Béatrice Agenin pour monter ce spectacle. Depuis quelques années, ce sont les comédiens de la troupe qui monte ces Cabarets, et, modestement, proposent une mise en scène : ce n’est pas grandiose, mais on y reconnaît un travail réfléchi et abouti. Ici, pas l’ombre d’une idée : ah ! si : lorsqu’on parle d’un voilier, on voit un voilier pour enfant qui avance derrière le comédien – appréciez l’image poétique !… Pas besoin de faire venir un metteur en scène de l’extérieur si celui-ci n’ajoute rien au spectacle : deux rideaux rouges encadrent le plateau, et les acteurs viennent se planter en devant de scène pour leur chanson. Au début du spectacle, il n’y a même pas d’intermède entre les chansons : le pianiste enchaîne les airs sans lever les mains du clavier. Or, de même qu’il faut à l’acteur une respiration pour recommencer un couplet, le spectateur a besoin de souffler et de récupérer avant une chanson. Alors oui, on peut dire que Barbara n’a pas besoin d’être mise en scène car elle se suffit à elle-même – et ce serait vrai si les comédiens parvenaient à sublimer ses chansons ! Mais comme ce n’est pas toujours le cas ici, il aurait fallu leur venir en aide en mettant en valeur leurs talents de comédiens. Vient alors se poser le deuxième problème essentiel de ce spectacle : faire chanter Barbara à des comédiens est une erreur, puisque ses chansons sont bien moins des histoires que des sentiments bruts ! Alors lorsque la seule idée du metteur en scène est de faire chanter une actrice, déjà en difficulté vocalement, en position assise, on en vient à se poser des questions sur l’utilité du dit metteur en scène…
Une fois qu’on a compris que le spectacle n’offrirait pas d’idée particulière sur la poésie de l’artiste, on peut tout de même parvenir à passer une bonne soirée. Pourquoi ? Grâce au talent des comédiens présents sur le plateau. Ce Cabaret est l’occasion de nous rappeler à quel point certains acteurs sont sous employés alors que d’autres sont – inexplicablement – présents dans presque tous les spectacles de la saison (mais c’est un autre débat…). Je veux parler ici de Suliane Brahim. Cette actrice que j’encense après chacune de ses apparitions a plus d’une corde à son arc : je connaissais la finesse et l’originalité de son jeu, je découvre la beauté de son chant. Plus encore que lorsqu’elle joue, elle se laisse porter par la musique qui semble alors l’habiter : elle vit pleinement chacune de ses chansons et sa voix originale et ce style décalé la rendent plus brillante que jamais : sur scène, on ne voit qu’elle, on l’attend, on l’applaudit, on en redemande. En solo comme en duo, elle parvient à rendre l’âme si particulière, si frêle et si intense de Barbara. Son duo avec Félicien Juttner est touchant est juste, et ils interprètent un Dis quand reviendras-tu ? puissant et très émouvant. Juttner s’en sort d’ailleurs très bien lorsqu’il chante seul, et on lui reconnaît un Mon enfance mélancolique et douloureux, autant pour l’acteur que le spectateur. On ne peut malheureusement en dire de même pour l’autre acteur masculin du Cabaret : Elliot Jenicot, dont on reconnaît très souvent le talent comique, n’est pas fait pour chanter du Barbara. Sans doute trop habitué à un mode de jeu plus « franc », il ne parvient pas ici à transmettre de réelles émotions à travers ses parties chantées. Seule une chanson plus légère, Les Amis de Monsieur, qu’il joue avec Martine Chevallier, relève d’une réelle performance d’acteur. Martine Chevallier, elle aussi, semble peiner à interpréter le reste de ses partitions : sa voix trop fragile et trop peu contrôlée ne peut se confronter à du Barbara, et donne lieu à une version bien malheureuse de Ma plus belle histoire d’amour. Sylvia Bergé, comme à son habitude, nous enchante entre sa version aguicheuse de Ni belle ni bonne et celle, bien plus intimiste et en retenue, du Mal de vivre. Danièle Lebrun, également un peu fragile du côté voix, illumine tout de même le plateau : l’actrice a une présence indéniable et parvient à s’approprier la Gare de Lyon avec l’aisance qu’on lui connaît.
On retiendra plusieurs choses de ce cabaret : d’abord, qu’il est essentiel de choisir des comédiens capables d’interpréter le registre choisi, c’est-à-dire ici l’émotion pure. Mais surtout que si on monte depuis quelque temps des spectacles chantés au Français, c’est que les comédiens sont capables d’ajouter une autre dimension aux chansons : celle du jeu ! Alors à quoi bon monter un cabaret autour d’une artiste connue pour l’âme qu’elle insuffle à ses chansons, qui finalement ne tiennent qu’à un fil ? On attendait un cabaret autour de chanteurs qui proposent de véritables histoires : à quand un Cabaret Reggiani, Guy Béart, Aznavour ?
Malgré quelques déceptions, mises en valeur par une comparaison inévitable avec les anciens cabarets, on passe tout de même un bon moment au Studio-Théâtre, sublimé par la seule présence de Suliane Brahim. Ce qu’on en retiendra, en plus des textes magnifiques de Barbara, c’est le talent et l’interprétation impressionnants de l’actrice : Brahim est une petite merveille. ♥ ♥