N'étant pas une grande lectrice de BD, n'attendez pas de moi une analyse comparative très poussée. Je vous livrerai juste mon ressenti, ce qui, après tout, représente déjà une jolie performance.
L'univers de la bande dessinée me renvoie à la difficulté de lecture de mes jeunes années, quand je manquais d'expérience pour lire à très grande vitesse. Un tel ouvrage réclame une attention extrême et j'avoue en avoir perdu l'habitude, même si je lis avec énormément de plaisir la plupart des livres que je chronique (sinon je vous prie de croire que j'aurais arrêté depuis longtemps).
J'ai eu envie d'ouvrir Le Château des étoiles parce que c'était une publication de Rue de Sèvres, et qu'une jeune maison d'édition mérite qu'on prenne garde à ce qu'elle entreprend. Et puis il y avait quelque chose d'à la fois merveilleux et familier dans le coup de crayon de l'auteur.
Je me suis demandée si son nom, Alex Alice, était bien le sien ou s'il se vivait comme le frère de plume d'Alice, la jeune expérimentatrice de Lewis Carroll.
Coup de chance, je l'ai rencontré et je peux vous dire que mon intuition était bonne.
Diplômé en 1997 d’ESCP Europe (nouveau nom de l’Ecole Supérieur de Commerce de Paris), Alex Alice ne se destinait pas forcément à la bande dessinée si ce n’est une réelle passion et un indéniable talent dans le dessin. C'est la rencontre avec Xavier Dorison qui sera déterminante. Il se fait remarquer avec sa première série le Troisième Testament (réalisée avec Xavier Dorison) publiée chez Glénat de 1997 à 2000. Il continua sa route en solo avec Siegfried, publié en 2007 chez Dargaud, pour lequel il s'est inspiré de la légende de Nibelung et de l’opéra de Wagner. Entre temps il adapte aussi en BD le célèbre jeu vidéo Tomb Raider pour Fréon.
Le Château des étoiles a été prépublié sous forme de journal (un peu de la même manière que l'Adèle Blanc-Sec de Tardi) avec des éléments historiques et scientifiques qui ne figurent pas dans la version cartonnée. Celle-ci sort aujourd'hui en librairie et à cette occasion une rencontre a été orchestrée avec l'auteur dans un des endroits de la capitale qu'il affectionne, le Dernier bar avant la fin du monde, rue Victoria, dont le cadre s'accorde parfaitement avec son univers et où il expose jusqu'au 10 octobre. Ce bar reçoit d'ailleurs régulièrement des auteurs et des dessinateurs.
Alexandre, Alex pour ses lecteurs, se sentait ici comme chez des amis ... Tristan, son bambin de fils aussi qui séduisit l'assemblée par ses facéties. Il nous a confié la genèse du Château des étoiles. D'abord en raison de sa fascination pour la conquête spatiale. Grand lecteur de Jules Verne il a été déçu de constater que ses héros se contentaient de faire le tour de la lune et de rentrer sans chercher à prolonger l'aventure.
L'idée que des gens bien habillés débarquent sur une autre planète, offre un contexte sciencefictionnel intéressant, surtout si on le relie à la pensée positiviste. Il faut se souvenir qu'au XIX° siècle les scientifiques écrivaient des poèmes.
Le caractère ultra romantique de Louis II de Bavière, mécène de Wagner, a été le second élément déclencheur.
Louis II représente à ses yeux le précurseur absolu du geek qui serait aujourd'hui perdu dans des mondes virtuels. Mais comme Visconti a réussi magistralement sa biographie en 1972 avec le film Ludwig ou le crépuscule des dieux, il ne pouvait pas être question d'avancer sur ce terrain. Par contre sa personnalité était de nature à pouvoir précipiter un récit.
La visite des châteaux bavarois, qui ont marqué l'enfance de l'auteur, a suggéré le décor de cette histoire qui s'inscrit dans un genre spécial, le merveilleux scientifique. Louis II en a fait bâtir plusieurs. Le plus connu ressemble à une demeure médiévale alors qu'il a été construit en tôle boulonnée, avec les plus grandes technologies de l'époque. Il possédait un ascenseur à vapeur.
La rencontre entre deux visionnaires au caractère très différent, le père Dulac et Ludwig, ne pouvait que provoquer une étincelle.
1869, premier jour des vacances d’été. Un an après la disparition de sa mère à bord d'un ballon de haute altitude, Séraphin Dulac reçoit une lettre "invitant" son père en Bavière. Le carnet de bord de l'exloratrice aurait été retrouvé. Le lendemain, sur le quai de la gare, ils sont attendus...
L’action se situe à une période où la science considérait, à tort, que le vide de l’espace était en fait rempli d’une matière auquel on donnait ce nom : L’éther. Les scientifiques pensaient que cette substance remplissait le vide et transmettait la lumière (théorie mise au rebut par Einstein avec la relativité restreinte).
L’album prend le parti pris qu’un savant puisse arriver à l’utiliser pour élever une machine, un château dans les airs, grâce à cette matière. J’ai aimé le point de départ avec cette envolée d’une femme hors du commun. Les allusions discrètes à d’autres univers, comme les Dupont d’Hergé (p. 14 où l'auteur a hésité à dessiner les mêmes moustaches), l’humour aussi, notamment quand le jeune homme atterrit dans la salle de bains de la jeune fille, Sophie, aussi fantasque que l’héroïne de la Comtesse de Ségur. Elle esquisse un geste outragé qui est traduit par un son dans la bulle suivante : baf, onomatopée habituellement écrite avec deux f. On verra plus tard combien une fille peut être courageuse.
La mère a disparu sans qu’on puisse certifier qu’elle soit morte. Plus tard le dessin rendra admirablement bien cette évocation au moment où son fils (Séraphin, difficile d’imaginer un prénom plus léger) l’imaginera littéralement givrée (p. 26) à mesure qu'il poursuit la lecture de son carnet de notes.
Le geste est ultra soigné, les dessins sont élégants. La forme du canard (p. 30) qui évoque le cygne du blason de Lohengrin, et plus loin une nouvelle version très proche du Concorde.
Les contes disent toujours la vérité (p. 39). Le roi est le seul personnage représenté en gris, symbole évident de sa dépression.
A la fin c’est un véritable feu d’artifices ; tout le monde est sauvé … pour le moment.
Alex est très scrupuleux sur la vérité historique mais il diverge très vite. Tout ce qui se passe dans la BD aurait pu avoir été imaginé au XIX°, dans une forme de logique.
Tout le monde aura compris ce soir que cette réalisation lui aura demandé un travail fou que ce fou de travail a accompli avec l'énergie qui le caractérise : je travaille vite mais il y avait beaucoup de travail. Le projet a demandé deux ans. S'il a pu voir le jour chez Rue de Sèvres c'est parce que son éditrice l'avait contacté bien en amont de la fondation de cette maison d'édition.
Alex est un grand lecteur de BD. En terme d'influence il reconnait avoir été inspiré par Tardi (le Démon des glaces), par Hergé et son dyptique lunaire (Objectif lune, On a marché sur la lune), Alain Ayrolles, qui fut son camarade d'atelier, Franquin (QRN sur Bretzelburg) et Hayao Miyazaki (Le Château de Cagliostro auquel il avoue avoir "piqué" les feux d'artifices), jolie manière de revendiquer une filiation ...
Le lecteur pensera à Phileas Fogg et à Jules Verne, de toute évidence, mais aussi au créateur de Tom Sawyer, Mark Twain qui le premier a écrit : ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. Egalement à Hugo Cabret et Méliès, à l’extravagant TS Spivet … et plus tard à Sissi et Louis II de Bavière, à tous ces héros pour adolescents capables de rallier aussi les imaginaires des adultes.
Si ses deux séries précédentes étaient destinées à des adultes, avec le Château des étoiles Alex Alice avait le souci de s'adresser à tout le monde, sans exclure les enfants. Cela supposait donc de ne pas présenter les choses avec trop de complexité ou d'employer des mots incompréhensibles.
Et bonne nouvelle ... Alex s'est déclaré prêt à prolonger. Nous ne serons pas surpris de découvrir que les deux albums prévus se transforment en trilogie.
Le Château des étoiles d'Alex Alice aux éditions Rue de Sèvres, sortie en librairie le 24 septembre
Blog de l'artiste : alexaliceblog.blogspot.com/