Je reviens aujourd'hui pour vous présenter une oeuvre classique, et plus précisément d'une pièce de théâtre. Et même : de deux pièces de théâtre ! Je vais en effet vous présenter Caligula et Le Malentendu, qui sont rassemblées sous un seul volume chez les éditions Folio. J'ai beaucoup hésité à vous les présenter sous deux articles distincts avant de finalement décider de vous les présenter en une seule fois : tant pis pour vous, ça vous fera de la lecture ;-)
Je vais donc commencer par vous parler de Caligula, puis de Le Malentendu, avant de terminer en vous donnant mon avis global sur ces deux œuvres.CALIGULA : C’est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter.
HELICON : Et qu’est ce donc que cette vérité, Caïus ?
CALIGULA : Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux.
HELICON : Allons, Caïus, c’est une vérité dont on s’arrange très bien. Regarde autour de toi. Ce n’st pas cela qui les empêche de déjeuner.
CALIGULA : Alors, c’est que tout, autour de moi, est mensonge, et moi, je veux qu’on vive dans la vérité !
Ca fait déjà trois jours que Drusilla est morte, et pourtant Caligula reste introuvable. Si certains pensent déjà à le remplacer (les candidats au poste d’empereur ne manquent pas), d’autres plaident en sa faveur : la douleur n’est pas éternelle, il s’en remettra.Lorsqu’il revient finalement, force est de constater que la mort de celle qu’il aimait l’a profondément bouleversé, comme si une vague de misère l’avait submergé : « Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde. » Caligula fait son deuil ; les réflexions sur la vie et le bonheur le préoccupent plus que la politique et les réalités du royaume, à tel point qu’une phrase de l’intendant lui rappelant qu’il doit traiter quelques questions concernant le Trésor Public suffit à le rendre hystérique : bien-sûr, le Trésor, c’est capital ! C’est d’ailleurs tellement important qu’il décide immédiatement de bouleverser l’économie politique.Trois ans plus tard, Caligula n’est plus empereur mais dictateur. Le héros est tyrannique. Les hommes sont assassinés sans raison, l’horreur et l’absurde gouvernent le pays.C’est selon moi impossible de ne pas faire le rapprochement entre le sujet de la pièce et l’époque à laquelle elle a été écrite. Camus a en effet commencé à écrire Caligula en 1938 – 1939 et l’a publiée en 1944, en plein pendant la seconde guerre mondiale et les totalitarismes. C’est donc impossible de lire la pièce sans penser à l’actualité politique de l’époque.Ce qui est toutefois original et déconcertant dans cette œuvre, c’est l’humanité de Caligula. En ouvrant la pièce sur la mort de Drusilla et le deuil que doit faire l’empereur, c’est comme s’il justifiait sa tyrannie et lui accordait des « circonstances atténuantes ». Au lieu de considérer le dictateur comme un fou, Camus choisit en effet de décrire et de mettre en valeur son caractère humain. La mort de l’être aimé est une épreuve à laquelle nous pouvons tous être confrontés, c’est donc très facile de s’identifier à lui, de le comprendre et d’éprouver de la compassion à son égard. Nous ne sommes pas face à un dictateur inhumain obsédé par son ambition politique, au contraire le personnage de Caligula semble être un homme avant d’être un dictateur.Le premier acte de la pièce est en cela capital, puisqu’il oriente le jugement du lecteur sur le héros et les événements à suivre. Si ce premier acte n’était pas présent, Camus se serait contenté de décrire un régime dictatorial et un empereur cruel ; il aurait ainsi provoqué chez le lecteur des sentiments de haine, de dégoût et d’incompréhension, alors qu’en justifiant son comportement par la mort d’un être cher, c’est l’humanité, la compréhension et l’indulgence du lecteur qu’il appelle en quelque sorte. Les trois actes suivant ont lieu « trois ans plus tard », alors que le régime dictatorial est à son apogée.Mais si Caligula se révèle aussi cruel, c’est surtout parce qu’il se sent incompris et qu’il ne parvient pas à concilier son statut d’Empereur avec ses inquiétudes d’être humain « lambda ».
L’INTENDANT : Nous étions inquiets, César.
CALIGULA, s’avançant vers lui : De quel droit ?
L’INTENDANT : Eh ! heu… (Soudain inspiré et très vite.) Enfin, de toute façon, tu sais que tu as à régler quelques questions concernant le Trésor public.
CALIGULA, pris d’un rire inextinguible : Le Trésor ? Mais c’est vrai, voyons, le Trésor, c’est capital.Alors que Caligula voudrait prendre le temps de faire son deuil, qu’il se demande comment être heureux et quel sens donner à sa vie, il est rattrapé par des obligations professionnelles inhérentes à son titre d’empereur. Son statut d’empereur l’empêche de s’épanouir en tant qu’homme et le contraint à se concentrer sur « les finances, la moralité publique, la politique extérieure, l’approvisionnement de l’armée et les lois agraires ».Chacun d’entre nous pourrait prendre le temps de se reconstruire, de s’interroger sur sa conception de la vie et du bonheur, mais Caligula ne le peut pas puisqu’il est Empereur. Son amertume et son comportement cruel semblent ainsi venir du fait qu’il lui est impossible d’agir et de se comporter en homme « simple ». Se sentant seul, malheureux et incompris, Caligula bascule alors dans le domaine de l’absurde : puisqu’il ne peut pas être un homme, il ne sera alors que Empereur et s’accomplira dans son rôle d’Empereur poussé à son paroxysme.Le thème abordé dans cette pièce est très sombre, mais son ton est pourtant très drôle. Comme tous les dictateurs, Caligula est un personnage très charismatique. C’en est même assez troublant, puisqu’il est peint comme un homme léger, drôle, enjoué, « plein d’esprit »… C’est un séducteur, en somme, de telle sorte que le lecteur est souvent tenté d’oublier la cruauté et l’injustice dont il fait preuve pour ne voir que le comique de la situation. Comme les peuples étaient séduits et aveuglés par leur dictateur, le lecteur est captivé et charmé par Caligula.En tant que lecteur, on trouve au final des excuses à Caligula : « l’intendant pouvait bien attendre quelques heures voire quelques jours avant de lui parler des questions financières »,… Certes, l’intendant n’a sûrement pas fait preuve de délicatesse ni de compassion, mais cela ne justifie en rien le comportement de Caligula : il n’en n’est pas moins un meurtrier et un dictateur tyrannique... !→ LE MALENTENDUC’est une toute autre histoire que Camus nous raconte ensuite dans sa pièce Le Malentendu. Une femme et sa fille (Martha) sont les propriétaires d’une auberge depuis des années, depuis bien trop longtemps, à vrai dire. Elles ne rêvent que d’une chose : quitter ce village perdu entre les montagnes et aller s’installer au bord de l’océan ; mais elles manquent d’argent. La solution qu’elles ont alors trouvée pour pouvoir réaliser leur rêve est de tuer le peu de clients qui se rendent dans l’auberge afin de leur voler leur argent.Jusqu’au jour où un voyageur un peu particulier arrive à l’auberge : il s’agit de Jan, le fils, le frère de Martha. Vont-elles le reconnaître ? Vont-elles le tuer lui aussi ?J’ai trouvé cette histoire beaucoup plus triste que la précédente. Ici, tous les personnages sont malheureux, et le comique que l’on pouvait trouver dans Caligula disparaît ici au profit d’un registre beaucoup plus tragique. Au premier abord, je n’ai pas trouvé les personnages profondément cruels ici, j’ai plutôt eu l’impression que la vie était cruelle avec eux, et que les situations auxquels ils étaient confrontés les obligeaient à être cruels.Mais cette impression est assez fourbe : la vie peut-elle vous malmener au point de vous obliger à tuer ? La réponse est selon moi assez claire, le malheur ne peut pas justifier le crime. Martha et sa mère se placent dans le rôle de victimes et accusent l’environnement passif et morne dans lequel elles sont de les contraindre à commettre le pire, comme s’il n’y avait pas d’autre moyen possible. Vraiment ?L’issue de l’histoire est prévisible, mais je préfère ne pas trop vous en dire à propos de l’intrigue pour ne pas vous spoiler, car le schéma narratif est plus classique dans Le Malentendu : nous avons bien une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, puis le dénouement du conflit. Les événements s’enchaînent ainsi de manière plus classique et invitent plus le lecteur à rentrer vraiment dans l’histoire.
- Ce mouvement est relativement récent puisqu’il date de la seconde moitié du XXe siècle, les habitudes de langage sont donc très similaires aux nôtres et ne sont pas trop déstabilisantes ;
- Le théâtre de l’absurde a souvent un sous-ton comique, ce qui rend la lecture plus ludique et plus amusante que la tragédie par exemple ;
- Il n’y a pas vraiment de lyrisme dans le théâtre de l’absurde, les sentiments ne sont pas exagérés et l’action est beaucoup plus présente que l’introspection : le récit est donc très dynamique et vivant.
Mais attention, le théâtre de l’absurde reste un genre complexe, difficile à comprendre et à apprivoiser, et que je trouve beaucoup plus dramatique que la tragédie. Pour moi, la tragédie parle de drames personnels, qui sont propres aux héros de l’histoire, alors que le théâtre de l’absurde parle non pas d’un homme en particulier, mais de l’Homme et du monde en général ; de ce fait, il est beaucoup plus « déprimant » malgré le ton parfois comique, et l’absence de lyrisme et d’envolée émotionnelle.Si le théâtre de l’absurde est moderne, compréhensible et dynamique, il peut aussi déplaire : les événements ne sont pas nécessairement logiques, et l’absurde peut devenir ridicule, incohérent et stupide.En ce qui me concerne, j’ai un peu une relation « amour-haine » avec le théâtre de l’absurde. En fait, je crois que je ne suis pas vraiment sensible à ce mouvement littéraire. Par exemple, je n’accroche pas du tout aux pièces de Beckett ; j’ai lu En attendant Godot et Fin de partie, et ce n’est clairement pas mon truc. Par contre, j’ai bien aimé (et même adoré) Rhinocéros de Ionesco.Avant de lire ces pièces, je ne connaissais pas Camus en tant que dramaturge mais en tant que romancier seulement, je craignais donc de ne pas accrocher avec ces lectures. Et pourtant j’ai dévoré ces deux pièces en un rien de temps. Elles se lisent vraiment en un rien de temps, le ton est drôle, ironique, léger en apparence mais est toutefois marquant.Caligula est une pièce assez grave puisqu’elle traite de la dictature, et le traitement léger qu’en fait Camus contribue selon moi à la rendre encore plus grave, car si on s’amuse pendant la lecture, on se rend quand même bien compte à la fin de celle-ci que la pièce était tout sauf drôle.Le Malentendu est une pièce beaucoup plus percutante. L’histoire est plus glauque ; j’ai beaucoup moins ri en lisant cette pièce, et j’ai ressenti beaucoup plus d’amertume et d’écœurement. Le drame qui se joue ici n’est pas politique mais familial, on est donc dans une ambiance beaucoup plus intime, et donc d’autant plus sinistre.Au final, j’ai passé un moment très agréable avec chacune de ces pièces que je vous recommande chaleureusement ! Certes, je ne les ai pas non plus trouvées transcendantes, mais ce sont des classiques incontournables qui valent vraiment la peine d’être lus. Les histoires sont grinçantes, sordides et étonnantes, et nous marquent sans qu’on n’en ait l’impression. A découvrir, donc !Et vous, avez-vous déjà lu du théâtre de l’absurde, ou d’autres œuvres de Camus ? N’hésitez pas à me donner votre avis en commentaire sur une de ces œuvres !
*Ce livre fait partie du Baby Challenge Théâtre