![Psychogeographie indoor (52) Psychogeographie indoor (52)](http://media.paperblog.fr/i/732/7328300/psychogeographie-indoor-52-L-UIQryn.jpeg)
« Je suis à moitié né, je suis complètement mort », Georg Trakl1.
22 février.- Ciel changeant, douceur relative. (11°C) Retour dans les voyages de Pierre Loti. Grand plaisir à entamer L’Inde sans les Anglais. Loti est certes très peu crédible il fait comme par magie des bonds de plusieurs centaines de kilomètres, mais il brode sa petite affaire avec des mots tellement pleins de couleurs, de fragrances qu’il ne peut qu’être ton sur ton avec le sujet censé l’occupé. Forêts inquiétantes, animaux baguenaudant, Maharajas circonspects, misère latente son Inde est une autre planète. « C’est en considérant l’Inde comme un pays imaginaire qu’on s’approche le plus de la réalité »
23 février.- Ciel immaculé, douceur quasi printanière. (17°C) L’Inde de Pierre Loti est merveilleuse. Les éléphants centenaires se dandinent sous la lune comme des monstres mous. Les jeunes filles sont sveltes avec de grands yeux noirs. Les hommes, quant à eux, s’enveloppent dans de grandes toiles blanches, nouent leurs longs cheveux pour mieux s’étendre comme des ensevelis, devant les portes parmi les chèvres « avec cette répulsion que les Indiens éprouvent pour coucher sous des plafonds ou des voûtes, ils s’endorment dehors, dans la nuit tiède et languide, saturée d’exhalaisons de fleurs et comme cendrée de poussière bleue ».24 février.- Beau temps. (15°C) Loti.Nothing else. 25 février.- Du gris, de l’humide. (11°C) Retour du labeur. Soulevé 8 sèche-linges, 1 cuisinière, 3 réfrigérateurs, 10 fours et quelques autres petites broutilles. On concédera qu’après tant d’efforts, tout autant solitaires que non voulus, mon cogito soit pour le moins embrumé. Nonobstant petit tour dans les Cahiers de Cioran. Ce « mot » qui résonne assez avec la récente situation ukrainienne : « L’esprit ne s’épanouit ni dans les excès de la liberté ni dans ceux de la terreur.il lui faut une contrainte supportable ». Nothing else.28 février.- Quelques éclaircies. (7 °C) Guère d’entrain. Une nouvelle de Robert Benchley, qui ne déçoit jamais. L’humour assez cintré du père Valery : « Je vais déchirer cette lettre – mais le papier résiste – et dans le temps de la résistance, je change d’avis, je le classe – que de gens allaient tuer, et ne l’ont pas fait, gênés, déviés, par un rien… » Suis-je le seul à trouver cette petite chose tordante ? 1 mars.- Nuages, vent léger. (7°C) Retour dans l’Inde de Pierre Loti. Joli bond du côté du Rajasthan. Belle terre aride avec comme de la cendre en suspens dans l’air, des éblouissements de soleil, des villes merveilleuses… Udaipur et ses lacs, Jaipur et son marbre rose, Amber principauté en ruine avec ses singes, ses éléphants. Au milieu de tout ça, de ses ors et merveilles, un peuple, des hommes, des femmes, des enfants qui meurent de faim. Les affamés rodent, tendent la main, frappent leurs ventres plats puis perdant tout espoir s’écroulent par amas, gisent collectivement et meurent par grappes. Ce petit drame se joue aux lisières des « touchables » qui très peu concernés vivent benoîtement tout en gardant pour eux une légère bonhomie replète.Du côté des bestioles, les araignées voraces tendent des toiles et mangent les derniers papillons. Sur le sol des restes de petits oiseaux s’étalent. Les aigles sont passés par là. La compassion n’est finalement pas très indienne. 2 mars.- Frémissement printanier. (14°C) Agra, admirable Fort Rouge, sublime Taj Mahal (je confirme). Palais abandonné et mausolée impassible avec des vaches sacrées qui tournent autour, certaines énormes, toutes blanches avec un air penaud, d’autres plus sybarites, avec des pattes en surplus, cinq, six pattes, voyez-vous… Viens Bénarès, ville sacrée, ville des ablutions, des crémations… avec ses fakirs en bord de Gange et des bûchers se consumant sur les flots. Loti décrit tout cela admirablement, dans une prose saisie par les lieux, avec des mots colorés, capiteux et des phrases enivrantes qui vous donne l’impression d’être tout à fait indien.Pierre Loti et l’Inde derrière moi, entamé Gagner à en mourir, émouvant « petit livre » à tendance sportive de Pierre Louis Basse (le livre est petit, mais le sujet conséquent) . 4 mars.- Du gris, du vent. (8°C) Neurasthénique, déprimé, enfoui sous une tonne d’insatisfaction. Ne travaillez jamais, vraiment jamais.6 mars.- Soleil. (12°C) TA = 16.4/10.4, pouls 63. Un peu tendu. Choses qui ne font que passer « Un bateau dont la voile est hissée / L’âge des gens / Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver » 7 mars.- Soleil voilé, douceur. (15 °C) Il n’y aura pas vraiment eu d’hiver – des amorces tempétueuses, de l’humidité, guère de frimas – et voilà que quelque chose de printanier flotte déjà dans l’air. Trop tôt ? En attendant, j’ai les vertèbres cervicales bloquées et je ressemble à un Éric Von Stroheim au rabais.Fini le livre de Pierre Louis Basse, émouvant avec ses arpents communiste floué, mais vraiment trop décousu à force de digressions mousseuses. Entamé Roseanna de Sjöwall et Wahlöö, premier volume du fameux couple suédois et première enquête de Martin Beck le prototype de tous les Maigret boréaux (Kurt Wallander, Erlendur Sveinsson…) On retrouve le cadavre flottant d’une jeune fille. Des poils aux jambes. Des poils noirs où vous pensez. Un bassin large et un postérieur en conséquence. Des seins petits et flasques. Martin Beck enquête tout en fumant beaucoup. Pilosité, chair froide et tabagisme. Nous sommes bien en Suède au mitan des années 60.Fini chez Rolland Jaccard (La tentation nihiliste), jolie armoire à citation, as usual… 8 mars.- Soleil, douceur. (16°C) Cervicalgie, lombalgie, gonalgie. Drôles de pays. Toujours chez le « doucement nihiliste » Jaccard. Encore chez Maj Sjöwall et Per Wahlöö maitres étalons du polar scandinave. Tous ces trémas, que voulez-vous. 9 mars.- Ciel céruléen, grande douceur, printemps hâtif. (19°C) Fini le livre de Sjöwall et Wahlöö. Haletant avec pas grand-chose (l’art de la filature), technologique avant l’heure légale (importance du téléphone à cadran, de la photographie). Le coupable est convenablement réussi.Jaccard, Suisse en bien, me donne l’envie de lire d’autres Suisses en bien. Francis Giauque, Crisinel, Schlunegger (tous suicidés), c’est déjà ça. 10 mars.- Quelques nuages, douceur. (18°C) Ma barbe pousse, j’aime assez la caresser en prenant des airs inspirés.Picoré deux, trois pierres chez Roger Caillois. Fricoté avec quatre, cinq neurasthéniques chez Roland Jaccard. Rien de plus. 13 mars.- Soleil voilé, pollution, « smog alerte ». (19°C) Trop plombé par le labeur pour espérer sautiller plus que ça. Même la Vie sexuelle des tritons, de Robert Benchley, n’est pas parvenue à me dérider, c’est vous dire. Résigné, soumis à mon manque d’entrain je suis retourné dans les cahiers de Cioran, plus concordants avec mon humeur du moment : « il y a vingt-trois ans, j’ai écrit tout un livre sur les larmes. Et depuis, sans en verser une seule, je n’ai cessé de pleurer » 14 mars.- Soleil voilé, smog again. (17°C) La vie étant globalement assommante, il faut savoir la remplir plaisamment au risque de se retrouver plus estourbi que sautillant. Petit tour chez Roland Jaccard, accort zélateur de pessimistes grincheux. Demain j’entamerai L’éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov, que je pressens, bon voire plus… 2.![Psychogeographie indoor (52) Psychogeographie indoor (52)](http://media.paperblog.fr/i/732/7328300/psychogeographie-indoor-52-L-C6ZOcd.jpeg)
Je viens d’entamer L’éloge des voyages insensés de Vasili Golovanov et je l’aime déjà beaucoup. Petit gout Nicolas Bouvier, Bruce Chatwin accentué slave, arrosé de vodka. Golovanov crée son « ile » en l’assemblant à partir de ses rêves, de fragments de récits bourbeux et de digressions mousseuses. On remonte le fleuve Petchora vers le nord, l’extrême nord (récit frôlant quelque chose du Conrad blafard en pleine déglingue soviétique) et nous voilà à Narïan-Mar riante bourgade subarctique. Tout est gris et limoneux, le vrai sujet du livre : l’île de Kolgouev est encore 110kms plus au nord.
16 mars.- Beau ciel IKB. Air smog′less et moins picotant.(17°C) Hier soir « vie sociale alcoolisée ». Encore embrumé. Poursuivi la lecture de l’Éloge des voyages insensés face au soleil, dans un bel élan antonymique. L’île de Kolgouev est si grise, limoneuse, morose en pire – cet après-midi mon semblant de jardin était si lumineux, presque sautillant, les oiseaux y gazouillaient comme en avance sur un printemps déjà presque déjà là. Cela dit au détour d’une page, entre deux collines, par hasard il y a dans le livre de Golovanov, un creux d’air tiède, inattendu, miraculeux où flotte un subtil arome de pollen, des feuillages vert profond, un éclat bleu et rose, l’aile d’un papillon extirpé du limon ambiant. Ce miracle ne dure pas, c’est la nature des miracles que de ne pas durer, l’humide-froid et la désolation d’un été subarctique reprennent assez vite le dessus : la toundra n’attend pas et les sentiers perdus du nomadisme Nenets nous emmènent tout droit vers un espace libre, vaste et froid : le cosmos. L’expédition peut vraiment commencer : « C’est pourquoi je peux rien dire de précis sur le but de notre expédition : il apparaîtra lorsque tout ce qui va nous arriver, tout ce que nous allons vivre aura poli nos sentiments jusqu’à les rendre aussi limpides qu’un miroir. Vous saurez alors quel était notre but : un reflet. » 17 mars.- Beau temps. Néanmoins soleil trop bas, la saison. (19°C) Les Nenets sont un peu excentriques. Lors des noces ils offrent la langue et le cœur cuits d’un renne aux nouveaux époux afin que ceux-ci n’aient plus qu’une seule langue et un seul cœur à partager puis ils gambadent dans la toundra, sautillent sur la tourbe, valsent entre fougères et météorites calcinés par les vents solaires, ils sont d’une autre planète.Quant à Vasili Golovanov, il avance chichement un lourd sac au dos et de hautes bottes au pied. L’argile glutineuse, l’humidité prégnante. Sa « randonnée » n’est pas si évidente, mais le paysage est magnifique (tout comme le livre qui l’est vraiment plus que ce que j’en dis) : « Et alors ? dira-t-on peut-être. C’était quoi, la récompense ? Et le sens, c’est quoi ? Tu as dit que cette nuit fut extraordinaire… Je réponds : oui elle fut extraordinaire. Elle fut miraculeuse. Mais comment raconter un miracle ? Le miracle n’apparait qu’à celui qui vient à lui, seul. Et le sens, ce sont le rythme et la couleur. Le rythme et la couleur de l’espace sont le sens, le but et la valeur. Parce qu’en lui réside la force. Parce qu’il est souverain… » 18 mars.- Soleil voilé, vent léger. (20°C) Mes voisins sont d’incorrigibles bricoleurs ! Celui de droite moins que celui de gauche puisque cet après-midi il s’est contenté d’une perceuse tandis que son homologue s’escrimait avec une pelleteuse (oui une pelleteuse, ni plus ni moins !) Si à ces deux là j’ajoute l’horrible mouflette qui a eu l’outrecuidance de gigoter trente fois devant ma fenêtre en traînant une carriole en plastique vous comprendrez aisément mon agacement. Allez lire dans de telles conditions ! Devant tant de brouhaha il m’a fallu prendre des mesures frôlant le drastique : deux boules Quies dans les oreilles, une concentration de tous les instants et une sagesse quasi extrême-orientale m’ont permis de finir l’Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov. Ce ne fut pas pour rien, car ce livre est vraiment merveilleux. Admirable patchwork, fait d’ethnologie, d’autofiction, d’histoires trouvées en chemin…Des chapitres longs et explosés sur des dizaines de pages, une œuvre aussi inextricable et complexe que la toundra qui l’a engendrée… Et puis cette pâte humaine toujours là, ce côté russe, il faut bien le dire… P.-S. Le livre n’est pas vraiment fini, il reste quatre-vingts pages d’annexes, presque un second ouvrage que de lirais à l’abri des nuisances, dans un endroit plus calme et mieux situé. 19 mars.- Cet après-midi le ciel était certes joliment ecchymose, mais le soleil trop bas. Il a fallu que je joue avec lui pour ne pas me retrouver plus que de raison à l’ombre d’un toit malencontreux ou d’un arbre en pleine croissance. Gymnastique à vrai dire assez compliquée avec pour seuls agrès une chaise de jardin légère facilement déplaçable et deux, trois coussins rehausseurs (je suis très grand, mais assis, moins) (16 °C) C’est grâce à ces habiles subterfuges que j’ai pu finir la Tentation Nihiliste de Roland Jaccard, au tiède, face au soleil… En définitive ce livre assez court est un agréable petit manuel introductif aux fondements de la pensée nihiliste. On y croise des gens très bien : Schopenhauer et Nietzsche, Amiel et Leopardi, Schnitzler et Freud… Des nihilistes dandys et sautillants d’autres plus geignards et renfrognés… il y a aussi Cioran (Cioran est un ami), le cheval de Sissi (qui s’appelle toujours Nihiliste), Sissi elle-même et son meurtrier ce Lucheni, cet anarchiste en pire qui ne savait pas qui il tuait vraiment, un sombre idiot qui déçu de ne se voir exécuté se pendra plus tard. Sa tête est conservée dans le formol on peut la voir au musée d’anatomie pathologique de Vienne. Ce sera sans moi. Tom Wolfe gigote sur la face un brin clinquante du « nouveau journalisme », Joan Didion se contente de la face cachée, de cette ombre où elle peut durer avec elle-même plus qu’avec quiconque. J’entame Amérique, recueil paru il y quelques années en France. C’est un drôle de cadeau. 1967, les fleurs déjà fanées du Flower Power. San Francisco et ses communautés hippies. Politique, spiritualité de pacotille et drogue à gogo… Des petites poulettes tournent autour du Grateful Dead (quelle drôle d’idée), Jim Morrison fait son intéressant en pantalon de cuir. Bizarrement alors que tout devrait être joyeux et coloré, tout est morne et gris avec un gout de mort qui picote et monte. Black Panthers, Sharon Tate et Charles Manson. Les fleurs fanées du Flower Power avalées, digérées, vomies… Didion restitue tout cela dans des phrases courtes qui ne sont jamais là pour juger, mais pour constater. Disons que le constat est terrible. 20 mars.- Quelque chose de printanier, soleil voilé, vent léger. (21°C) Longue séance de psychogéographie outdoor où je me suis perdu pour mieux me retrouver face à un soleil globalement à ma mesure. C’est donc en vrai plein air que j’ai poursuivi la lecture de L’Amérique de Joan Didion. Ce spicilège de bidules journalistiques comme on en fait plus est vraiment très bien. Patty Hearst, son enlèvement, son petit syndrome de Stockholm et sa toute nouvelle maitrise des armes à feu… John Wayne et son cancer terrassé… Des affaires criminelles foisonnantes et une Amérique inquiétante, très inquiétante…L’ombre là je suis rentré chez moi. 3.