La vie d'adele, chapitres 1 et 2 - 8/10

Par Aelezig

Un film de Abdellatif Kechiche (2013 - France) avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux

Amour et désamour.

L'histoire : Lille. Adèle est en première, c'est une jeune fille tranquille, ordinaire, issue d'un foyer uni, modeste. Au lycée, Thomas lui fait les yeux doux et elle se laisse gentiment draguer, tout en réalisant qu'elle n'est pas vraiment amoureuse. Elle a par contre constamment en tête le visage d'une jeune femme aux cheveux bleues qu'elle a croisée un jour, s'affichant dans la rue librement avec sa petite amie. Après avoir rompu avec Thomas, et après qu'une de ses camarades l'ait embrassée sur la bouche... Adèle se décide à aller dans les bars gays pour tenter de retrouver la fille aux cheveux bleus. Début d'une passion...

Mon avis : Ah cher Abdellatif ! Et après, on dit que le cinéma français va mal... certes, mais on a encore de sérieux espoirs grâce à des réalisateurs magnifiques qui feront sûrement des émules et influenceront les jeunes cinéastes. J'ai toujours dit que Kechiche avait du génie. Ce film le prouve encore. Il ne fait rien comme tout le monde, il est tout sauf mainstream, il provoque d'ailleurs même la polémique de temps à autre... mais ses films sont des parenthèses de beauté, d'humanisme, avec une analyse du sentiment absolument magistrale.

Comment peut-on faire un film qui vous tient ainsi en haleine avec juste une histoire d'amour très banale ? D'autant que c'est très long (près de trois heures)... et pourtant jamais je n'ai regardé l'horloge numérique du lecteur DVD (si... un tout petit peu sur la fin). Les actrices sont si attachantes, si remarquables qu'on suit leur histoire comme un thriller : ça va marcher ou pas ? Incroyable. C'est là où je dis que Kechiche a du génie.

D'abord, que les choses soient claires, le sujet n'est pas l'homosexualité. Et justement, c'est la plus belle leçon de tolérance qu'on puisse donner car c'est une histoire NORMALE : on adore ces deux amoureuses ; on marche à fond, on s'extasie avec elles, on tremble avec elles, on pleure avec elles... Qu'il s'agisse de deux femmes n'a AUCUNE importance. L'homosexualité apparaît si naturelle tout à coup qu'on trouve encore plus ridicules les débats actuels, sur les "droits" à leur accorder ou pas.

J'ai été scotchée par la justesse de Kechiche dans la description des sentiments. Cette histoire d'amour nous bouleverse parce qu'elle est analysée avec une finesse absolue et toutes les émotions défilent à l'écran : l'attrait irrésistible pour une personne, le coup de foudre, la découverte, le plaisir d'être ensemble, les joies partagées, les rires, les amis, le quotidien, le sexe, et puis le doute, les malentendus, les petits coups de canifs, le déchirement, la détresse, le désespoir, le manque... Le film est d'une richesse infinie et les dialogues parfaitement naturels (sans doute en partie improvisés ?).

La rupture s'annonce doucement, inéluctable (clin d'oeil aux cours de littérature d'Adèle, sur Marivaux, le drame et la tragédie chez les grands auteurs). Adèle et Emma ne sont pas du même monde et cette différence qui peut être surmontée par certains couples leur sera fatale. Adèle vient d'un milieu modeste, d'un couple uni, conservateur, elle suit ses études en bonne élève, et veut être institutrice pour avoir la joie à son tour de transmettre le savoir et la connaissance aux enfants. Emma a des parents divorcés ; sa mère et son beaux-père sont d'un milieu aisé, des intellectuels, ouverts à l'homosexualité de leur fille, accueillant ses petites amies très simplement ; Emma fait des études de "riches" : les Beaux-Arts ("ça ne mène à rien... il faut un vrai métier !" lui assène le père d'Adèle), elle est un peu enfant gâtée, discute avec son agent et ses clients avec une pointe d'arrogance et est entourée d'amis ultra branchés qui méprisent un peu Adèle et son boulot. Adèle se sent complexée vis-à-vis d'eux et en outre vit son amour dans la clandestinité : elle ne parle d'Emma que comme d'une simple copine à ses parents et ses collègues... Peu à peu, l'incompréhension se creuse, des rancoeurs, un éloignement...

Les actrices sont tout simplement sublimes. Un mot qui ne plaît qu'à moitié, car tellement galvaudé... Mais que dire d'autre. Synonymes : beau, divin, admirable, fascinant, grandiose, merveilleux, monumental, prodigieux... On peut tout prendre. Adèle m'a presque fait pleurer et Léa, que je critique à longueur de billets sur ce blog, m'a enfin conquise ! Quel charisme, quel regard ! Reste à savoir si je retrouverai plus tard cette magie dans ses prochains rôles... N'était-ce qu'une parenthèse enchantée ? J'espère que non ! J'adore détester un acteur et découvrir un jour que finalement il est sensationnel !

La petite Adèle passe de l'ado du début, brouillonne, cheveux en pétard, fringues informes, à une jeune femme épanouie, mûre, féminine. On y croit à 100 %.

J'aime aussi la réalisation de Kechiche, caméra à l'épaule, au plus près des acteurs, gros plans serrés, travellings, des extérieurs un peu froids, mais des portraits, des moments familiaux et amoureux plein de chaleur et de sensualité.

Une belle et grande histoire d'amour, à la fois tellement banale, mais tellement magique (comme l'amour, "parce que c'était lui, parce que c'était moi" disait Montaigne).

Donc j'ai adoré.

MAIS...

... il y a ces scènes de sexe, très crues, et trop longues, qu'on pourrait qualifier de pornographiques si elles n'étaient filmées avec un grand esthétisme. Ca me gêne, moi. Bien sûr, elles sont nécessaires, puisque le sexe est un élément essentiel du couple, mais on peut suggérer beaucoup de choses, en touches légères, sans montrer un vrai kamasutra des amours saphiques ! L'intime doit rester intime. Surtout dans un film qui, finalement, est si romantique ! Je me suis interrogée sur ma pudibonderie. Pourquoi l'intime doit-il rester intime après tout ? Ne faut-il pas être plus "moderne" quand à l'exposition de ces choses ? Mais nos ancêtres, depuis des milliers d'années, ont établi des tabous, qui sont bien souvent nés de raisons très pratiques (pas d'inceste... à cause des enfants anormaux qui peuvent naître de la consanguinité) ou bien de règles sociales pour structurer la vie en groupe et éviter la dislocation. Les tabous aujourd'hui sautent les uns après les autres. Curieusement, au fur et à mesure, on assiste à la déliquescence de la société occidentale... On verra bien. Ma réaction est peut-être excessive, mais j'aime que la société ait des règles. Je ne vois pas comment elle peut fonctionner sans ça... Bref, ces scènes sont inutiles, ou du moins beaucoup trop crues. On n'a pas besoin de voir ces demoiselles se léchouiller pour comprendre... Ca met mal à l'aise. Et puis on se dit : "Mais comment ont-elles pu tourner ça ?". Les techniciens ont dû prendre leur pied... On "sort" du film, et c'est dommage. On trouve même soudain que Kechiche est un gros macho ou un gros myso, je ne sais pas.

Voici ce que dit le réalisateur : "Nous avons donc tourné ces scènes comme des tableaux, des sculptures. On a passé beaucoup de temps à les éclairer pour qu’elles soient vraiment belles, après, la chorégraphie de la gestuelle amoureuse se fait toute seule, avec le naturel de la vie. Il fallait les rendre belles visuellement donc, mais tout en gardant la dimension charnelle. (...) On a beaucoup discuté, mais les discussions finalement ne servaient à rien (...) parce que tout ce qu’on dit est très intellectualisé, mais la réalité est plus intuitive."

Deuxième petit problème, SPOILER c'est quand même un peu trop long, surtout vers la fin, avec les diverses tentatives d'Adèle pour reconquérir sa belle. On aimerait bien que ça marche, mais on voit bien que c'est fichu... alors on s'ennuie un peu à voir la caméra s'attarder sans fin sur le visage décomposé d'Adèle. FIN DU SPOILER.

Le film, on le sait, a connu un immense succès et il le mérite. Les actrices ont par contre lancé un pavé dans la mare en confessant avoir été "maltraitées" par le réalisateur, avec lequel elles disaient ne jamais vouloir retravailler. Kechiche a été extrêmement blessé par ces propos et a même annoncé qu'il arrêtait le cinéma. A priori, il a changé d'avis, et c'est tant mieux. A mon avis, il dissèque si bien les sentiments et les émotions - surtout s'agissant d'un film d'amour - qu'il m'est difficile d'imaginer qu'il soit méchant ! Peut-être est-il dur avec ses acteurs, qu'il les malmène un peu pour obtenir le meilleur d'eux-mêmes. Peut-être faut-il brusquer un peu une actrice pour qu'elle arrive à pleurer avec "sincérité" ! Peut-être multiplie-t-il les prises parce que c'est un perfectionniste, et c'est comme ça. Mais n'est-ce pas le boulot de l'acteur de nous faire croire à son personnage ; n'est-il pas que l'instrument du réalisateur ? Je ne dis pas qu'il faille le torturer, mais quand on signe pour un film, qu'on connaît le scénario et le réalisateur, il me semble qu'il ne faut pas cracher dans la soupe et s'attendre systématiquement à se voir chouchoutée comme une starlette. Ce n'est pas digne de grands acteurs. Ceci dit, on ne sait pas ce qui s'est passé sur le tournage ; d'autres cinéastes (Pialat...) avaient des réputations de tyrans... OK. Mais après tout, quand vous êtes employé dans une entreprise, vous tombez aussi de temps à autre sur des sacrés caractériels. Elles s'en remettront, les mignonnes... non ? D'ailleurs, si ça avait été aussi terrible, elles auraient porté plainte ; ni l'une ni l'autre ont la langue dans leur poche (façon de parler...). D'ailleurs Kechiche a dit avoir proposé plusieurs fois à Léa Seydoux de quitter le tournage, et les comédiennes Mélanie Thierry et Sara Forestier auraient été approchées. Mais l'actrice a voulu continuer.

A savoir : le film est adapté d'une BD Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh.

Je vais aller voir sur Internet les critiques, non pas pour voir ce qui se dit film, puisqu'il a été encensé par tous et multi-récompensé. Mais pour observer les réactions concernant les scènes de sexe.

Côté professionnel, personne n'aborde la question. C'est du grand Kechiche, point barre. Parmi tous les commentaires lus, j'ai aimé cette phrase : "Entre ses mains, l’amour, cette grande aventure, devient thriller" (TéléCinéObs).

Les spectateurs eux se classent en deux, ceux qui détestent le réalisateur et son naturalisme, et ceux qui l'adorent. Et parmi ces derniers, la plupart n'ont pas aimé les scènes hard, incongrues et tellement longues qu'ils se demandent si Kechiche ne se fait pas tout bonnement plaisir. Voilà, c'est un peu mon avis.

Un film à voir absolument en tous cas, mais si vous êtes un(e) grand(e) pudique comme moi, fermez juste les yeux dès que les filles se déshabillent (il n'y a que deux scènes très hot en fait). En même temps... esthétiquement parlant... c'est très beau.

Elles n'avaient pas l'air traumatisées par leur réalisateur, là...