Deuil, larmes et ressassement. Le même jour la narratrice du livre a perdu son père et rompu avec son amant. Elle entreprend un long soliloque où elle remue ses pertes, fait renaître son père en elle, accable son amant, Morgue, cet homme coupable de ne pas savoir répondre à un amour absolu.
Un drôle de type que ce Morgue. Un intellectuel hautain, égoïste, prétentieux, matérialiste, manipulateur, tellement ignoble qu'on se demande ce que la narratrice avait pu lui trouver, avant leur rupture.
En tout cas, pour elle, il est le seul responsable de leur échec amoureux et se révèle en absolue opposition avec le père, figure idéalisée de l'amour absolu.
Ce double deuil ne veut pas être résolu. La narratrice le ressasse avec délectation, jouissant de son amertume, de la souffrance qu'elle lui propose, et qui semble à l'unisson d'une douleur essentielle.
Peut-être celle qui nait du déchirement de pays, de langue. Le père vietnamien représente le pays de l'enfance et sa langue, disparus corps et bien pour la fille qui écrit en français. Morgue au contraire incarne la langue française, sa séduction, et sa résistance passive, l'incapacité de cette langue à accepter complètement la narratrice, à se mettre complètement à son service.
Linda Lê a une belle écriture, sèche, rapide, musicale, hypnotique et personnelle, dans laquelle on reconnaît ici et là l'influence de Thomas Bernhard.
Linda Lê, Lettre morte, Christian Bourgois éditeur