Caspar David Friedrich (Greifswald, 1774-Dresde, 1840),
Paysage d'hiver, probablement 1811
Huile sur toile, 32,5 x 45 cm, Londres, National Gallery
Lorsque l'on pense à Franz Schubert, c'est naturellement le compositeur de Lieder ou de musique pour clavier et, plus largement, de chambre qui s'impose à l'esprit, puis le symphoniste, son Inachevée jouissant auprès du public d'un succès qui ne se dément pas. Malgré la popularité de son Ave Maria et celle, plus relative, de deux de ses messes (en la bémol majeur D 678, 1822, et en mi bémol majeur D 950, 1828), il est rare que l'on songe instinctivement à sa production dans le domaine sacré, qui compte tout de même une quarantaine de pièces, dont six messes et un unique oratorio inachevé, Lazarus.
La genèse de cette partition qui occupa Schubert dès le mois de février 1820 demeure un mystère, tout comme sa destination et les raisons de son inachèvement. Le fait que l'on en conserve une copie autographe très soignée semble constituer un indice à peu près certain qu'une exécution était envisagée et certains chercheurs ont avancé que l’œuvre aurait pu être conçue pour l'inauguration d'une faculté protestante de théologie de Vienne, la Protestantisch-theologische Lehranstalt, prévue à Pâques 1820 mais qui fut reportée d'un an, sans l'autorisation, cette fois-ci, qu'elle se tienne en public. Schubert entretenait des liens avec cette institution, tout comme l'auteur du livret de Lazarus et si aucun élément ne vient étayer de manière irréfutable l'hypothèse de cette commande, elle est indiscutablement séduisante. Autre étrangeté, le texte que le musicien retint pour son oratorio était, pour le moins, une vieillerie ; écrit par le poète et théologien originaire de Halle, August Hermann Niemeyer (1754-1828), d'après l'Évangile selon Saint Jean (11, 1-45), il avait, en effet, déjà été mis en musique par Johann Heinrich Rolle (1716-1785) l'année même de sa parution, en 1778, et n'était parvenu à Vienne qu'à la faveur d'une visite de son auteur en 1811. On peut gager qu'outre le renommée de ce dernier, la volonté du ou des commanditaires ne fut pas totalement étrangère à ce choix assez particulier.
Des trois « actes » qui composent Lazarus, Schubert ne mit en musique que les deux premiers, sa
partition s'interrompant brusquement après quelques mesures d'une aria de Marthe (« Hebt mich der Stürme Flügel » : « que l'aile des tempêtes m'emporte ») dans
le second.
Serviteur très inspiré du répertoire romantique allemand, en particulier de Mendelssohn pour lequel ses enregistrements
font autorité, Frieder Bernius a choisi d'aborder Lazarus à la tête des deux ensembles qu'il a fondés, le Kammerchor et la Hofkapelle de Stuttgart, ce dernier jouant sur instruments
anciens, une option qui fait immédiatement la différence entre cette version et les autres (on pense, par exemple, à celle de Helmuth Rilling), le travail sur la couleur auquel s'est livré
Schubert acquérant immédiatement ici toute sa portée et toute sa saveur. Contrairement à Rilling, Bernius a également décidé de s'en tenir strictement à la partition existante sans recourir à
la complétion due à Edison Denisov, une démarche cohérente avec l'optique « historiquement informée » qu'il défend. Le résultat est de très haute tenue et l'on est encore plus
admiratif en constatant qu'il s'agit d'une captation en concert, car qu'il s'agisse des solistes, du chœur ou de l'orchestre, tout y est impeccablement en place et d'un engagement constant qui
ne fait pour autant jamais l'impasse sur la précision.
Il me semble donc que l'on peut parler, avec cet enregistrement, d'une lecture magistrale qui distance assez nettement, malgré leurs qualités propres, celles qui l'ont précédée et à l'aune de laquelle il faudra désormais apprécier celles qui viendront. Si vous désirez découvrir un pan assez peu fréquenté de la production de Schubert, je vous recommande sans hésitation ce Lazarus aussi soigné que vivant après l'écoute duquel vous souhaiterez peut-être, comme moi, que Frieder Bernius se penche maintenant sur les messes du compositeur viennois.
Sarah Wegener (Marie) & Johanna Winkel (Marthe), sopranos
Sophie Harmsen (Jemina), mezzo-soprano
Andreas Weller (Lazare) & Tilman Lichdi (Nathanaël), ténors
Tobias Berndt (Simon), basse
Kammerchor Stuttgart
Hofkapelle Stuttgart
Frieder Bernius, direction
Extraits proposés :
1. Aria (Nathanaël) : « Wenn ich ihm nachgerungen habe »
2. Aria (Jemina) : « So schlummert auf Rosen »
3. « Wo bin ich » (Simon)
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Illustrations complémentaires :
Carl Theodor Demiani (Dresde, 1801-Hambourg, 1869), August Hermann Niemeyer, 1828 (détail). Huile sur toile, dimensions et localisation non précisées
La photographie de la Hofkapelle Stuttgart avec Frieder Bernius à sa tête est de Giacinto Carlucci.