Xavier Dolan signe le cinquième long-métrage de sa jeune carrière avec « Mommy ». Rarement la critique médiatique n’aura été si unanime en 2014 pour souligner une virtuosité cinématographique. Quid des spectateurs ? Tous, en tant que mères ou en tant qu’enfants voire en qualité de jeunes-parents, avons une ou plusieurs manières sensibles d’être pris dans la spirale du cinéaste Xavier Dolan. Le réalisateur l’a bien compris et concrétise un projet de près de 2h20 où le fil rouge, tendu et variable, reste cette saisie des émotions.
Une passion fulgurante qui, à bien des aspects, a su convaincre le Blog La Maison Musée bien plus que de nous avoir persuadé. D’une part, une conviction profonde d’une qu’il s’agit d’une « oeuvre » où la volonté est celui d’un film d’émotions. Il engage, du coup, des positions ou des identifications qui à bien des aspects mèneront une vision personnelle dans ces impressions. D’autre part, une persuasion certaine que Mommy laissera de côté un public moins impliqué. Une minorité lasse des éléments saillants critiquables qui, du coup, à défaut d’un « prodige » (L’Express) ou d’un « coup de maître » (Melty.fr) du cinéma, justifient une appellation de « bon film » ou de « très bon film ». Un équilibre parfait ? Soulignons l’audace d’une réalisation maîtrisée, digne d’une vision d’esthète inspiré. En guise de nuance, l’existence d’une violence visuelle et émotionnelle estompe grandement la fresque de près de 140 minutes offertes par Xavier Dolan. Enfin, dans ces hauts et bas, ce sera finalement toute la dimension fictive et la côté concret d’une mosaïque de thèmes humains et, quelque part, aborde un certain « déjà-vu ».
Le « carré parfait » (Format 1:1) et le trio complémentaire
Dans la mêlée des critiques, les interprétations ne manquent pas de commenter le parti-pris d’un format inhabituel, pour nous autres, amateurs du cinéma actuel. Vous lirez qu’il s’agit de mieux épouser la morphologie de ses acteurs; d’un refus net des conventions; d’un véritable jeu cinématographique; d’un hommage au monde du cinéma associé à un souci esthétique …
Une scène clef qu’immortalisera le poster Francophone de Mommy.
La forme de Mommy est un petit peu de tout cela avec, il faut l’avouer, une prédominance d’un choix délibéré en l’honneur des premiers balbutiements du cinéma, rien que cela. Synthétisé sous l’appellation de « Carré parfait« , quasi la totalité de Mommy obéit à ce que l’on pourrait identifier comme une manie esthétique. D’essence photographique principalement, le réalisateur s’impose une contrainte qu’il métamorphose en qualité. L’attention visuelle se focalise davantage sur ce que souhaite exactement démontrer la réalisation. L’oeil, sans cesse au coeur de la projection, doit se réaccoutumer à une forme qui ne lui est pas « naturelle ». La conséquence logique est celle de capter une audience sur des visages, des portraits avec, au passage, une signature presque démiurge. La mise en scène et les décors n’en sont pas affligées et ce sont de nouvelles astuces, le goût d’images parfaites en passant par une retranscription toujours « à l’essentiel ».
Trois personnages complémentaires forment le noyau dur de la galerie des « portraits » de Xavier Dolan. De gauche à droite : Anne Dorval; Antoine-Olivier Pilon et Suzanne Clement.
De ce format désuet, le réalisateur Canadien nous rappelle qu’il n’y a pas de forme sans fond. Et qu’au passage, une réduction de la dimension n’entraine pas une diminution des personnages saisis. Trois existences imparfaites seront amenées à croiser leur route dans ce « Canada fictif » comme nous le précise quelques phrases préliminaires de Mommy, juste avant son long souffle de plus de 2 h. D’après le titre, Diane Desprès (Incarnée par Anne Dorval) est le personnage féminin clef en son rôle de mère. Ce statut, complexe et compliqué, n’aurait de sens sans l’énergumène Steve Desprès (Rôle endossé par Antoine-Olivier Pilon) que l’on qualifie de « vague » hyperactif … Mais qui s’avère être une personnalité troublée 3 années plus tôt par la perte d’un père décrit comme « attachant ».
Xavier Dolan ne s’évertue pas à filmer des milieux aisés pour nous conter la relation émotionnelle d’une mère et de son fils. Ensemble, et contre la législation en vigueur de ce Canada fictionnel, l’une fait le choix de rééduquer, maintenir et sauver son fils d’un avenir sombre pour les individus considérés comme « malades mentaux » : l’hospitalisation puis l’internement. Malgré toute la bonne volonté de Diane, son fils est défini par sa marginalité; ses troubles à l’ordre public; ses excès émotionnels et son manque de mesures. Une véritable boite de Pandore dont la prise en charge nécessite un temps d’attention plein; une école à domicile et un revenu financier suffisant pour 2 personnalités bien trempées. Kyla, (Interprétée par Suzanne Clement) voisine du duo, sera un véritable contrepoids dans leur vie familiale. Diplomée; issue d’un milieu modeste voire élevé et toutefois d’une timidité maladive; elle inspirera l’ordre tout en s’imprégnant de la marginalité de Steve …
Mommy ne délivre pas un message bien-pensant. Sans cesse, l’écriture du scénario joue sur la notion de nuances et, ainsi, ne prend à aucun moment parti pour les attitudes de la mère ou des actes troublants du fils. L’idée de perfection du format irait jusqu’à masquer une histoire faite en nuances de teintes grisâtres. Face aux difficultés financières de la mère. Parce qu’il n’y a pas le choix ou plutôt il y a eu une décision courageuse de conserver la tutelle de Steve, l’élément perturbateur.
La violence des émotions
Pleurs, cris mais aussi moments de tendresse forment les fondations émotionnelles du film. Outre cela, la production oscille entre les hauts et les bas des sentiments humains. Entre sensations d’oppression et d’évasions, il souffle comme un air de « nouvelle vague » dans la création de Xavier Dolan.
Les sentiments influent sur le moral des personnages … Et sur le format. Surprise pour les futurs spectateurs !
Mommy use de presque tous les ressorts émotifs possibles et ce, jusqu’à l’épuisement. Oui, Mommy se définit par une violence rendue parfois encore plus insupportable par ce fameux format parfait. Ce n’est pas par moral prudhommesque mais difficile de ne pas avouer une forme de choc au moins quant aux scènes finales à propos de Steve ou de coups de sang choquants. Ils ont leur intérêt narratif, ils rajoutent beaucoup d’équilibre à notre appréciation des personnages, mais n’en restent pas moins « choquants » par des dialogues bien crus, parfois répétitifs. Or, si l’effet est certain, si notre rétine imprime irrémédiablement ces photographies, le résultat … se discute sur la manière d’enrichir le film émotionnel. (Cf. Scène de dispute entre Kyla et Steve, assez « violente ».)
« Born to die » de Lana del Rey ferme la bande son du film.
Xavier Dolan ne remportera malheureusement pas la palme d’or de la meilleur bande son de l’année. Elle se trouve parfois raillée ou ralliée à des séquences-souvenirs importantes (Céline Dion dans Mommy) mais reste terriblement plate et décevante. Pour renforcer la force de scènes extérieures, utiliser du Green Day n’est pas forcément le meilleur des raccourcis par exemple. Dommage, car il y avait matière à rendre ces mois de tournage encore plus symboliques et plus lyriques encore.
Il ne semble pas inadéquat de parler d’une « inspiration » issue du mouvement de la « nouvelle vague » Française dans Mommy tout particulièrement. Par rapport à ce sentiment de « filmer pour filmer », Xavier Dolan ne dégage pas de la prétention : chaque élément, même purement esthétique, se rattache à la tension dramatique et scénaristique. L’implicite domine (Kyla reste un personnage dont le spectateur sait peu de choses) et contribue à la grandeur d’une élégance. En contrepartie, les quelques 140 minutes auraient gagné à moins de lourdeur par des passages à l’intérêt moindre. (Cf. Scène de la banque et des « coupures de 20″ …)
Au reste, Xavier Dolan démontre à ses nouveaux comme anciens spectateurs que l’esthétique est une donnée clef de son identité. Parfois répétitif par de nombreux ralentis; épanouissant par ses scènes extérieures; jamais le style ne se veut « pédant ». Une chose rare dans la manière d’amener et de confiner son spectateur dans une direction de l’image si maniée. Il y aurait des centaines exemples pour cela, allant des scènes « rêvées » et aperçues en songes jusqu’à des jeux troublants (Changement de format) et l’importance de l’angle. (Scènes finales où Steve téléphone à sa mère : l’absence de libre-arbitre selon le point de vue …) L’équilibre est présent par des espaces de rire allant jusqu’à l’état d’extrême limite de Steve; l’indicible malheureusement perturbé par des temps-morts ou creux … Là où la persuasion des uns échouera, une pleine conviction nous a amené « dans » la vision du scénariste-réalisateur-auteur des sous-titres Xavier Dolan.
Une fiction sociale acerbe ?
On le sait : il n’y a a pas pire critique et du coup peu voire pas de meilleurs moyens que de dénoncer des faiblesses d’une société en créant une image imparfaite ou utopique. Note liminaire à Mommy, Xavier Dolan propose un monde, sa vision et des thèmes qui lui sont chers d’un futur proche.
Si la société vous permet de ne pas être coupable de déléguer votre responsabilité de l’éducation et de la garde de votre enfant, êtes-vous pour autant un mauvais fils … Et une mauvaise mère ?
L’écriture y est pleine de subtilités. Elle est emprunte « d’espoirs » de vies que l’on sent dessoudées, contraintes aux pires extrémités. Y compris par ses sens, Mommy est quelque chose de difficile. Pourtant, le réalisateur dresse un paysage où l’être humain est responsable de ses choix : une mère se bat, contre vents et marées, pour conserver des cadres dignes de son enfant. Même si cela revient à multiplier les emplois, à affronter un enfant hors du commun, à se confronter au regard difficile de presque tous et toutes. Au bout d’un chemin pavé d’irrégularités – et non pas de coups du sort -, l’espoir y est idéalisé. En rêves, semble apparaitre un jeune homme (Sous les traits de Xavier Dolan ?) qui ira à l’Université d’Arts qu’il convoite, le modèle familial d’un enfant qui obtiendra une meilleure éducation – et donc de meilleurs revenus – et au bout, le bonheur d’une famille formée par un mariage.
Le regard des autres est balayé par notre jeune Steve. En dépit de ses sautes d’humeur, il incarne la volonté-brisée. Cassé et casé par ses pairs, (Scène du Caddie sur le route; scène de Karaoké) le conformisme le caractérise comme l’élément perturbateur. Or, à part de brefs apartés (Offerts par Kyla), Steve est un charisme broyé. Il en est autant victime que responsable, effet parfaitement offert par le réalisateur. (Excès raciste de la scène du taxi)
L’interprétation de chaque rôle est voulue – et sentie – comme naturelle. Une véritable connexion d’orfèvre en dépit de fortes différences.
De Mommy, il y aurait de nombreuses (re)lectures, de multiples manières d’interpréter le fond et la forme. Ce fut un plaisir. Si certain qu’il nous a pris par les sentiments entre l’hommage vif, respectueux et modeste au cinéma. Moins persuasif par les liens parfois creux, parfois mal articulés et longs sur la durée, Xavier Dolan cultive un bon goût qui le sert et qui définit son style, sa manière de concevoir le cinéma par une mise en scène créatrice. Non pas nouvelle mais digne de s’imposer et de « cultiver sa singularité ». La forme ne suffit pas et du côté du fond, quelques portraits pourraient être relus, eux aussi, de mille et une manières. (Avec un passage marqué de Patrick Huard, acteur principal dans Starbuck !)
L’esthétique de Dolan, là où la beauté n’est habituellement pas ou peu présente au quotidien.
L’absence de notation n’est pas une erreur. Elle signale simplement une si grande subjectivité, et un attachement au travail de Xavier Dolan, pour que nous en estimions les qualités et les défauts, en admettant aussi, que le film ne provoquera pas l’unanimité. L’émotion, certes, prend une tournure authentique voire naturelle. Elle se teinte d’une violence, d’une forme d’oppression et d’une telle singularité qu’elle engage une opinion personnelle. La votre, la notre, dans l’appréciation globale d’un « bon film », d’un « très bon », selon votre sensibilité, tout en prenant compte des défauts. Car ils existent et l’oeuvre parfaite est souvent une question de point de vue.
On a aimé :
+ Une maitrise de l’image
+ L’hommage au cinéma et le parti-pris du format 1:1
+ Les nombreux thèmes
+ Des portraits et un scénario tout en nuance
+ La connexion formelle puis sensible des spectateurs.
+ Les « jeux » effectués vis-à-vis de la forme.
On a détesté :
- La bande son, totalement en défaveur de l’oeuvre.
- Les moments de violence parfois discutables.
- Des temps creux qui desservent les « non-dits », l’indicible.