J'ai pris un peu, relativement, mon temps avant de partir ce matin. Le temps de jeter un dernier coup d'oeil à cette ville de Porto que je n'ai vraiment fait qu'effleurer, c'est vrai, mais dont j'ai apprécié quand même les petites rues en pente, les places et le petit verre de Porto, bien sûr, que je me suis offert hier soir.
Mais le décor change vite et finies les petites rues et le centre historique. Me voilà replonger dans une banlieue pas bien jolie. Le voilà sans doute mon moment "ingrat, ma "Meseta" de ce chemin portugais.
Certes, cela ne durera qu'une vingtaine de kilomètres, mais sur les immenses lignes droites de centre commerciaux ou de zones industrielles qui rythme ma matinée, je dois me réfugier dans mes pensées. Le décor n'invite pourtant pas vraiment à la rêverie.
Contrairement à la route rectiligne, mes pensées vagabondent alors en zigzag. Je dois me forcer à les aiguiller.
Leur éviter les impasses de revenir vers mes amours déçus, vers les craintes et les incertitudes. Me forcer à les concentrer sur les projets, à court et moyen termes, vers ce qui me fait avancer. Et de fait, ainsi j'avance, sur cette route un peu morne comme dans la vie. "Même si cette quête est insensée, je cours pour me sentir vivant". Même sur une route de banlieue sans charme, qui débouchera bientôt sur une heureuse campagne.
Mon pas est bon aujourd'hui. J'en suis presque surpris, car la fatigue commençait à peser. Je me réfugier aussi dans la musique. M'aperçois d'ailleurs que certains morceaux, certaines chansons resteront ainsi associés dans ma mémoire aux lieux où je les ai écouté. Une chanson d'Alexandre Beaupain sera liée à un pont et une rivière, même si elle n'en a aucun rapport, un slam de Grands Corps Malade à la banlieue de Porto, c'est un peu plus logique.
Après une petite pause déjeuner, où je rencontre, fait extraordinaire sur ce Camino solitaire , plusieurs pèlerins, je suis tout de même heureux de retrouver la campagne, les eucalyptus, une jolie rivière.
Mais mes pèlerinpèlerins de midi me m'annonçaient: je suis entré dans un autre chemin. Les auberges de pèlerins sont à chaque village, les cafés font tous référence au Santiago. Et effectivement, je double quelques pèlerins. Je profite de la campagne, mais mes pieds un peu moins: me voilà revenu au pays des petits pavés. Ils me font vraiment mal aux pieds
Tant pis, j'avance quand même en profitant du paysage.
Mais aujourd'hui, je vais moins loin. Une auberge, toute récente car pas sur mon guide, me fait de l'oeil à San Pedro. A peine 38 kms mais tant pis, j'irai plus loin demain.
Bien m'en prend. Je suis presque effrayé par cette quantité de pèlerin, moi qui me suis habitué à ce périple solitaire. Le gîte est rempli, ça arrive de partout. Mais en fait, c'est un vrai plaisir, que j'avais presque perdu: rencontrer des gens qui cheminent aussi. Un jeune japonais pour qui les chemins de Saint Jacques sont un défi pour briser la timidité des japonais à communiquer avec autrui, un portugais de mon âge , qui a négocié break avec son emploi trop prenant: trois semaines pour se retrouver sur le chemin.
Et puis le meilleur pour la fin de soirée. Derek, un écossais idéaliste, grand voyageur, qui regrette que l'ecosse , son pays, ne soit pas devenue indépendante vis à vis de l'Angleterre alors que cela promettait un autre modèle social, plus d'entraide et moins de libéralisme triomphant, un modèle plus 'à la française" , même si les français ignorent leur chance.
Et puis, aussi et surtout peut être, Marguaud et Guapa. Marguaux, c'est une jeune française qui, ses études terminées, s'accorde une pause, un long voyage sans date de retour bien précis qui a commencé il y a trois mois sur le chemin de Saint Jacques, à Figeac. Elle va poursuivre ainsi jusqu'à Lisbonne, puis aller au Maroc et ensuite en Amérique du Sud.