Abraham Lincoln définit la démocratie comme « le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ». En cela, il met l'accent sur la nécessité pour les gens de prendre en charge les questions qui déterminent leur destin et suggère un lien direct entre le gouvernement et le peuple. Dans son livre « la fin de la pauvreté », Jeffrey Sachs soutient que la démocratie est une condition préalable au développement économique. Selon lui, un régime qui est despotique, arbitraire et sans foi ni loi, peut facilement détruire le développement.
Dans le contexte africain, alors que la démocratie demeure un aspect crucial pour le développement, ce n'est pas seulement la démocratie, du moins telle qu’elle est pratiquée dans certains pays, qui garantira le développement. Adeolu Oyekan observe généralement que : « bien qu'aucune société aspirant véritablement au développement ne peut ignorer la démocratie, les expériences démocratiques dans beaucoup de pays du tiers monde laisse un énorme fossé entre les gains attendus de la démocratie et la réalité sur le terrain ».
Si des pays comme le Botswana, Maurice, le Ghana et le Sénégal, entre autres, semblent être des « modèles » de démocratie en Afrique, ils présentent des résultats mitigés. Par exemple, tandis que le Botswana et Maurice semblent donner satisfaction, au Ghana et au Sénégal la corruption et l'inefficacité du gouvernement sont rédhibitoires. Dans des pays comme le Cameroun, la Gambie, le Nigeria, le Rwanda, la Tanzanie, le Togo et l'Ouganda, les élites politiques ont bloqué le processus d’une véritable démocratisation. Ainsi, des élections défectueuses, des partis politiques faibles, des organes judiciaires et législatifs au rang de figurants, des commissions électorales partiales et des organisations de la société civile faibles ne peuvent créer aucun changement.
Comment la démocratie peut garantir le développement ?
Premièrement, les citoyens doivent être autorisés à avoir le dernier mot quant à la conception et la mise en œuvre des politiques affectant leur vie par le biais de leurs représentants. C'est pourquoi Claude Ake, dans son ouvrage « La faisabilité de la démocratie en Afrique », souligne à juste titre que : « lorsque le développement se démocratise de sorte que les gens deviennent en même temps ses agents, ses moyens et sa fin ; à ce moment là, le développement sera concrétisé ».
Deuxièmement, la bonne gouvernance doit accompagner la démocratie. Cela permettra d'assurer l'existence de normes démocratiques reconnues et entretenues par les citoyens et leur gouvernement. Ce dernier doit être proche des gens en impliquant les citoyens dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques et des programmes qui les concernent. Par conséquent, l’état de droit, l'inclusion, la responsabilisation, la transparence, la méritocratie, la protection des droits de l'homme et des libertés, et la fin de la corruption doivent être les normes.
Troisièmement, la séparation claire des pouvoirs entre les organes gouvernementaux. La concentration du pouvoir et la centralisation sont un lieu commun en Afrique et il est donc difficile d'affirmer catégoriquement la différence entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Les contrôles et les contre-pouvoirs devraient être institutionnalisées au sein de la classe dirigeante et entre gouvernants et gouvernés pour assurer le partage des coûts et les bénéfices du développement.
Quatrièmement, la démocratie doit être accompagnée de tous ses ingrédients essentiels, entre autres : pluralité, des élections régulières libres et équitables, des contrôles et des contrepoids, indépendance judiciaire, état de droit, reddition des comptes, transparence, pour garantir le développement. C'est parce que, une telle démocratie crée plusieurs centres de pouvoir lequel est partagé pour l'intérêt des citoyens.
Pourquoi la démocratie n’a pas pu garantir le développement en Afrique ?
La démocratie a besoin de faire partie d'une culture qui permet aux gens d'avoir leur propre autodétermination, conformément à leurs valeurs. Cependant, la démocratie actuelle en Afrique a été imposée de l'extérieur. Par conséquent, peu importe leurs bonnes intentions, certains dirigeants voient la démocratie libérale comme une extension de la supériorité occidentale. Si la démocratie est importée, elle ne tient pas compte des réalités locales et elle sera partielle et incohérente. C'est pourquoi Julius Nyerere a fait valoir que « la démocratie prêt-à-porter ou la démocratie Coca-Cola ne peut pas aider l'Afrique ». Quand il manque à la démocratie le respect de la propriété, il est difficile de garantir le développement.
Samuel Makinda dans « la démocratie et multipartisme en Afrique » conclut que « la plupart des tentatives pour introduire la démocratie à l'occidentale ont créé des problèmes pour les dirigeants et les électeurs qui n'ont aucune expérience de l'exploitation des systèmes politiques ouverts et concurrentiels ». Il déplore que cela « ait révélé les faiblesses des structures et de la performance des institutions publiques de nombreux États, et a montré le lien entre un régime autoritaire et les tensions politiques ». L’observation de la façon dont les partis pratiquent les élections révèle plus de problèmes que de progrès. La plupart des pays en développement souffrent de la faiblesse des partis politiques, de la société civile et du secteur privé. Ceux-ci ne peuvent pas promouvoir le développement car ils sont faibles, pauvrement institutionnalisés et discrédités par les élites politiques.
La démocratie et le développement sont des éléments inséparables. Il ne peut y avoir de développement dans sa conception globale si la démocratie est bloquée et vice versa. Par conséquent, si l’objectif de la démocratie est de garantir le développement, nous devons poursuivre la politique de la « nouvelle démocratie » qui signifie essentiellement donner le pouvoir au peuple. Les gens doivent prendre le siège du conducteur quand il s'agit d'examiner les questions qui déterminent leur destin. La nouvelle démocratie doit être complétée et renforcée par des institutions populaires, la participation populaire, la société civile, le secteur privé, les collectivités locales, les syndicats, les médias, et les groupes religieux, entre autres. Ceux-ci devraient agir pour unifier les gens tout en œuvrant pour le développement social, politique et économique. Les efforts de la communauté internationale devrait soutenir la nouvelle démocratie correspondant à ce que les gens voudraient et ne pas leur imposer ce qu'ils pensent et ce qu’ils veulent.
Marobe Wama, chercheur à l’institut pour la gouvernance et les sciences humaines et sociales, Université panafricaine, Yaoundé, Cameroun – Article initialement publié par African executive, traduction réalisée par Libre Afrique. Le 10 octobre 2014.