Thomas Porcher et Frédéric Farah 9 octobre 2014
Pour les promoteurs du traité transatlantique, la libéralisation des marchés de l’énergie entraînerait une baisse des prix qui serait bénéfique au pouvoir d’achat des consommateurs et à la compétitivité des industries. Elle permettrait également de diversifier les sources d’approvisionnement en Europe en remplaçant notamment le gaz russe par du gaz de schiste américain.
Enfin, en favorisant les échanges, le marché transatlantique stimulerait l’innovation et permettrait le transfert de technologies, ce qui bénéficierait au développement des énergies renouvelables et donc favoriserait la transition énergétique.
Malheureusement, ces arguments, vantant les vertus de la libéralisation comme une vérité objective, ne visent en réalité qu’à conforter la place actuelle des multinationales de l’énergie.
Le contre-exemple britannique
Premièrement, la structure de production et de consommation de l’énergie est fortement rigide et inerte. Car les coûts d’entrée y sont élevés à cause des infrastructures nécessaires – on n’ouvre pas une compagnie pétrolière comme on ouvre une épicerie – et la demande est faiblement élastique aux prix – on ne change pas de voiture ou de chauffage en fonction du prix de l’énergie.
Ces spécificités en font un secteur à tendance oligopolistique. Il suffit de regarder les conséquences de la libéralisation du secteur de l’énergie au Royaume-Uni en termes de tarification et de structure du marché.
Alors même qu’elle était considérée par la Commission européenne comme l’exemple à suivre, la libéralisation du marché de l’électricité britannique a accouché d’un oligopole de six entreprises qui se partagent le marché en absence de toute menace concurrentielle crédible. (1) Évidemment, les prix de l’électricité, alors qu’ils étaient censés baisser, ont augmenté.
On est loin des prévisions des experts de la Commission européenne lors de la création du marché unique. L’ouverture du marché transatlantique amènera probablement à une situation similaire avec un nombre de majors relativement limité, et déjà connu, qui se partageront les différents marchés sans que personne ne se lance dans une guerre des prix.
Une vision enchantée - et trompeuse - de l’économie de marché
L’autre argument avancé est que les énergies renouvelables vont se développer grâce aux innovations induites par les échanges et le transfert de technologies. Encore une fois, cet enchaînement révèle une vision enchantée de l’économie de marché.
La plupart des innovations ne sont pas nées du libéralisme économique, elles sont le fruit de politiques publiques d’investissement dans la recherche. Même Internet n’est pas le résultat du dynamisme des entrepreneurs et n’aurait jamais existé sans les années de recherche publique du Département de la défense américain.
De même, la transformation de la Corée du Sud, d’une économie exportatrice de produits bas de gamme en une puissance mondiale dans les secteurs de l’automobile ou de la sidérurgie, provient avant tout de choix politiques et pas de mécanismes générés naturellement par le jeu du marché.
D’ailleurs, il y a une dizaine d’années, certains économistes avançaient qu’avec l’augmentation des prix du pétrole, la transition énergétique s’enclencherait naturellement. L’idée de base était de dire que le prix du pétrole en augmentant allait permettre aux énergies renouvelables d’être plus rentables et donc de s’insérer dans le marché.
Encore une fois, l’histoire a démontré l’inverse, le prix du pétrole a été multiplié par cinq en dix ans sans que les énergies renouvelables prennent une place significative.
- Samedi 11 octobre, c’est la grande journée européenne de mobilisation contre TAFTA. -
Areva et Total, chantres de la transition énergétique ? Vraiment ?
Sans volonté politique, il n’y aura pas de développement des énergies renouvelables ni de fortes économies d’énergie. Certes, la politique publique idéale n’a pas encore été trouvée. Mais il est certain qu’elle doit promouvoir ces nouvelles énergies tout en encadrant la puissance des compagnies énergétiques historiques.
Comment peut-on nous faire croire que des négociations entre Areva, Exxon ou Total feront surgir une politique favorisant la transition énergétique. Le traité transatlantique ne fera que renforcer leurs positions déjà dominantes.
D’ailleurs, l’autre volet de TAFTA sur la protection de l’investissement confirme ce constat car n’importe quelle politique publique faisant la promotion d’une énergie particulière en imposant des restrictions à une autre forme d’énergie (comme la fermeture de Fessenheim ou l’interdiction de la fracturation hydraulique) pourra être perçue comme une barrière au commerce, et les entreprises concernées pourraient les contester auprès des tribunaux arbitraux.
Note
1- Boroumand (Raphaël Homayoun), « La dame de fer, la main invisible et la fée électricité », Le Monde, 15 juillet 2013.
Source : Thomas Porcher et Frédéric Farah pour Reporterre
Thomas Porcher et Frédéric Farah sont les auteurs de TAFTA : l’accord du plus fort.
Thomas Porcher est docteur en économie, professeur associé à l’ESG-MS et chargé de cours à l’université Paris-Dauphine (twitter : @porcherthomas).
Frédéric Farah, professeur de sciences économiques et sociales et chargé de cours à l’université Paris-Sorbonne nouvelle (twitter : @fredericfarah).
Photos :
. Chapô : Union solidarity international
. Dessin : Stop Tafta
Lire aussi : « Le TAFTA veut placer les profits avant l’intérêt des peuples »
http://www.reporterre.net/spip.php?article6404