Jon Kabat-Zinn : la pleine conscience et la non-dualité

Publié le 10 octobre 2014 par Joseleroy

Les éditions Arènes viennent de rééditer le maitre ouvrage de Kabat-Zinn : L'éveil des sens.

L'ouvrage a été augmenté des chapitres qui n'avaient pas été traduits de l'édition anglaise : Coming to our senses.

j'avais remarqué en lisant l'édition anglaise qu'il manquait en effet quelques chapitres importants dans le texte français notamment les chapitres sur la vacuité et sur la présence sans centre ni périphérie.

Dans l'extrait suivant, Kabat-Zinn décrit la non-dualité entre le sujet et l'objet : "Il est possible d'expérimenter la dissolution de la séparation entre sujet et objet. Il reste la connaissance sans connaisseur, la vision sans voyant, la pensée sans penseur, un phénomène imperson­nel se déployant simplement dans la conscience".

Clair n'est-ce pas?

jlr

"Notre point de vue découle inévitablement de notre point de vision. Comme notre expérience est centrée sur le corps, tout ce qui est appréhendé paraît lié à son emplacement, et connu à travers les sens. Il y a ce qui voit et ce qui est vu, ce qui sent et ce qui est senti, ce qui goûte et ce qui est goûté, en un mot, l'observateur et l'observé. Il semble exister une séparation naturelle entre les deux, qui va tellement de soi quelle est très rarement remise en cause ou explorée, si ce n'est par les philo­sophes. Lorsque nous commençons à pratiquer la pleine conscience, ce sentiment, qui revêt la forme d'une séparation entre l'observateur et l'observé, est maintenu. Nous avons l'im­pression d'observer notre souffle comme s'il était distinct de celui ou celle qui l'observe. Nous observons nos pensées. Nous observons nos émotions, comme s'il existait une réelle entité, un « moi » qui applique les instructions, qui observe et expéri­mente les résultats. Nous n'imaginons jamais qu'il puisse y avoir d'observation sans observateur, enfin, jusqu'à ce que nous tombions, naturellement, sans forcer, dans l'observation, l'at­tention, la compréhension, la connaissance. En d'autres termes, jusqu'à ce que nous tombions dans la présence atten­tive. Lorsque c'est le cas, même pour un très bref instant, il est possible d'expérimenter la dissolution de la séparation entre sujet et objet. Il reste la connaissance sans connaisseur, la vision sans voyant, la pensée sans penseur, un phénomène imperson­nel se déployant simplement dans la conscience. La plate­forme de vision centrée sur le soi, et donc autocentrée au sens le plus basique, se dissout quand nous demeurons réellement dans la conscience, dans la connaissance même. Il s'agit tout bonnement d'une propriété de la conscience, et de l'esprit, comme pour l'espace. Cela ne signifie pas que nous ne sommes plus une personne, mais que nos limites et notre répertoire se sont considérablement élargis et qu'ils ne se bornent plus à la séparation conventionnelle qui nous situe ici et le monde là-bas, et centre tout sur le « moi » en tant qu'agent, observateur, voire médiateur.

La vision plus vaste, moins égocentrique, émerge lorsque nous dépassons les frontières établies de nos cinq sens pour nous aventurer dans le paysage, ou devrais-je ajouter, le pays­age « spatial » ou « mental » de l'attention même - ce que nous pourrions appeler l'attention « pure ». C'est un phéno­mène qu'il nous a tous été donné d'apercevoir à un moment ou à un autre, dans une mesure ou une autre, aussi bref soit-il, même si nous n'avons jamais pratiqué la méditation au sens formel.

Mais la capacité à habiter une présence sans sujet, sans objet, non duelle (où il n'y a plus de « nous » qui « habite » quoi que ce soit) accroît lorsque nous nous consacrons sans réserve à être là. Elle peut également nous être subitement révélée prend les conditions sont mûres, souvent sous l'effet catalyseur d’une douleur intense ou, plus rarement, d'une joie intense, L’égocentrisme s'efface, la présence n'a plus ni centre ni périphérie. Il ne reste que la connaissance, la vision, la sensation, la perception, la pensée." Jon Kabat-Zinn, Ed. Arènes