« Pour sauver la France, le futur Président devra être
pro-européen. » (Valéry Giscard d’Estaing, le 9 octobre 2014).
Titre provocateur d’autant moins pertinent que Valéry Giscard d’Estaing considère que l’horizon 2017 est encore trop lointain pour se préoccuper des éventuelles
candidatures des uns et des autres. Pour lui, il ne faut pas s’en soucier avant dix-huit mois avant l’échéance, qui aura lieu à peu près en même temps que la future élection présidentielle
américaine (novembre 2016) qui déterminera le successeur de Barack Obama.
L’ancien Président de la République était l’invité de Laurence Ferrari à "Tirs croisés" sur iTélé le 9 octobre 2014. Il était l’invité de la matinale sur Europe 1 le 7 octobre 2014. A priori, il devrait
"faire" tous les médias pour assurer le service avant-vente de son nouveau livre "Europa, la dernière chance de l’Europe" préfacé par Helmut Schmidt, l’ancien Chancelier allemand qui était en
fonction pendant son septennat.
À 88 ans et demi, Valéry Giscard d’Estaing s’intéresse encore passionnément à la vie politique et aux
affaires de la planète. D’une voix de plus en plus chevrotante, délaissant la cravate, il a gardé l’esprit alerte et la réflexion intacte. J’admire un tel homme qui aurait pu, depuis au moins son
retrait officiel de la vie politique, en 2004, se reposer tranquillement, goûter aux joies de l’écriture, et ne plus apporter sa contribution, forcément très solitaire, à la marche du monde. Il
répond régulièrement aux invitations et était encore ces derniers jours à participer à une conférence auprès des étudiants de Paris Dauphine.
L’ancien Président a salué l’approbation de la désignation
de Pierre Moscovici comme commissaire européen, considérant qu’il avait sans doute les compétences pour la
fonction, mais il a mis en garde sur le fait que la Commission Européenne n’est pas l’élément moteur de l’Union Européen. La locomotive doit
rester, selon lui, le Conseil Européen, et il est bien plus difficile de prendre des décisions à vingt-huit aujourd’hui qu’à neuf ou à dix pays à son époque.
Valéry Giscard d’Estaing a bien compris que l’euroscepticisme avait gagné beaucoup de terrain, que l’abstention très forte aux élections européennes en a apporté une
nouvelle fois la preuve, tandis que Laurence Ferrari s’était un peu emmêlée avec les référendums, confondant le Traité de Maastricht, qui avait été ratifié par les citoyens français le 20 septembre 1992, avec le Traité constitutionnel européen (TCE), rejeté le 29 mai 2005.
Il considère que le seul moyen de sortir de ce marasme européen, c’est de finir ce qui avait été commencé, et
qu’un tel projet ne peut provenir que d’une initiative française. La France a toujours été à l’origine des initiatives fondatrices de l’Europe, que ce soit avec le Traité de Rome (Jean Monnet et
Robert Schuman) ou avec la monnaie unique européenne, l’euro, demandée par François Mitterrand et
Jacques Delors en compensation de la Réunification
allemande. Il regrette ainsi la passivité de son successeur François Hollande qui s’est beaucoup discrédité sur la politique européenne (dès
le TSCG).
Et quelle est l’idée principale de Valéry Giscard d’Estaing ? Que le monde est divisé en grands ensembles économiques et si les pays européens ne sont pas capables de s’entendre, chacun y perdra son influence et
son poids économique et politique. Que la souveraineté nationale ne peut pas s’affirmer en dehors d’une concertation européenne, sous peine de sa disparition au profit des puissances économiques
montantes.
La Chine, l’Inde, peut-être bientôt le Brésil, la Russie, seront des puissances qui vont rattraper économiquement les États-Unis (pour la Chine, c’est très bientôt), et l’Europe ne pourra survivre qu’avec
une intégration plus forte de ses structures économiques et sociales.
En clair, VGE propose qu’un noyau dur de l’Union Européenne, plus intégré, qu’il évalue à une douzaine
d’États, aillent plus loin dans l’harmonisation fiscale et budgétaire. À partir du moment où la monnaie est la même, il faut, selon lui, que les impôts soient les mêmes pour qu’il n’y ait pas un
pays qui profite plus qu’un autre d’attraction fiscale : les pays européens doivent rester unis et solidaires face aux autres puissances émergentes et pas se concurrencer eux-mêmes.
Le clivage est ainsi d’une grande clarté : d’un côté, les antieuropéens qui veulent jusqu’à sortir de la
zone euro voire de sortir de l’Union Européenne (avec pour conséquence la multiplication par deux ou par trois de la dette publique déjà pas mal invalidante) ; d’un autre côté, les
pro-européens qui veulent renforcer la zone euro en poursuivant l’intégration par une fiscalité harmonisée. Pour Valéry Giscard d’Estaing, cette opposition devra forcément se retrouver durant la
campagne de l’élection présidentielle de 2017, probablement avec le FN comme principal représentant des antieuropéens.
Le pire, en quelques sortes, c’est la situation actuelle de statu quo, où personne ne prend aucune
initiative, où la France et l’Europe se retrouvent au milieu du gué sans avoir la sécurité d’une des deux rives.
Mais que devient le peuple dans tout cela ? Eh oui, l’Europe doit se faire avec le peuple, sinon,
forcément, les citoyens "se rebellent" et s’opposent. Valéry Giscard d’Estaing suggère ainsi des référendums d’orientation. Pas une ratification d’un traité, oui ou non, les textes juridiques
étant de plus en plus complexes et pas forcément compréhensibles pour tous les citoyens. En revanche, les citoyens doivent donner des mandats simples et clairs aux gouvernants sur le type de
traité, éventuellement, à négocier pour la suite.
Ainsi, Valéry Giscard d’Estaing verrait bien une question de ce genre : êtes-vous favorable à une
fiscalité identique dans les pays de la zone euro ? Cela resterait effectivement vague dans la mise en œuvre qui sera forcément le résultat d’une négociation multilatérale, mais cela
recentrerait le débat public sur quelques questions essentielles et pas sur des détails qui pourraient se retrouver dans un traité de plusieurs centaines de pages.
C’est cette démocratie en amont qui a toujours manqué en France. Tous les référendums n’ont jamais été qu’une
démocratie en aval, du fait accompli, avec un projet bouclé, à prendre ou à laisser, et c’était déjà le cas sous le Général De Gaulle, les référendums sont par conséquent utilisés forcément de manière plébiscitaire, par les initiateurs (les
Présidents de la République) autant que par les électeurs (c’était assez patent le 29 mai 2005).
On pourra toujours évidemment parler d’une démocratie en amont lorsqu’on élit justement les représentants de
la nation (parlementaire et chef de l’État). Certes, mais justement, dans une société qui est en perte de valeur, en perte de repère, qui cultive une profonde défiance vis-à-vis de la classe
politique dans son ensemble, une classe politique qui ne s’engage pas à faire ce qu’elle promet avant les élections, il n’existe plus de personnalité providentielle, il n’existe plus de programme
voté réellement. Par conséquent, il faut que les gouvernants soient guidés par quelques grands principes fondateurs approuvés par les citoyens. Comme cette ambition européenne affichée par Valéry
Giscard d’Estaing.
Cela fait trente mois que François Hollande fait part de sa volonté de proposer une grande initiative
européenne d'un commun accord avec l’Allemagne. On attendait la fin des élections allemandes, puis on attendait la fin des élections européennes. Et toujours rien. Il est donc curieux que le
seul, dans la classe politique française, à se préoccuper de l’avenir de la France, ce soit finalement un vieillard qui aura plus de 91 ans lors des prochaines échéances nationales et pour qui
l’influence de son pays compte encore beaucoup.
Puisque Valéry Giscard d’Estaing ne peut plus être soupçonné d’arrière-pensées électoralistes (au contraire
de sa proposition de quinquennat), il serait salutaire que la classe politique actuelle l’écoute un peu
plus, faute d’être capable d’imaginer elle-même le futur national et européen.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le monopole du cœur.
Il y a 40 ans, l’élection à l’Élysée.
Bilan du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Non, VGE et Pompidou ne sont pas responsables
de la dette publique !
Charles De Gaulle.
Georges Pompidou.
François Mitterrand.
Jacques Chirac.
Nicolas Sarkozy.
François
Hollande.
François Bayrou.
Jacques Delors.
Qui pour 2017 ?
L’Union Européenne.
La construction
européenne.
Le
Nouveau Monde.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/giscard-l-europeen-en-piste-pour-157852