« Le territoire fait l'objet d'un débat en géographie, mais aussi dans l'ensemble des sciences humaines..
L'espace est une réalité physique, c'est un support qui renvoie pour l'essentiel à des rapports de production. Une certaine géographie en ressort. L'espace produit par le Système Monde ou une unité fonctionnelle déterminée par l'économie. Sur les marges du système monde, ou si l'on préfère "en dessous", tournerait l'anti-monde, sorte de monde "à l'envers", dont les définitions comme les perceptions sont diverses.
Cette vision, achèvement de la notion même d'organisation de l'espace, a laissé un certain nombre de chercheurs insatisfaits, en particulier ceux qui, précisément, s'intéressent à l'antimonde, aux espaces cachés et peu connus, ou aux sociétés de l'extrême-périphérie, qui n'entrent pas dans les logiques du Système Monde. Ces chercheurs ont rencontré d'autres systèmes de valeurs. Travaillant hors de l'espace du Système Monde, ils ont découvert son envers : le territoire.
Le territoire peut être défini comme l'envers de l'espace. Il est idéel et même souvent idéal, alors que l'espace est matériel. Il est une vision du monde avant d'être une organisation; il ressort plus de la représentation que de la fonction, mais cela ne signifie pas qu'il soit pour autant démuni de structures et de réalité. Il a des configurations propres, variables selon les sociétés et les civilisations, mais sa réalité ressort plus de l'analyse culturelle, historique et politique que proprement économique. Il n'y a alors rien d'étonnant à ce que ce soit des chercheurs travaillant sur des sociétés traditionnelles où les valeurs économiques ne sont pas les valeurs primordiales qui les premiers aient cherché dans le territoire ce que l'espace ne révélait pas. Le territoire n'est donc pas nécessairement le contraire de l'espace géographique, il le complète.
Le territoire est d'abord un espace d'identité ou si l'on préfère d'identification. Il repose sur un sentiment et sur une vision. La forme spatiale importe peu, elle peut être très variable. Le territoire peut même être imaginaire ou rêvé, comme dans les diasporas. Il peut être un cheminement, une constellation de lieux réunis par des pistes d'errance, comme dans les territoires aborigènes chantés plus que décrits par Bruce Chatwin, un système discontinu de pâturages comme chez les Touaregs (Bernus), une route de pirogues autant qu'un lieu- fondateur comme en Mélanésie. Ce peut être un coeur tout autant qu'une frontière ou tout au moins un balancement continuel entre le coeur et la frontière. Le territoire, c'est cette parcelle d'espace qui enracine dans une même identité et réunit ceux qui partagent le même sentiment. Dans ce sens, c'est bien un lien avant d'être une frontière »Le Territoire, Nouveau Paradigme De La Géographie Humaine ? JOEL BONNEMAISON.
(c'est moi qui souligne)
Donc Le terme d'habiter n'est pas neutre. On peut éclairer déjà le sens par l'étymologie :la racine latine « habitere » connote l'idée « d'avoir » de « demeure », de séjour et ainsi une dimension à la fois temporelle et spatiale : elle partage la même origine que habituari,(habiller ) et habitus « manière d'être ».Pierre Bourdieu fera ainsi de l'habitus un concept majeur de la sociologie : l'ensemble des cadres sociaux qui permettent à quelqu'un de durer et qui s'inscrivent dans le corps et dans les dimensions pratiques de l'existence.(manière de faire et d'être) : j'habite donc je suis.
L'habiter rencontre le « lieu », locus qui signifie d'abord endroit, place, (le grec topos) mais ajoute un autre sens celui de poser quelque chose, faire halte. On retrouve l'espace existentiel de Merleau-Ponty . le lieu est un être là et pas seulement un espace géométrique :un espace de vie de résidence par les opérations multiples des sujets : rapport à soi, à sa famille, à son histoire, aux autres, à la nature, à l'univers. Il condense des images, des sentiments, des valeurs et des significations.
«L'être humain ne peut pas ne pas bâtir et demeurer, c'est-à-dire avoir une demeure où il vit, sans quelque chose de plus (ou de moins) que lui-même : sa relation avec le possible comme avec l'imaginaire [...]. Si on ne lui donne pas, comme offrande et don, une possibilité d'habiter poétiquement ou d'inventer une poésie, il la fabrique à sa manière» H. Lefebvre
Ainsi les Sakalava de l'ouest de Madagascar :
A partir du XVIème siècle, clans et chefferies forment de multiples royaumes se partageant Madagascar . Trois d'entre eux, servis par leur dynamisme commercial et des rois ambitieux, se distinguent par leur expansion territoriale : dans l'Ouest les Sakalava, dans l'Est les Betsimisaraka et au centre les Merina.
Les Sakalava sont le groupe culturel de Madagascar occupant la majeure partie de la frange côtière occidentale de l'île. Leur origine est entourée du plus profond mystère.On a guère de sources mais des traditions orales légendaires et ce que révèle le Tromba (rites de possession par les princes défunts) et quelques coutumes religieuses. le premier royaume sakalava débute à la fin du XVIème : les Maroserana dynastie établie depuis deux siècles dans le sud-ouest donnent naissance au royaume de MENABE . Les princes ANDRIAMISARA puis ANDRIANDAHIFOTSY,"le Prince Blanc" étendirent le territoire et le dotèrent d'une administration. A la fin du XVIIIème ils contrôlaient plus d'un tiers de l'Ile.les divisions devaient par la suite enraîner l'éclatement en deux royaumes: le Menabe et le Boina puis au XIXème la conquête Mérina ,enfin la colonisation.
Ce qui importe d'abord pour saisir leur pensée du territoire, c'est de comprendre que Sakalava ne désigne pas un peuple homogène ethniquement et historiquement. Le territoire ne s'est jamais, non plus, clairement défini à l'intérieur de frontières géographiques précises. L'organisation de cette société dans son espace qu'elle n'a jamais cessé de développer et de construire pendant plusieurs siècles s'opéra à des niveaux différents et complémentaires, politiques, militaires mais aussi d'alliances matrimoniales qui firent une large place à des représentations et des pratiques religieuses.
« Dans la première moitié du XVIIème siècle, l'actuel Menabe a été politiquement unifié par une dynastie conquérante, les Maroseraña. Depuis lors, on appelle Sakalava les sujets des souverains maroseraña. Le Menabe se présentait alors comme un vaste territoire (une centaine de milliers de kilomètres carrés sans frontières vraiment précises), très peu densément occupé(sans doute une cinquantaine de milliers d'habitants) par une population peu fixée au sol, se déplaçant lentement à la recherche de nouveaux pâturages pour des boeufs beaucoup plus nombreux que les hommes. La terre, quasiment illimitée, ne constituait pas un véritable enjeu. L'important était de contrôler des hommes, les groupes les plus nombreux étant aussi les plus forts, les plus prospères, et les seuls capables de reproduire leur prospérité. Dans le système politique de la monarchie sakalava, qui a fonctionné tant bien que mal de 1650 à 1900, l'équation était simple. Le roi était le maître absolu. Sa légitimité reposait sur un ensemble de mythes fondateurs et sur les multiples alliances qui avaient été scellées, ici et là, au cours de la conquête, avec les chefs et les souverains des micro-unités politiques locales. Le roi détenait un droit éminent de propriété sur l'ensemble du territoire du royaume, ses sujets reconnus étant seulement autorisés à avoir l'usufruit de parcelles de ce territoire. Si un "étranger" voulait s'y installer durablement, il pouvait soit faire allégeance directe au souverain, soit s'allier à un véritable autochtone, à un tompon-tany (LITTERALEMENT"MAITRE DE LA TERRE"). Il devenait ainsi sujet du souverain ce qui lui conférait aussi le statut de Sakalava.
« Par définition, le tompon-tany d'un lieu en était le premier occupant. C'est son groupe qui avait su autrefois faire le nécessaire (rites fondateurs, invocations adéquates, interdits scrupuleusement respectés) pour obtenir et conserver durablement la protection des forces de la Nature et des esprits locaux, véritables propriétaires des lieux. L'aspect durable de cette protection devait – et doit encore aujourd'hui – s'exprimer par une situation d'équilibre, d'harmonie : le groupe est prospère, son troupeau s'agrandit, les récoltes sont abondantes…
Des épidémies, de mauvaises récoltes indiquent que, pour diverses raisons, l'harmonie est rompue, que les esprits et les forces de la Nature ont cessé d'être bienveillants. Il convient alors de chercher un emplacement plus propice où l'on pourra tenter d'établir un nouveau voisinage harmonieux. Si le lieu est inoccupé, on procédera à de nouveaux rites de fondation, sinon on établira des alliances avec les tompon-tany déjà en place.
« Ce système, très ouvert, a longtemps bien fonctionné. La culture Sakalava, marquée par la pratique de l'exogamie, favorise la recherche d'alliances hors du cercle étroit des parents et des voisins. Par ailleurs, les étrangers étaient facilement acceptés, voire recherchés, car ils contribuaient à augmenter la force de travail et la force de frappe du groupe. Les éleveurs Sakalava, qui avaient la réputation (pas toujours fondée) d'être de piètres agriculteurs, aimaient voir s'installer auprès d'eux des riziculteurs expérimentés. Ils pouvaient ainsi amorcer un troc apprécié (du paddy contre des boeufs) et percevoir une rente foncière. Plus tard, des Sakalava entreprirent de faire creuser des canaux d'irrigation par des migrants en échange de quelques boeufs. Ils commencèrent ainsi à créer leurs propres rizières, parfois données en faurouxmétayage à des migrants, parfois cultivées par les Sakalava eux-mêmes… De La Complémentarité A La Concurrence : Sakalava Et Migrants Dans L'espace Social De L'ouest Malgache. Emmanuel Fauroux
Les principales familles Sakalava venaient de la province d'Isaka, située sur la côte sud-est de Madagascar, avant leur migration successive jusqu'à leur installation définitive dans la partie Ouest de Madagascar. Elles se sont constituées vers la seconde partie du VIIème siècle par diverses ethnies arabes, musulmanes et indonésiennes .à l'origine, mosaïque de petites tribus toutes plus ou moins indépendantes les unes des autres et souvent en guerre ouverte les unes avec les autres, Ils ne représentèrent jamais une peuplade unique et relativement nombreuse.
Comme l'ont montré les travaux de jacques LOMBARD, l'espace, qui va être progressivement conquis par le futur royaume pendant trois siècles, était déjà occupé par différents groupes qui perdront pour la plupart leur identité politique dans le nouveau territoire. Ces groupes pratiquaient, le plus souvent d'une manière exclusive, la riziculture de décrue, certaines cultures sèches, l'élevage extensif, la pêche en mer et en eau douce, la chasse et la collecte des produits de la savane et de la forêt. Chacun de ces groupes occupait une région correspondant à sa spécialisation économique, cours d'eau, lisière des lacs qui servent de régulateurs naturels au moment des inondations saisonnières, intérieur des forêts et des régions montagneuses, bords de mer, etc. Les échanges économiques entre ces différentes unités s'opéraient par la pratique du troc mais surtout par un jeu ininterrompu de razzia qui aboutissait à un remodelage constant de l'occupation humaine.
S'installant comme leurs «aînés» chez ces agriculteurs reconnus « tompon-tany, » autochtones, « maîtres de la terre», les Maroseraña sakalava surent à la fois conquérir et s'offrir en dispensateurs de paix entre les différents groupes premiers, menant des stratégies dont la réussite s'inscrira même, au-delà de leur territoire, dans tout l'Ouest malgache. Ils surent associer les groupes à travers échanges commerciaux et économiques. et réorganisèrent l'espace lui-même ; éleveurs de zébus,ils en firent le mode économique dominant, à la fois capital, monnaie et objets d'échanges ouvrant de grandes étendues à la communication sociale . Ils surent avec l'aide des devins fonder leur implantation sur des mythes préexistants et des ancêtres légendaires et se poser comme fondateur « éternel » du nouveau territoire, s'appropriant en les adaptant les anciens lieux de cultes et les pratiques religieuses des groupes précédents pour cimenter la nouvelle doctrine. Le souverain s'affirma ainsi comme seul autochotone « véritable »
« La supériorité militaire des Maroseraña, groupes conquérants venus du sud, motivera les populations autochtones, avides de trouver la paix dans une contrée où les guerres de rapines menaçaient sans cesse, à se ranger sous l'autorité d'un pouvoir central capable de les protéger . L'annexion des territoires par les souverains étrangers se fit sans violence et sans guerre de conquête. Cependant le pouvoir coercitif des Maroseraña n'explique pas seul l'instauration d'un régime dynastique en Ménabe. Dès les premiers temps du royaume, les souverains étrangers ont dû composer avec les groupes autochtones et passer par des transactions matrimoniales pour asseoir durablement leur suprématie. Cette politique d'annexion par alliances transforme les rapports de domination en rapport de parenté. Elle permet aux chefs de terre (tompon tany) de conserver une autorité naturelle, car liée à l'autochtonie, sur leur ancien territoire. Mais aussi, elle « autochtonise » l'essence divine du pouvoir étranger dont les souverains Maroserana sont détenteurs et la place d'emblée à un degré supérieur d'antériorité. Suzanne Chazan cite par ailleurs fort à propos, sur le caractère structurant du système matrimonial royal qui par exogamie va permettre « la circularité du pouvoir dans les réseaux de parenté » et ainsi décrire à partir de la lignée royale des cercles concentriques de parents ou d'alliés des rois qui se stabiliseront par la pratique d'alliances endogames. L'arrivée des Maroseraña en Menabe favorisera la mise en place d'autres principes d'organisation, sans doute déjà en vigueur chez les groupes autochtones, qui à la longue se révéleront producteurs d'ordres sociaux. Ces principes touchent à la fois l'intégration des groupes dans l'organisation du royaume et la dévolution de statuts évalués en fonction du degré de liaison à l'appareil monarchique.
L'intégration des groupes au royaume passait par la reconnaissance du souverain qui leur donnait une existence civile en leur octroyant (ou en avalisant une identité antérieure) un nom, une marque d'oreille de bœuf et toutes les marques différentielles d'un clan (roza). En fonction de leur ralliement, de leur modalité d'assujettissement ou encore de leur asservissement ou de leur rejet, les clans occupaient une position différente dans l'échelle des statuts et bénéficiaient ou non de privilèges, étaient ou non corvéables.
Le caractère totalisant des institutions dynastiques provient de la nature même de la domination Maroseraña qui trouve son efficacité politique dans le ralliement des groupes à l'idéologie des ancêtres royaux, clef de voûte du système cérémoniel. Le souverain parce qu'il est « Dieu sur terre » se place par nature au-dessus du commun des mortels et commande l'ordre de la société. Les groupes qui, par un lien de sang avec la famille royale, récupèrent un peu de cette nature divine se situeront à un échelon supérieur sur l'échelle des statuts, par rapport aux groupes Autochtones qui ont simplement mêlé leurs propres Ancêtres aux ancêtres royaux. La masse roturière qu'aucun lien de sang ou d'alliance ne rattache à la famille royale Participe à cette idéologie, non pas en tant qu'acteur, mais en tant que sujet. Ce sont les prestations, les charges et les Corvées, formes différentielles de leur reconnaissance à l'ordre supérieur, qui leur donneront leur qualité sociale. »
Les Maroseraña surent donc faire partager une « ideo-logie » une logique des idées et un système de croyances qui forment encore l'armature de l'identité sakalava. A la différence des «prises de possession» auxquelles se livrèrent les envoyés des princes européens au 17e siècle, puis des colonisateurs, la «conquête» ne reposait pas principalement sur la seule suprématie militaire,: elle était religieuse, et reposait en fait sur la collaboration permanente de ceux qui allaient devenir les sujets des rois. Ceux-ci s'allièrent par mariage aux grands groupes autochtones qui comme « maitres de la terre » commandaient les rituels nécessaires à toutes fondation. Les premiers occupants ne s'inclinaient donc pas devant des chefs de guerre mais obéissaient à des gendres ou neveux qui se présentaient comme dispensateurs de bienfaits parce que « dieux sur terre » (Zanahary an-tany) maitre de l'ordre cosmique et de la nature. Et que ce fait était confirmé par l'intermédiaire des grands devins, seuls à même d'interpréter le destin et les signes et de se concilier les génies du lieu.
Le royaume sakalava s'est ainsi construit sur une idéologie politique où le souverain est en rapport direct avec son ancêtre, Dieu. Cette idéologie trouva son accomplissement dans les principes de base de l'astrologie fondée sur des couples comme le haut et le bas, le nord et le sud, l'ouest et l'est, le chaud et le froid, le rouge et le blanc...
C'est ainsi que la confiance accordée aux Maroseraña prit source dans les pouvoirs religieux dont ils furent crédités – sur la foi de la présentation qu'en faisaient les OMBIASY (devins)autochtones. Pour donner un exemple d'une idéologie de fondation, on peut citer le FITAMPOHA ou Bain Des Reliques Royales ,un des piliers de la dynastie
« Cette institution originale des sakalava du Menabe au point de rencontre du mythe, de l'histoire, du religieux et du politique a traversé différentes périodes historiques en subissant diverses modifications qui n'ont pas altéré néanmoins son sens profond. Au contraire, on pourrait dire que le fitampoha nous offre une véritable grille de lecture pour approcher tout à la fois l'évolution mais aussi l'identité profonde de la société sakalava. Identité dont on peut poser les fondements, ici comme ailleurs dans la Grande Isle, dans le dialogue ininterrompu avec les anciens, avec tous les disparus, constamment présents et sous les formes les plus diverses, dans les mémoires et les imaginaires et qui, paradoxalement, apparaissent comme des ferments de l'innovation politique, sociale et religieuse au moment où leur voix se fait entendre. L'oracle des aïeux est-il la voie/voix, le chemin et la parole de la modernité nécessaire qui rythme à Madagascar comme ailleurs le passage ininterrompu des époques?
Ajoutons que l'approche approfondie, historique et anthropologique des rituels ou institutions à travers le monde permet de forger des concepts généraux grâce auxquels il est alors possible de mieux réfléchir sur les sociétés et les cultures. Le fitampoha en représente un bel exemple à nos yeux et, de cette manière, appartient d'emblée à ce qu'il est convenu d'appeler le patrimoine immatériel de Madagascar et de l'humanité. » Jacques Lombard.Le Fitampoha Ou Bain Des Reliques Royales
Aujourd'hui encore, c'est autour du Fitampoha, cérémonie venue du fond des âges de l'Asie du Sud-Est et par laquelle beaucoup connaissent le Menabe, que peut se que s'unifie le peuple sakalava. Quoique sa célébration ait longtemps été interdite à l'époque coloniale et que sa réalisation soit aujourd'hui difficile – ne serait-ce que par son coût , le Fitampoha est une institution demeurée signifiante dans le Menabe, manifestant la survivance des conceptions religieuses(quoique les Sakalava professent le protestantisme chrétien ou l'islam) La possession des reliques conférant la légitimité ancestrale à ses détenteurs, de ses rois dieux et prêtres qui bénéficient de secondes funérailles avant d'être définitivement mis au tombeau (trano vinta), on y confectionne des reliques que les héritiers conservent, à Belo-sur-Tsiribihina, dans une maison (zomba) réservée à cet usage. Pour garder leur efficacité cependant, les reliques doivent être périodiquement baignées, car le hasina, leur vertu divine, est censé à défaut s'affaiblir peu à peu.
Fête dynastique célébrée sous la conduite du roi régnant – car la royauté sakalava n'a jamais été abolie –, le Fitampoha a pour fonction de réaffirmer le pouvoir divin des rois et, par la participation de leurs représentants, de confirmer les allégeances des divers groupes aux souverains ; mais aussi fête agraire, pour qu'à nouveau tombe la pluie, que fructifient les cultures, que croissent les troupeaux et qu'enfantent les femmes, il devait purifier le monde des souillures déposées par la mort.
« Le bain des reliques royales ou fitampohaest la cérémonie dynastique du royaume sakalava. Ce royaume s'est institué à la fin du XVIe siècle dans l'Ouest malgache à la faveur de fortes migrations venues du sudouest et du sudest de l'île. Les migrants, ceux qui deviendront la dynastie maroseragna se sont alliés par mariage avec les « autochtones ». Un système de différenciations sociales et d'intégration territoriale s'est développé pendant un siècle depuis son origine au village de Bengy, situé non loin de Tuléar (actuel cheflieu de province du Menabe). Il était fondé sur l'endogamie stricte de parenté pour les rois et les parents et alliés des rois et sur l'exogamie de lignage pour tous les autres. L'apogée du royaume sakalava correspond selon les historiens au règne de Ndriandahifoutsy. C'est avec ses fils que se produisit une segmentation lignagère avec la création de deux royaumes sakalava, au nord le Boina et au sud le Menabe, région où se situe notre travail. «
« Le bain des reliques est véritablement l'institutionclé de la royauté sakalava. À l'origine rituel des prémices célébré par les autochtones, commué en culte guerrier célébrant le retour de la chasse ou d'expéditions menées contre les peuples voisins, cette institution s'est naturellement chargée d'un sens plus politique au moment où Ndriandahifoutsy a étendu le territoire royal vers l'ouest : intégration des étrangers, contrôle des alliances et affermissement du pouvoir royal. Avec le temps, le fitampoha est devenu le cadre de la stabilisation des lignées à chaque succession royale. Malgré les luttes de légitimité dynastique, la généalogie des rois sakalava reconstituée par les historiens sur la base des traditions orales montre que la succession dynastique du Menabe a suivi les règles de préférence patrilinéaire et de primogéniture. »
CI-JOINT LIEN VIDEO:http://vimeo.com/23380541
« La cérémonie du fitampoha revient périodiquement tous les dix ans depuis 1904, date à laquelle l'administration coloniale mit en place les divisions administratives sur la base de l'ancienne géographie politique du royaume sakalava du Menabe. À partir du fitampoha de 1988, quelque trente années après la colonisation, la périodicité de cette cérémonie est passée de dix à cinq ans, selon la décision prise au cours de ce fitampoha pa r Laguerre Kamamy, héritier de la dynastie. Les territoires de segmentation dynastique au cours des deux siècles d'histoire sakalava jusqu'à la fin de la colonisation en 1958 sont devenus les souspréfectures de Manja, Miandrivazo, Mahabo et Belo-sur-Tsiribihina, Morondav4 étant le cheflieu de préfecture. En 1968, dix années après l'indépendance nationale, le cadre préfectoral recouvrait toujours l'ancien territoire royal du Menabe, tel qu'il a été défini à l'apogée du royaume sakalava. »Suzanne Chazan-GILLIG et Dera Haidaraly, « Le Fitampoha de 2004 dans la région Nord du Menabe, à l'ouest de Madagascar », Journal des anthropologues .
A suivre