Les noms prédestinés se retournent parfois contre les malheureux qui en sont affublés. Témoin l'étonnante destinée du célèbre explorateur anglais, James Cook. Pour apprécier tout le sel de cette histoire, qui justifie son classement dans la rubrique "C'est trop con", il me faut vous conter par le menu l'histoire passionnante et véridique de ce navigateur, explorateur et cartographe.
Pendant les mois où les bateaux ne peuvent
naviguer, il étudie aussi l'algèbre, la trigonométrie et l'astronomie.
On finit par lui proposer le commandement d'un bateau, le Friendship.
Après réflexion, Cook choisit de s'engager dans la Marine Royale, plus
propre à satisfaire ses vastes ambitions. Ce qui l'oblige à repartir
tout en bas de l'échelle. C'est donc comme simple matelot qu'il
embarque du navire de Sa Gracieuse Majesté, le Eagle. Grand, portant
beau et doté d'une indéniable aptitude à commander la chiourme, il
monte rapidement en grade et réussit l'examen lui permettant de
commander un navire de la Royale.
La Guerre de Sept ans (1756-1763) le
voit participer aux sièges victorieux de Louisbourg et de Québec. Ses
qualités de militaire ne sont pas passées à la postérité. Mais c'est là
qu'il révèle sa vraie passion : la découverte des terres vierges, qu'il
résumera par la formule «Plus loin qu'aucun homme avant moi, aussi loin
qu'un homme puisse aller ». Pendant que Français et Anglais se
disputent à coups de canon la possession de « quelques arpents de neige
» (c'est ainsi que Voltaire nomme le Canada...), Cook met un soin
minutieux à s'acquitter de ses missions : cartographier l'embouchure du
Saint-Laurent et rechercher -en vain- le mythique passage du Nord
Ouest, entre l'Atlantique et le Pacifique.
A bord du trois-mâts l'Endeavour, muni de simples sextants et d'un
almanach nautique hors d'âge, et sans chronomètre comme le dernier des
marins d'eau douce, il observe comme convenu Vénus à Tahiti grâce à un
petit observatoire portatif. Puis il ouvre les scellés posés sur les
vraies instructions de son voyage. Car évidemment, l'observation
astronomique, la présence des savants et le recours à un petit navire
marchand, c'est du flan. Le véritable but de la mission est de
découvrir la Terre Australe, dont on soupçonne l'existence, et d'y
faire flotter l'Union Jack avant ses concurrents européens. Et
notamment ces maudits Français qui s'ingénient à avoir la même idée.
A
Tahiti, il embarque un remarquable marin polynésien, Tupaia, dont les
talents seront précieux aussi bien pour la navigation que pour les
contacts avec les populations locales. Il atteint la Nouvelle-Zélande,
traverse la mer de Tasmanie et aborde ce qui ne s'appelle pas encore
l'Australie, notamment Botany Bay, nommé ainsi en l'honneur des
botanistes de la mission. Il galère un temps à racler le fond de son
bateau sur les hauts-fonds de la barrière de corail, au risque de le
couler définitivement loin de tout chantier naval. Après un bref arrêt
à Djakarta, où calenche le malheureux Tupaia, du scorbut et du
paludisme, Cook retourne en Angleterre. Les Anglais s'extasient alors
devant les 30 morts de l'expédition. En effet, ce chiffre est très
faible, eu égard aux consternantes statistiques marines de l'époque. Et
surtout, à l'exception de Tupaia, les marins décédés ont succombé de
malaria et de dysenterie, et non du scorbut, maladie traditionnelle des
navigateurs carencés en vitamine C. C'est déjà une consolation. Cook a
justifié son nom en imposant à l'équipage un régime aussi varié que
surprenant, à base de cresson, de choux et d'extrait d'orange. Il y a
ajouté le nettoyage et la ventilation du navire, pour dissiper les
effluves nauséabonds et les moustiques de l'infect marais nautique qui
stagne à fond de cale.
Les deux bateaux retournent aux Sandwich/Hawaii
où ils débarquent en janvier 1779. Coup de chance, Cook arrive en
pleine cérémonie religieuse. Et les Hawaiiens le prennent pour un dieu.
Après quelques semaines de ripaille et de rapports chaleureux façon île
de la Tentation, l'expédition reprend la mer, mais doit faire demi-tour
pour réparer les dégâts d'une tempête. Le 25 février 1779, ils
reviennent au même endroit. Ça sent rapidement l'embrouille. Car cette
fois, Cook est entré au mauvais moment. La baie a été déclarée tabou
par les sorciers du cru. Et la perspective de devoir donner à nouveau à
manger et à boire aux Européens n'enchante guère les locaux. Lesquelles
ont aussi remarqué que, malgré les interdictions et les punitions, les
marins ont du mal à modérer leurs appétits sexuels. Ce qui ne serait
pas encore trop gros grave s'il n'y avait pas en plus des maladies
vénériennes à la clé. Et pour couronner le tout, les Hawaiiens
chouravent une barque.
Il faudra encore quelques jours
pour que de pénibles négociations s'engagent. Le nouveau commandant du
bateau finit par obtenir le retour des restes de Cook. Ça prend un peu
de temps car les chefs de tribus se sont en quelque sorte partagé le
butin, gardant chacun un bout du corps de l'intrépide explorateur. Les
pratiques cultuelles et les techniques sommaires de conservation ont
donné un aspect étrange et repoussant aux restes, ce qui donnera lieu
plus tard à la légende selon laquelle Cook a été dévoré par les
Hawaiiens. James Cook sera immergé avec les honneurs dans la baie où il
est décédé et où il avait abordé le premier de son peuple.
Moralité : quand on
s'appelle “Cook”, innover dans le régime alimentaire de ses équipages
en proposant des menus étranges vous expose déjà aux sarcasmes navrants des
imbéciles. Mais découvrir les Iles Sandwich risque de faire rire
longtemps à vos dépens. Surtout si, en plus, on laisse supposer qu'on a
servi d'en-cas aux populations locales. Et ça, c'est carrément ballot.
Sources :
- Biographie de Cook dans l'Encyclopédia Britannica,
- Biographie de Cook dans Wikipedia
- James Cook : Relations de voyages autour du monde