James Cook, à la carte et au menu

Publié le 23 mai 2008 par Doespirito @Doespirito

Les noms prédestinés se retournent parfois contre les malheureux qui en sont affublés. Témoin l'étonnante destinée du célèbre explorateur anglais, James Cook. Pour apprécier tout le sel de cette histoire, qui justifie son classement dans la rubrique "C'est trop con", il me faut vous conter par le menu l'histoire passionnante et véridique de ce navigateur, explorateur et cartographe.

Fils d'un valet de ferme d'origine écossaise, James Cook est né le 27 octobre 1728 à Marton, petite paroisse isolée devenue quartier de la banlieue de Middlesborough. L'employeur de son père remarque vite sa vivacité d'esprit et sa curiosité et lui paie des études. A 16 ans, le petit James est placé comme apprenti dans une épicerie du village. Au bout d'un an et demi, ébloui par la sagacité de son arpète, mais peu convaincu par ses qualités de commerçant, le patron le recommande auprès des transporteurs de charbon de Whitby, petit port de pêche du Yorkshire. Sur les lourds vaisseaux de son boute-en-train de patron, le quaker John Walker, il sillonne la mer du Nord et la Baltique, rude école qui le préparera à affronter sans crainte toutes les mers et tous les temps du globe.
Pendant les mois où les bateaux ne peuvent naviguer, il étudie aussi l'algèbre, la trigonométrie et l'astronomie. On finit par lui proposer le commandement d'un bateau, le Friendship. Après réflexion, Cook choisit de s'engager dans la Marine Royale, plus propre à satisfaire ses vastes ambitions. Ce qui l'oblige à repartir tout en bas de l'échelle. C'est donc comme simple matelot qu'il embarque du navire de Sa Gracieuse Majesté, le Eagle. Grand, portant beau et doté d'une indéniable aptitude à commander la chiourme, il monte rapidement en grade et réussit l'examen lui permettant de commander un navire de la Royale.
La Guerre de Sept ans (1756-1763) le voit participer aux sièges victorieux de Louisbourg et de Québec. Ses qualités de militaire ne sont pas passées à la postérité. Mais c'est là qu'il révèle sa vraie passion : la découverte des terres vierges, qu'il résumera par la formule «Plus loin qu'aucun homme avant moi, aussi loin qu'un homme puisse aller ». Pendant que Français et Anglais se disputent à coups de canon la possession de « quelques arpents de neige » (c'est ainsi que Voltaire nomme le Canada...), Cook met un soin minutieux à s'acquitter de ses missions : cartographier l'embouchure du Saint-Laurent et rechercher -en vain- le mythique passage du Nord Ouest, entre l'Atlantique et le Pacifique.
En 1776, il observe une éclipse et envoie aussitôt un rapport à la Royal Society de Londres. Un instant surprise (qui est ce Cook qui se mêle d'astronomie ?), la société lui confie finalement, en 1768, le commandement de l'expédition scientifique vers le Pacifique qu'elle prépare en secret depuis de long mois. Flanqué d'une palanquée de scientifiques sous la houlette de Joseph Banks, il lui est demandé d'aller observer le “transit de Vénus”. Ce n'est pas ce que vous croyez, mais le joli nom donné au passage de la planète exactement entre la Terre et le Soleil, occultant une toute petite partie du disque solaire. Ce phénomène astronomique prévisible se produit suivant une séquence de paires espacées de 8 ans, suivis de longs intervalles de 121,5 et 105,5 ans. Réservez votre pliant et vos lunettes teintées : le prochain transit aura lieu dans quatre ans, le 6 juin 2012...
A bord du trois-mâts l'Endeavour, muni de simples sextants et d'un almanach nautique hors d'âge, et sans chronomètre comme le dernier des marins d'eau douce, il observe comme convenu Vénus à Tahiti grâce à un petit observatoire portatif. Puis il ouvre les scellés posés sur les vraies instructions de son voyage. Car évidemment, l'observation astronomique, la présence des savants et le recours à un petit navire marchand, c'est du flan. Le véritable but de la mission est de découvrir la Terre Australe, dont on soupçonne l'existence, et d'y faire flotter l'Union Jack avant ses concurrents européens. Et notamment ces maudits Français qui s'ingénient à avoir la même idée.
A Tahiti, il embarque un remarquable marin polynésien, Tupaia, dont les talents seront précieux aussi bien pour la navigation que pour les contacts avec les populations locales. Il atteint la Nouvelle-Zélande, traverse la mer de Tasmanie et aborde ce qui ne s'appelle pas encore l'Australie, notamment Botany Bay, nommé ainsi en l'honneur des botanistes de la mission. Il galère un temps à racler le fond de son bateau sur les hauts-fonds de la barrière de corail, au risque de le couler définitivement loin de tout chantier naval. Après un bref arrêt à Djakarta, où calenche le malheureux Tupaia, du scorbut et du paludisme, Cook retourne en Angleterre. Les Anglais s'extasient alors devant les 30 morts de l'expédition. En effet, ce chiffre est très faible, eu égard aux consternantes statistiques marines de l'époque. Et surtout, à l'exception de Tupaia, les marins décédés ont succombé de malaria et de dysenterie, et non du scorbut, maladie traditionnelle des navigateurs carencés en vitamine C. C'est déjà une consolation. Cook a justifié son nom en imposant à l'équipage un régime aussi varié que surprenant, à base de cresson, de choux et d'extrait d'orange. Il y a ajouté le nettoyage et la ventilation du navire, pour dissiper les effluves nauséabonds et les moustiques de l'infect marais nautique qui stagne à fond de cale.
On lui confie sans hésiter la deuxième mission. Malgré les gros doutes de Cook, les scientifiques s'entêtent en effet à découvrir la fantomatique "Terra Australis". Le 11 juillet 1772, deux bateaux, Le Resolution et l'Adventure quittent Plymouth. Et Cook a cette fois un vrai chronomètre, pour calculer précisément la longitude. Ça peut aider, en effet. En décembre, près de l'Antarctique, les deux bateaux se perdent de vue dans le brouillard. Avant de se retrouver quelques mois plus tard, l'Adventure aborde en Nouvelle-Zélande et se frite avec les Maoris. Cook, quant à lui, enchaîne la Nouvelle-calédonie, les îles Tonga, l'île de Pâques, le Vanuatu. Il confirme que le fameux continent n'existe pas, hormis sous la forme des terres émergées qu'il a recensées auparavant et des glaces de l'Antarctique. Son retour en Angleterre est triomphal et sa poitrine désormais constellée de breloques extravagantes. Et il a ramené dans ses bagages un autre polynésien, Omai, véritable attraction dans la bonne société londonienne.

Pour son troisième et dernier voyage
, cette fois à son initiative, Cook a monté une expédition avec deux bateaux, le Resolution et le Discovery . Officiellement, il s'agit de ramener Omai chez lui. En réalité, Cook veut surtout s'attaquer au passage du Nord Ouest. Cette manie du secret devient une habitude. En route donc pour les Kerguelen, atteintes à Noël 1776, puis la Nouvelle-Zélande où Omai retrouve les siens. Cook débarque ensuite aux Iles Sandwich (futur Hawaii) puis enquille vers l'île de Vancouver, l'Alaska, les îles Aléoutiennes et le détroit de Béring. Hélas, on a beau être au mois d'août, le détroit est pris par les glaces et se révèle infranchissable. Cook insiste, échoue, s'énerve, essaie à nouveau, échoue encore. Il commence à perdre sa belle lucidité et se comporte de façon étrange. Au point de vouloir servir du morse aux marins, qui déclinent poliment, mais fermement. Déjà qu'il se prend pour Marc Veyrat, avec son chou et son écorce d'orange. Mais le morse, on va peut-être s'en passer.
Les deux bateaux retournent aux Sandwich/Hawaii où ils débarquent en janvier 1779. Coup de chance, Cook arrive en pleine cérémonie religieuse. Et les Hawaiiens le prennent pour un dieu. Après quelques semaines de ripaille et de rapports chaleureux façon île de la Tentation, l'expédition reprend la mer, mais doit faire demi-tour pour réparer les dégâts d'une tempête. Le 25 février 1779, ils reviennent au même endroit. Ça sent rapidement l'embrouille. Car cette fois, Cook est entré au mauvais moment. La baie a été déclarée tabou par les sorciers du cru. Et la perspective de devoir donner à nouveau à manger et à boire aux Européens n'enchante guère les locaux. Lesquelles ont aussi remarqué que, malgré les interdictions et les punitions, les marins ont du mal à modérer leurs appétits sexuels. Ce qui ne serait pas encore trop gros grave s'il n'y avait pas en plus des maladies vénériennes à la clé. Et pour couronner le tout, les Hawaiiens chouravent une barque.
Cook, qui a sa technique pour gérer ce genre de situation, décide de prendre un otage en attendant qu'on lui ramène sa chaloupe. La situation devient vite tendue. Car les Hawaiiens ne sont pas nés de la dernière pluie tropicale. Ils ont construit des murets de pierre pour prévenir la mitraille, et se sont fabriqué des sortes d'armures végétales, pour se protéger des coups de mousquets. Franc comme un âne qui recule, Cook feint d'inviter un des chefs à venir dans son bateau, pour s'en servir ensuite de monnaie d'échange pour récupérer sa barquette. Lequel chef est à deux doigts d'accepter quand les soldats restés sur les bateaux tirent pour faire éloigner les autochtones qui s'approchent un peu trop près en pirogue, et tuent un autre grand chef de l'île. Dans une mêlée indescriptible et la fumée des fusillades, pierres, sagaies et balles volent bas. Cook est sur le point d'embarquer quand il est poignardé à mort. Les Hawaiiens s'acharnent sur lui puis emmènent son corps pendant que les Anglais se retirent prudemment.
Il faudra encore quelques jours pour que de pénibles négociations s'engagent. Le nouveau commandant du bateau finit par obtenir le retour des restes de Cook. Ça prend un peu de temps car les chefs de tribus se sont en quelque sorte partagé le butin, gardant chacun un bout du corps de l'intrépide explorateur. Les pratiques cultuelles et les techniques sommaires de conservation ont donné un aspect étrange et repoussant aux restes, ce qui donnera lieu plus tard à la légende selon laquelle Cook a été dévoré par les Hawaiiens. James Cook sera immergé avec les honneurs dans la baie où il est décédé et où il avait abordé le premier de son peuple.
Moralité : quand on s'appelle “Cook”, innover dans le régime alimentaire de ses équipages en proposant des menus étranges vous expose déjà aux sarcasmes navrants des imbéciles. Mais découvrir les Iles Sandwich risque de faire rire longtemps à vos dépens. Surtout si, en plus, on laisse supposer qu'on a servi d'en-cas aux populations locales. Et ça, c'est carrément ballot.

Sources :
- Biographie de Cook dans l'Encyclopédia Britannica,
- Biographie de Cook dans Wikipedia
- James Cook : Relations de voyages autour du monde