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L'auto-organisation du prolétariat contre le capitalisme et l'Etat

Par Alaindependant

Le zapatisme demeure une expérience de gestion du capitalisme et non pas un mouvement pour son abolition. « Mais, en tout état de cause, il n’est nullement question d’importer cette expérience dans un univers capitaliste dont nous ne voulons plus et il serait parfaitement absurde de convoquer l’autonomie pour entreprendre de gérer le désastre que celui-ci a créé », souligne pertinemment Jérôme Baschet. La solution à la crise économique ne se situe pas dans le cadre du capitalisme mais doit provenir d’un véritable projet d’émancipation. Au contraire, l’État repose sur la séparation entre gouvernants et gouvernés, entre dirigeants et dirigés.

De la social-démocratie au marxisme léninisme, l’État est devenu l’instrument privilégié de la transformation sociale pour une grande partie du mouvement ouvrier. Karl Korsch critique cette « surestimation de l’État comme instrument de la transformation sociale ». Cette analyse explique l’échec des révoltes passées. Mais un courant communiste libertaire s’attache à la destruction de l’État. Les expériences historiques des soviets et des conseils ouvriers reposent sur une auto-organisation du prolétariat.

Quelques vérités ?

Michel Peyret

Le néo-zapatisme pour sortir du capitalisme

Publié le 31 Mars 2014

L'historien Jérôme Baschet s'appuie sur l'expérience néo-zapatiste au Chiapas pour penser des pistes de sortie du monde capitaliste.

 La critique du capitalisme semble revenir à la mode, du moins chez certains intellectuels. Jérôme Baschet propose une réflexion critique sur cette société marchande dans un livre récent. Cet universitaire s’appuie notamment sur l’expérience du mouvement zapatiste qui émerge au Chiapas en 1994. Il enseigne d’ailleurs à l'Universidad Autonoma de Chiapas. L’expérience zapatiste n’a effectivement pas aboli le statut du pédagogue, de l’universitaire et de l’intellectuel professionnel. Surtout, l’audience de Jérôme Baschet révèle la confusion qui règne par rapport à l’expérience zapatiste encensée par les bureaucrates du Front de gauche comme par les libertaires qui se veulent autonomes et radicaux. 

Jérôme Baschet s’attache à articuler une critique rationnelle et une critique éthique du capitalisme. Il refuse cette fausse séparation de la raison et de l’émotion dans laquelle se drapent les experts et les économistes qui tentent de passer pour compétents. « C’est pourquoi, si les analyses proposées ici s’efforcent d’être aussi argumentées que possible, on admettra qu’elles s’enracinent dans le refus d’un système d’exploitation, d’oppression, de dépossession et de déshumanisation », prévient Jérôme Baschet.

Face à la crise du capitalisme

 Depuis 2008, la crise du capitalisme s’aggrave. Certes, l’économie capitaliste repose sur une crise permanente et se restructure à partir des secousses subies. Mais la débâcle financière marque un tournant et une période crise structurelle.

L’État intervient pour renflouer les banques et sauver le capitalisme, ce qui va à l’encontre de la mystification néolibérale. Le keynésianisme connaît un regain d’intérêt. Mais un peu plus de régulation ne permet qu’un faible aménagement de la barbarie marchande sans bouleverser la société.

Une analyse historique permet de comprendre le tournant néolibéral. L’économie repose sur la recherche d’un intérêt individuel mais s’adosse à une discipline de l’État qui prétend incarner l’intérêt général. Avec le néolibéralisme, c’est l’économie qui impose directement sa discipline et ses normes. L’État managérial impose un formatage des conduites à travers la logique économique.

Le travail semble également en crise. L’emploi disparaît progressivement. Le travail demeure une aliénation à travers la laquelle l’activité humaine semble régie par la contrainte et la soumission. Ce n’est pas uniquement le salariat qu’il s’agit de critiquer, mais toute forme de travail. « Ce n’est donc pas le Travail, supposé pur, qu’il faut libérer de sa perversion par le Capital ; c’est l’activité humaine qui demande à être débarrassée des exigences du travail », souligne Jérôme Baschet.

Avec le capitalisme néolibéral, les individus intériorisent les normes marchandes. Avecle benchmarking, la compétition et la culture de l’évaluation s’étendent jusque dans les services publics. La compétition permet une conduite des conduites pour façonner de nouveaux comportements. « Reposant sur l’intériorisation des normes et la mobilisation intensifiée de volontés, c’est là un instrument de production du conformisme social d’une redoutable efficacité », analyse Jérôme Baschet. Le règne de l’urgence et de l’immédiateté rythment le capitalisme moderne. La logique quantitative, contre la dimension qualitative, s’étend sur tous les aspects de la vie. L’individu devient un entreprise « employable » et adaptable. La logique marchande colonise les subjectivités.

Face à l’Etat

Mais dresser ce constat bien connu ne suffit pas. Il faut également s’appuyer sur les luttes pour balayer le monde marchand. Pourtant, Jérôme Baschet prend pour modèle la mascarade zapatiste du Chiapas au Mexique. Il semble idéaliser cette révolte pour en faire un mouvement anticapitaliste. L’autonomie zapatiste s’apparente davantage à une forme de démocratie participative. Les Conseils de bon gouvernement zapatiste collaborent avec les municipalités et le gouvernement et n’aspirent pas à les détruire et à les remplacer. Ensuite, le fonctionnement bureaucratique de ces pseudos Conseils n’est pas décrit.

Jérôme Baschet reconnaît lui-même les limites de cette autonomie. Les Conseils peuvent réduire la séparation entre gouvernants et gouvernés sans pour autant construire une démocratie horizontale. L’EZLN, organisation politico-militaire, conserve sa fonction d’orientation des Conseils zapatistes. Les notions de commandement et d’obéissance perdurent. Cette démocratie participative repose tout autant sur la délégation du pouvoir. Surtout, les délégués sont ceux qui disposent d’une plus grande expérience politique. Ils doivent faire appliquer les décisions et soumettent les propositions.

Le zapatisme demeure une expérience de gestion du capitalisme et non pas un mouvement pour son abolition. « Mais, en tout état de cause, il n’est nullement question d’importer cette expérience dans un univers capitaliste dont nous ne voulons plus et il serait parfaitement absurde de convoquer l’autonomie pour entreprendre de gérer le désastre que celui-ci a créé », souligne pertinemment Jérôme Baschet. La solution à la crise économique ne se situe pas dans le cadre du capitalisme mais doit provenir d’un véritable projet d’émancipation. Au contraire, l’État repose sur la séparation entre gouvernants et gouvernés, entre dirigeants et dirigés.

De la social-démocratie au marxisme léninisme, l’État est devenu l’instrument privilégié de la transformation sociale pour une grande partie du mouvement ouvrier. Karl Korsch critique cette « surestimation de l’État comme instrument de la transformation sociale ». Cette analyse explique l’échec des révoltes passées. Mais un courant communiste libertaire s’attache à la destruction de l’État. Les expériences historiques des soviets et des conseils ouvriers reposent sur une auto-organisation du prolétariat.

Sortir de la civilisation marchande

L’imagination utopique doit permettre d’orienter l’action présente vers une perspective de rupture avec la logique marchande. « Imaginer un monde postcapitaliste consiste à saisir, dans toutes ses dimensions, ce que peut être une société débarrassé de la logique de la valeur, de la production-pour-le-profit et du travail-pour-la-survie », précise Jérôme Baschet. La logique de la division du travail et de la spécialisation doivent être limitées pour ne pas reproduire la séparation entre gouvernants et gouvernés.

L’universitaire propose de réorganiser l’économie pour permettre une satisfaction des besoins humains indispensables. En revanche, des secteurs de l’économie doivent disparaître selon la démarche de la décroissance. Des assemblées de base doivent organiser cette production pour satisfaire les besoins essentiels. Mais cette nouvelle société doit aussi s’appuyer sur le temps libre et la créativité. « Quand au temps disponible, il est par définition ouvert à la libre détermination de chacun, en fonction de ses inclinations personnelles et interpersonnelles, de l’expansivité de sa créativité propre, de son désir de partager et de multiplier les joies de la vie », souligne Jérôme Baschet.

Contrairement au travail, l’activité humaine retrouve son sens puisque les mêmes personnes produisent selon leurs décisions et leurs propres besoins. L’activité n’est plus séparée de sa finalité. Surtout, le temps disponible est alors consacré à l’amour, à la créativité et à tous les plaisirs de la vie. Chacun peut alors s’abandonner à ses passions, avec un temps qualitatif et une vie réellement vécue.

 Jérôme Baschet propose une société du « bien vivre » inspirée par les communautés indigènes. La solidarité, l’aide à autrui et la convivialité qui transparaît dans ses communautés semblent effectivement bien sympathiques. Pourtant, l’universitaire semble conserver une vision folklorique et idéalisée de cette vie communautaire. La patriarcat, la religion et les hiérarchies traditionnelles fondent ses sociétés. La vie collective, certes bien différente de l’individualisme marchand, peut aussi se traduire par un contrôle social et la soumission à des nomes et des contraintes très fortes.

La rupture avec le capitalisme suppose une transformation radicale de la nature humaine à travers une révolution anthropologique. « Sortir du capitalisme signifie bien plus qu’un simple changement de système économique. C’est une rupture avec l’ensemble de l’organisation collective, politique et sociale, ainsi qu’avec les modes de production des subjectivités propres à la société marchande », analyse Jérôme Baschet. La civilisation marchande impose une conception des relations humaines qui reposent la compétition et la défense de l’intérêt individuel.

Entre alternativisme et rupture révolutionnaire

 « La dynamique révolutionnaire commence ici et maintenant », estime Jérôme Baschet. Sa réflexion sur une stratégie révolutionnaire semble se rapprocher de celle du théoricien néo-zapatiste John Holloway. Il estime qu’il existe déjà des espaces libérés, des brèches dans le capital. « Nous vivons dans un univers dominé par les normes de la société marchande, mais nos relations d’amitié, d’amour, notre intimité et nos rêves ne sont pas (entièrement) régis par elles », précise Jérôme Baschet. Des moments échappent effectivement au rouleau compresseur de l’aliénation marchande, de la rentabilité et du conformisme social.

Il semble indispensable de construire des espaces libérés ici et maintenant pour expérimenter d’autres manières de penser et d’agir. Mais la notion d’espace libéré semble un peu trop floue. Si elle définit des biocoop, des amap ou des boulangeries autogérées, cette alternative en acte semble très limitée et se contente de la gestion d’une petite entreprise alternative dans laquelle les rapports humains demeurent médiatisés par des marchandises. Jérôme Baschet critique pertinemment les petites entreprises alternatives qui consistent à se construire un petit nid douillet à l’intérieur de la barbarie marchande.

En revanche, les espaces libérés peuvent renvoyer aux luttes sociales. Dans ce cas, les mouvements peuvent déborder le cadre syndical et bureaucratique pour intensifier les relations humaines. Les luttes sont des moments de réflexion et d’action qui permettent de sortir de la soumission marchande ici et maintenant. Une rupture révolutionnaire ne peut provenir que d’une multiplication des luttes et insubordinations sociales pour balayer l’État et le capitalisme.

 Jérôme Baschet propose des réflexions intéressantes. Il souligne bien les limites d’un aménagement du capitalisme. Il propose effectivement un dépassement de l’économie, avec même une critique du travail. Mais sa grille d’analyse semble trop limitée.
L’universitaire puise ses réflexions dans la mouvance de la décroissance ou de «
Sortir de l’économie » qui proposent effectivement quelques pistes. En revanche, il semble renoncer à une analyse de classes. L’opposition entre exploiteurs et exploités ne semble pas centrale. Seule une morale du « bien vivre » aiguillonne la critique du capitalisme. Les anarchistes s’inscrivent dans une démarche similaire. Ils veulent répandre les entreprises autogérés comme les Amap pour changer la société. Ils refusent de s’inscrire dans une perspective claire de rupture révolutionnaire avec le capitalisme.

Avec cette approche la lutte des classes dans les entreprises, contre la précarité et le chômage semble délaissée. C’est l’alternative en acte, avec le consommateur comme sujet politique, qui semble prédominer. Le dépassement du capitalisme ne peut pas provenir d’une diffusion de petits ilôts de résistance, eux-mêmes traversés par des logiques marchandes et autoritaires. Le capitalisme ne s’effondrera pas à travers la propagation des alternatives et des petites entreprises autogérées. Seuls des mouvements qui tentent de regrouper l’ensemble des exploités peuvent balayer le despotisme marchand. Seule une multiplications des luttes, à travers le monde, peut permettre une rupture avec le capitalisme pour bouleverser tous les aspects de la vie.

Source : Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, 2014

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