Le sociologue Philippe Corcuff a décidé de me ranger, dans son dernier opuscule ‘Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard’ (Editions Textuel), parmi les diffuseurs des idées lepénistes ou néoconservatrices (sic) à gauche, aux côtés notamment de Jean-Claude Michéa, Emmanuel Todd ou encore Frédéric Lordon.
Interrogé sur trois pleines pages, comme il se doit pour un auteur de sa qualité, par Les Inrocks (n°984 du 8 au 14 octobre 2014, p. 58-60), ce magazine a bien voulu condescendre jusqu’à m’accorder un droit de réponse de quelques lignes – après m’avoir demandé 3000 signes, ils ont en effet coupé et réduit celui-ci à moins de 500 signes.
Voici donc, dans son intégralité, le texte que je leur ai envoyé :
« Le sociologue Philippe Corcuff m’accorde le douteux privilège de figurer, dans son dernier ouvrage – au côté de Jean-Claude Michéa – comme un « désarmeur imprudent de la gauche […] qui compte parmi ceux qui ont le plus de zones idéologiques de croisement avec la mouvance néoconservatrice ».
Le verdict ayant été prononcé d’emblée, le procès peut alors commencer, suivant ainsi une imperturbable tradition intellectuelle et politique à laquelle se rattache mon procureur.
Celui-ci m’attribue, d’entrée de jeu, une orientation politique, à ses yeux infâmante évidemment, en me décrivant comme « un des principaux défenseurs français du social-libéralisme du premier ministre britannique, Tony Blair ». Même si je comprends parfaitement que pour un intellectuel de sa carrure, la différence entre objet d’étude et engagement politique n’a aucun sens, il aurait tout de même pu, a minima, faire l’effort de lire ma modeste production sur le sujet. Il y aurait découvert que j’y développe, au contraire de ce qu’il avance, une approche critique, la plus informée possible certes (un défaut rédhibitoire visiblement pour lui), de la matrice idéologique du blairisme au travers, notamment, du libéralisme, du communautarisme et du conservatisme social dont il a été porteur.
Cette disqualification préalable en place, mon contempteur peut aborder tranquillement le sujet qui l’occupe : le rôle qu’il tient à toute force à me faire jouer dans la lepénisation des esprits, à gauche évidemment. Il apprend ainsi à son lecteur qu’après avoir été « à sa droite », je serais désormais situé « à la gauche du PS » qui, tout de même, précise-t-il, « pourrait être une autre forme de droite […] porteuse d’une vision essentialiste du peuple » !
Le procès devient alors comédie. L’accusation s’emploie en effet à citer quelques bribes de phrases extraites de mon livre Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme paru en 2012 chez Gallimard de manière à m’attribuer comme opinion la simple description que j’y fait d’un certain nombre de dérives politiques (culturalisme, populisme, dérive « sociétaliste » de la gauche…). Il fait de même à propos de l’idée controversée d’« insécurité culturelle » que j’ai mentionnée dans un article de presse. Tout ça pour tenter de me faire passer pour un promoteur du culturalisme en politique, et donc, bien sûr, pour un auxiliaire du Front national !
L’usage par un collègue universitaire, tout militant politique fut-il, d’un procédé aussi éculé que malhonnête devrait suffire à convaincre le lecteur de la qualité de son propos sinon de son intention. Il témoigne toutefois de quelque chose de plus grave, ancré profondément dans une certaine gauche et, hélas, dans une partie du monde académique : celle d’un combat permanent et quasi-religieux pour la Vérité et le Bien qui ne s’embarrasse pourtant jamais de la recherche ni de l’une ni de l’autre. »
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