La nuit de Bombay de Michèle Fitoussi 4/5 (08-10-2014)
La nuit de Bombay (337 pages) est paru le 24 septembre 2014 aux Editions Fayard/Versilio.
L’histoire (éditeur) :
« Tu verras, l'Inde est un pays imprévisible. »
Ces mots sont les derniers que Michèle Fitoussi entend prononcer par son amie Loumia Hiridjee, le 26 novembre 2008. Quelques heures plus tard, Bombay est paralysée par une série d'attentats d'une violence sans précédent, un massacre qui fait 165 morts et plus de 300 blessés.
Loumia et son mari Mourad comptent parmi les premières victimes.
Ce livre retrace l'histoire de destins qui n'auraient jamais dû se croiser. Celui de la lumineuse Loumia Hiridjee, créatrice avec sa sœur Shama de la marque de lingerie Princesse tam.tam ; ceux de dix terroristes pakistanais venus semer la mort en martyrs.
Après deux ans d'enquête sur les traces de Loumia, Michèle Fitoussi rapporte un récit dense et bouleversant, qui se dévore comme un roman à suspense.
Mon avis :
La nuit de Bombay est un récit journalistique précis, documenté, riche, intense et très poignant qui se lit comme un roman.
Michele Fitoussi, l’auteure, est invitée en 2008 par Loumia Hiridjee à venir passer quelques jours à Bombay chez elle. Stationnée à Pondichery pour 4 jours d’escale, elle reçoit la terrible nouvelle : Loumia et son époux Mourad font partie des 165 victimes du massacre orchestré par les terroristes pakistanais organisés, conditionnés et sans pitié. La mort brutale de cette femme généreuse, lumineuse, entreprenante et souriante et surtout l’amitié avortée des deux femmes poussent Michel Fitoussi à écrire un livre. Assommée par le chagrin et l’incompréhension, elle travaille pendant deux ans, fouille, creuse et regroupe une foule de témoignages pour tenter de retracer la vie de Loumia, co-fondatrice de la marque de sous-vêtements féminins Princesse Tam-Tam et pour comprendre l’enchaînement des évènements qui ont conduit à cette fin tragique.
« Quel que soit le sujet d’un livre, on en revient toujours à soi. Au propre comme au figuré, j’ai accompli plus d’un voyage pour assembler ces bouts épars, ces quarante-six année d’existence qui, du Gujarat à Madagascar, de Paris à Bombay, et jusqu’à la fin tragique, ont pris la forme d’une destinée. Celle d’une femme gaie, humaine, curieuse, tolérante, vibrante, entière, française, indienne, malgache et citoyenne du monde entier. Plus libre qu’elle ne le pensait. » Page 37
Rentrer dans La nuit de Bombay c'est rentrer dans la vie de Loumia. la partager de sa naissance à sa mort. L’auteure commence son histoire par ce qui l’a conduit à écrire ce livre, comme un avant-propos au récit qui suit, puis elle se lance dans l’histoire de sa famille avec Hirjee, l’arrière-grand-père, parti de Gujarat (en Inde) s’installer à Madagascar en 1895. On apprend à connaître la famille, ses valeurs, sa mixité et aussi et surtout son unité, et on avance rapidement jusqu’à la naissance de Loumia en 62, son enfance de garçon manqué, puis à 13 ans son installation à Paris où elle retrouve sa sœur Shama. On découvre ainsi comment l’idée de l’affaire a germé dans l’esprit de Shama et comment Princesse Tam-Tam a vu le jour, grâce au culot des deux soeurs, alors que Loumia n'a que 23 ans. Michèle Fitoussi en profite ainsi pour brosser un rapide portrait de la lingerie pour le moins instructif, expliquant ainsi comment l’idée novatrice des deux sœurs a si bien fonctionné.
« En six à peine, les sœurs Hiridjee ont fait du caleçon d’homme la plus belle conquête de la femme. » Page 132
Que ce soit de connaître intimement la famille ou de voir naître cette fabuleuse aventure humaine que fut Princesse Tam-Tam, se plonger dans ce récit procure indéniablement quelque chose. On s’émerveille de tant d’audace, on se sent proche de la famille Hiridjee, qui participe au complet à l’entreprise, et on s’attache énormément à cette enfant, adolescente et femme tout en dualité : vive, fantasque, pleine d’humour et en même temps timide, discrète et d’une grande fragilité. Quelle joie de voir la concrétisation de leurs projets, qui n’a pas été sans difficultés (mais l’acharnement et la bonne humeur payent !). Cette première partie du livre fait incroyablement chaud au cœur, leur idée du management est osée et tellement plus humaine et efficace, on regrette de n’avoir fait partie de l’aventure et d’avoir partagé un bon de route avec elle.
« Ensemble, ils ont bien compris que les employés contents de venir travailler tous les matins sont plus rentables que les autres. « Une entreprise, c’est fait pour générer de l’argent et rendre heureux les gens qui y travaillent avec nous », dit Loumia. (…)
Loumia n’oublie pas le petit personnel, les humbles, les discrets. A son enterrement, un groupe d’Ivoiriennes qui font le ménage dans les bureaux d’ivry sont en pleurs. Certains matins, la patronne arrivait à la même heure que l’équipe de nettoyage et les questionnait sur leurs enfants, leurs familles, leurs rêves. A force, elle connaissait tout de leurs vies. » Page 150
En 2005, Loumia et son mari Mourad Amarsy décident de vendre alors que l’affaire est au sommet (Shama s’en est déjà progressivement retirée). Même si c’est un deuil pour la jeune femme, le retour aux sources s’impose. Tout en investissant dans de nouveaux projets (elle s’investit en autres dans Terrafemina), le couple et ses trois enfants partent s’installer en Inde, tout en gardant un pied en France, où le reste de la famille vit.
Le récit change ensuite d’orientation pour revenir sur l’histoire de l’Inde, du Pakistan, du Cachemire et sur les traces des terroristes (la création de Lashkar-e-taiba, « l’armée des purs »). La lecture change également. L’ambiance devient évidement plus sombre et l’impression de rentrer dans un roman d’espionnage, un thriller où la tension va crescendo, se fait plus forte, jusqu’à un dénouement décrit de minute en minute et dans lequel les victimes sortent de l’anonymat. C’est avec la boule au ventre qu’on lit pratiquement les 60 dernières pages. Même en connaissant l’aboutissement de cette journée du 26 novembre 2008, on se sent tellement proche de Loumia (après avoir dévoré les 250 pages précédentes impossible de ne pas l’être) qu’on la vit comme une tragédie personnelle, le cœur tambourinant la chamade jusqu’à l’annonce de son décès.
Même si le livre recèle quelques longueurs, on ne peut que saluer le magnifique travail de Michèle Fitoussi qui livre ici un livre personnel et en même temps plein de pudeur, qui se lit très agréablement. La minutie dans ses recherches n’alourdit pas pour autant la lecture, mais au contraire elle répond à toutes les questions et permet une plus grande implication. On en ressort charmé, ébranlé, ému, effrayé, bouleversé. Bref, chamboulé ! Elle écrit là un « roman vrai » plein de respect, sobre et touchant. Et bien que la fin soit terrible, je garde en tête l’image d’une Loumia rayonnante de vie, simple et vraie.
« Les valeurs restent les mêmes qu’à Madagascar, frugalité, modestie, travail. » Page 130