Chronique « Le soldat » : Mon dieu, que la guerre est laide…
Scénario de Olivier Jouvray (d’après « Au royaume des aveugles »), dessin de Efa
Public conseillé : Adultes, grands adolescents
Style : drame historique
Paru chez Le Lomnbard, le 10 octobre 2014, 72 pages couleurs, 16.45 euros
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L’histoire
Dans un sous-bois, près du Potomac, pendant la guerre de Sécession. La jeune recrue Henry attend son premier assaut en compagnie d’autres soldats. Quelques secondes d’attente, la peur au ventre, Henry tire. Le temps de recharger, la troupe des ennemis fonce sur lui.
Quelques jours plus tôt, Henry rêvasse, en marchant au pas. Même s’il « fera ce qu’il y à faire, quand il faudra le faire », les paroles des vieux soldats, autour du feu de camp, ne sont pas là pour le rassurer. « Il parait que ce sont des sauvages, des démons, des cannibales… »
Wilson, son ami de toujours, fait le mariole ! Pour sûr, il se montrera digne, quand le moment sera venu…
Ce que j’en pense
Olivier Jouvray, scénariste du sympathique « Lincoln » et de « Au royaume des aveugles » s’attaque à l’adaptation d’un classique de la littérature américaine : « La conquête du courage ».
Écrit à la fin du 19e siècle par Stefen Crane, il s’agit d’un récit initiatique, un roman guerrier, qui voit un soldat triompher de sa propre lâcheté. De quoi enflammer la fibre militaire chez les lecteurs !
Prenant ce roman à bras le corps, Olivier Jouvray le tord dans tous les sens pour en tirer un pur récit anti-militariste. Quelle belle trahison !
Mais comment lui en vouloir ? Evitant soigneusement les envolées guerrières (tellement humains) qui nous poussent à s’imaginer le visage peint en bleu avec « BraveHeart », ou à saisir une hache pour pourfendre des gobelins, dans « La terre du milieu », il décrit une guerre sale et effrayante pour incarner toutes les guerres.
Pour une fois, nous n’avons pas droit à la première guerre mondiale, mais à la guerre de Sécession, un sujet un peu plus original, ces temps-ci.
Dans le regard du jeune Henry, la peur domine ! Quoi de plus naturel. Quand la mort arrive et qu’on a encore rien vécu de sa vie, qu’est-ce qui peut justifier ce « sacrifice » ? Le devoir ? le regard des autres ? La peur de passer pour un lâche ? C’est un peu tout ça qui va transformer le jeune homme en machine à tuer. Pour la communauté, au mépris de l’individu, Henry devient ce qu’il n’est pas : un héros ?
Avec ce récit simple et dramatique, Olivier Jouvray pose une démonstration sans faille, avec un seul homme, symbole de tous les hommes. Oui, la guerre est inutile, sale et stupide !
Olvier ne pose pas de jugement de valeurs. Pas de bons, ni de méchants dans cette histoire. Juste des hommes qui « font ce qu’on leur demande de faire »…
Les personnages
Le jeune Henry, apeuré pendant les ⅔ de l’album n’est pas vraiment un personnage charismatique. « Normalement lâche », il est notre alter-ego. A ses cotés, Wilson fanfaronne et joue les fiers-a-bras. Mais lui non plus n’a pas la personnalité d’un leader. Le plus étrange et charismatique de tous, c’est Jim, le vieux soldat qui trépasse au premier assaut. Mort, oui, mais pas absent pour autant ! Son fantôme accompagne Henry dans sa quête…
Le glissement fantastique, Olivier Jouvray le joue avec sincérité, en faisant de Jim le catalyseur de l’histoire. Etonnant
Le dessin
Le jeune dessinateur Efa (Ricard Fernandez) avait travaillé la série « Kia Ora » avec Olivier Jouvray, « Yerzhan » avec Régis Hautière et « Alter Ego » avec Denis Lapière.
Pour « Le soldat », son trait classique est magnifié par des couleurs directes à l’aquarelle.
Particulièrement attentif à la lisibilité de l’album, il nous livre de très belles planches, servis par un découpage classique.
En couleurs lumineuses, bleues nuits, ou terreuses dans les assauts guerriers, son dessin laisse la place à l’émotion et aux sentiments. Superbe !
Pour résumer
Adaptation d’un classique de la littérature américaine, Olivier Jouvray nous livre un One-shot anti-militariste ! Utilisant les peurs d’un jeune soldat pendant la guerre de Sécession, il déconstruit le discours militaire.
Sujet universel, Le Soldat parle de courage , de lâchrté et de l’horreur de la guerre. Spectaculaire et intime à la fois, les planches en couleurs directes de Efa accompagnent le récit avec subtilité et émotions.