François Boucher (Paris, 1703-1770),
Le Déjeuner, 1739
Huile sur toile, 81,5 x 61,5, Paris, Musée du Louvre
Il ne vous aura pas échappé que 2014 est une année anniversaire pour Jean-Philippe Rameau, dont on entend un peu plus les œuvres qu'à l'accoutumée, même si on peut juger que l'effort consenti demeure encore insuffisant puisque, par un curieux paradoxe, l'un des compositeurs les plus inventifs de son temps ne parvient toujours pas à être prophète en son pays, en dépit de l'énergie que ses zélateurs déploient pour assurer sa promotion. Même s'il est principalement fêté pour sa production lyrique, c'est du côté de sa musique instrumentale que je souhaite vous entraîner aujourd'hui, à l'occasion de la parution d'une nouvelle lecture de ses Pièces de clavecin en concerts par le jeune ensemble Les Timbres.
En mars 1741, le Mercure de France annonça la publication d'un « nouvel Ouvrage de Musique intitulé : Pièces de Clavecin en Concerts avec un Violon ou une Flûte, & une Viole, ou un deuxième Violon par M. Rameau ». Le compositeur, qui avait enchaîné les réussites à la scène depuis la création rien moins que fracassante d'Hippolyte et Aricie (1733) mais s'était également vu attaqué pour son traité de musique publié en 1737, Génération harmonique, s'offrait avec ce recueil, l'unique qu'il composera jamais pour une formation que l'on dirait aujourd'hui de chambre, un répit bienvenu dans ses activités trépidantes.
Très probablement encouragé par l'immense succès des Pièces de clavecin en sonates opus 3 publiées en 1734 par
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), Rameau enrichit considérablement la formule popularisée par son prédécesseur avec un art supérieur de la couleur instrumentale et de l'animation
théâtrale. Composé de cinq Concerts de trois pièces chacun, à l'exception du Deuxième qui en compte quatre, le recueil ne comporte que peu de morceaux d'essence purement
chorégraphique, les Premier et Second Menuets du Deuxième Concert ainsi que les célèbres et entraînants Premier et Second Tambourins du Troisième Concert.
Les quatorze autres sont des pièces de genre qui évoquent soit un lieu, soit un personnage, soit un caractère. On croisera donc, dans le Premier Concert, un roi de Perse évoqué sur un
ton martial (La Coulicam, inspirée par l'Histoire de Thamas Kouli-Kan, ouvrage publié en 1740 par André de Claustre), puis une évocation empreinte d'une belle noblesse du
comte de Livry, que Rameau connut grâce à son librettiste Alexis Piron et qui devait mourir quelques mois plus tard (La Livri), et enfin celle, cette fois d'une joie toute agreste,
d'un hameau champêtre proche de Paris (Le Vézinet). Le Deuxième Concert voit, lui, se succéder le portrait malicieux d'un élève de Rameau, à propos duquel il aurait ensuite
déclaré qu'il n'avait « ni génie, ni talent » (La Laborde),
Pour son premier disque, l'ensemble Les Timbres a choisi de se conformer strictement à l'effectif précisé sur le
frontispice de l'édition de 1741 – on connaît aussi des lectures plus fournies, comme l'adaptation « en simphonies », d'ailleurs tout à fait recommandable, de Hugo Reyne (Musiques à
la Chabotterie) – et de jouer sans détour la carte de la proximité qu'offre ce dispositif. Cette option se révèle payante, car elle est défendue par un trio de musiciens qui, non content de
nous apporter la fraîcheur du regard et l'investissement que l'on est en droit d'attendre de la part de jeunes interprètes, nous étonne par sa maîtrise et sa déjà tangible maturité.
De goût, l'ensemble Les Timbres n'en manque pas et l'on sait gré à Philippe Pierlot de l'avoir repéré et accueilli sur son propre label. Même si l'on sait qu'après ce Rameau fort réussi, les trois musiciens prévoient de remonter un peu le cours du temps pour faire escale en Italie, on espère vivement que leur incursion dans le répertoire français, envers lequel il semble nourrir de vraies affinités, ne restera pas sans lendemain.
Les Timbres
Yoko Kawakubo, violon
Myriam Rignol, viole de gambe
Julien Wolfs, clavecin
1 CD [durée totale : 69'35"] Flora 3113. Ce disque peut être acheté sous forme physique chez votre disquaire ou en suivant ce lien, et au format numérique sur Qobuz.com.
Extraits proposés :
1. Fugue La Forqueray
2. La Boucon, Air gracieux
3. Premier Tambourin, deuxième Tambourin en Rondeau
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Illustrations complémentaires :
Frontispice des Pièces de clavecin en concerts, Paris, Bibliothèque nationale de France, département Musique, VM7-5309, consultable en suivant ce lien.
La photographie de l'ensemble Les Timbres est de Diego Salamanca, utilisée avec autorisation.
Un amical merci à Frédéric Degroote, auteur du blog Sprezzatura E Glosas.