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Le code dès l’école, une brique essentielle pour façonner sa pensée numérique ?

Publié le 08 octobre 2014 par Pnordey @latelier

Nombreux sont ceux qui défendent l’idée qu’apprendre le code informatique au plus jeune âge avant même de savoir lire, écrire et compter n’est pas une hérésie. Il s’agit même d’un apprentissage nécessaire pour vivre dans son époque.

Tous les deux favorables à l’apprentissage à l’école, Serge Abiteboul (informaticien, directeur de recherche à l'INRIA et membre de l’Académie des Sciences et du Conseil National du Numérique) et Nicolas Sadirac (fondateur de l'Epitech et de l'École 42 avec Xavier Niel) ont partagé leurs arguments à l’occasion de l’émission L’Atelier numérique sur BFM Business.

L’Atelier : Serge Abiteboul et Nicolas Sadirac, vous appartenez tous les deux à ceux qui, de plus en plus nombreux, plaident en faveur de l’apprentissage du code informatique à l’école. Pourquoi est-ce devenu si important ? Jugez-vous cela aussi important que lire, écrire ou compter ?

Nicolas SADIRAC : Il est évident que ce n'est pas parce que l’on apprend à coder que l’on n’apprend pas à lire et à écrire. Ce sont de toute façon des moyens différents de développer les capacités intellectuelles et cognitives. Il existe néanmoins aujourd'hui un besoin particulier dans ce domaine-là, et il est donc possible de faire d’une pierre deux coups. J’aurais même tendance à dire que cela participerait de façon plus efficace à un développement global. Car notre monde économique a évolué et avoir une population éduquée dans ces domaines pourrait se révéler un avantage concurrentiel important.

Serge ABITEBOUL : Nous sommes actuellement en train de former les enfants à un monde qui est celui du XXème siècle… Or, ce n’est plus du tout dans ce monde-là qu’ils vont vivre. Il faut donc les former afin qu’ils comprennent le monde qui les entoure, qu’ils apprennent à le maîtriser, à s’imposer, à se créer. Effectivement, cela n’implique pas d’opposition avec la lecture et le calcul. J’entends toujours dire par exemple : "Attention, si on leur ajoute du code, ça va être un problème". C’est faux : on constate qu’apprendre la programmation et la pensée informatique à l’école facilite d’une certaine façon l’apprentissage de la lecture et du calcul. C'est un développement général de l’enfant.

A partir de quel âge pourrait-on apprendre à coder ?

Serge ABITEBOUL : Il n’y a pas véritablement d’âge pour apprendre à coder sachant qu’il ne s’agit pas de faire de la programmation pure et dure. À l’école, les activités propsées dans ce domaine sont beaucoup plus ludiques : les enfants s’amusent, apprennent la pensée informatique, apprennent la notion d’algorithme, et ce, parfois même sans ordinateur. J’ai assisté à des expériences dans lesquelles les enfants y arrivaient très bien.

Nicolas SADIRAC : L’exemple d’une expérience qui a bien fonctionné en France, c’était le plan informatique pour tous. J’ai participé à des classes d’enfants entre quatre et six ans à qui on ne demandait évidemment pas de coder avec un langage de programmation, mais plutôt de travailler ce qu’on appelle la pensée informatique. Ils adoraient ça et étaient très motivés. L’un des problèmes concernant l’enseignement, c'est l’attention, la capacité de se focaliser sur quelque chose. Or, ces jeux informatiques avaient le mérite d’immerger totalement ces enfants dans le programme. J’ai vu des salles de 30 ou 40 enfants et aucun bruit en émanait !

L’Atelier : Alex Hope, un observateur britannique dit : "Coder c'est le nouveau latin". C'est une gymnastique d’esprit. Or l’apprentissage du latin nécessite de savoir écrire et parler. Du coup est-ce que la question de l’âge n’intervient quand même pas ? Est-ce qu’il ne faut pas faire les choses un peu dans l’ordre et attendre l’acquisition des bases ; ne serait-ce qu’en mathématiques ?

Serge ABITEBOUL : Un exemple très simple : l’algorithmique. Cette discipline peut s’apprendre très tôt. Si vous prenez un enfant, une des premières choses qu’on lui apprend est de s’habiller. On lui explique qu’il faut mettre ses sous-vêtements avant de mettre son pantalon. Il y a donc un séquencement des tâches. C'est quelque chose de très classique. Ensuite pendant cet apprentissage, vous leur expliquez qu’ils peuvent essayer de mettre une chemise en même temps qu’un T-shirt, mais que c'est compliqué. Par contre les deux jambes du pantalon en même temps, c’est envisageable. Vous leur apprenez alors le parallélisme. En jouant, vous pouvez introduire toutes ces notions de façon complètement naturelle et les préparer petit à petit à aller vers beaucoup plus de choses jusqu’à ce qu’ils apprennent les vrais fondements de l’informatique qu’ils pourront utiliser.

Nicolas SADIRAC : Plus que de la logique, c'est un mode de pensée que l’on apprend. C'est quelque chose qui effectivement se fait tout à fait naturellement, à travers des jeux et en mettant en place des situations assez complexes pour que la personne soit obligée de structurer sa façon de faire. J’ai vécu l’expérience aux États-Unis lorsque j’ai envoyé ma fille de 9 ans dans un camp de vacances pour apprendre à coder. Ils sont tous partis de zéro et ils ont appris. Ils ont été mis dans le bain avec un langage de programmation horrible qu’ils appellent "Visual Basic" et à la fin du camp, tous faisaient des programmes très compliqués. Mais pour autant, on ne leur apprenait pas à multiplier les matrices car ça, ils n’y arriveraient pas. Il faut que cela reste un jeu.

L’Atelier : La grande question est qui doit leur apprendre ? Les professeurs sans doute pas assez formés actuellement, ce qui implique de le faire ? Ou l’apprentissage doit-il venir de l’extérieur ?

Serge ABITEBOUL : C’est une question récemment soulevée par le gouvernement. Inclure ces cours dans ce qu’on appelle désormais le périscolaire est pour moi une excellente idée parce que cela peut être effectif immédiatement. D’ailleurs, il existe déjà des associations avec des gens talentueux qui sont très motivés et qui ont envie. En revanche, cela ne peut être à mon avis qu’une solution temporaire. En effet, si on veut maintenir l’école de la République, c'est-à-dire l’égalité des chances pour tous, il faut que ce soit fait par les écoles. Je souligne également une vraie volonté du Premier ministre d’introduire l’enseignement de l’informatique dans les écoles de formation des maîtres. Il faut le faire tout de suite et faire de la formation continue pour la grande masse des professeurs des écoles qui sont en exercice. Cela va prendre un peu de temps mais il faut commencer.

Nicolas SADIRAC : Pour ma part, je pense deux choses. Il y a une première étape qui est de se dire : effectivement il y a urgence. Si on n’a pas d’actions assez rapides, on risque de décrocher du point de vue économique. Et c'est en partie ce qui a poussé Xavier Niel à se lancer sur 42. Et à terme, effectivement, c'est assez logique et mieux que ça soit un système de l’enseignement de l’État qui s’en occupe. Mais pour moi, nous parlons de décennie. C'est vrai que c'est une très bonne chose de former les professeurs des écoles et ça paraît nécessaire. Mais le temps que cela se répercute correctement, nous risquons d’être un pays sous-développé dans le numérique. Nous sommes en plein virage économique mondial. A l’instar d’une révolution industrielle, ceux qui vont rater le tournant vont se retrouver en dehors du jeu. Si on passe à côté, nous auront beau faire tout ce que l’on veut derrière pour rattraper, ce sera trop tard. Donc, il faut à la fois jouer le long terme et former les profs, mais il faut trouver des solutions intermédiaires pour que nos jeunes de 8 à 10 ans immédiatement.

L’Atelier : Comment apprend-on le code ? Il faut des ordinateurs, du matériel,…  Il y a donc des dispositions techniques à prendre en compte. Cela demande aussi des investissements, non ? Des méthodes ?

Serge ABITEBOUL : Les méthodes existent. L’autre avantage, c'est que les machines maintenant coûtent beaucoup moins cher. L’investissement n’est donc plus aussi considérable qu’il pouvait l’être il y a 20 ans.

Nicolas Sadirac : Les ressources sont d’ailleurs très simples à avoir aujourd'hui. Ce n'est plus le problème. En Inde par exemple,  des expériences ont été faites avec des moyens extrêmement faibles. Aujourd'hui, c'est un problème de volonté et de ressources humaines, de choix et puis peut-être aussi de lobbying de politique.

L’Atelier : Cela implique quand même une machine par élève ? En dépit de certaines initiatives, c’est loin d’être le cas…

Serge ABITEBOUL : Installer des machines, des centres dans les écoles demande effectivement un peu de travail, notamment en ce qui concerne la maintenance. Car trouver un conseil général ou une mairie qui paie des machines, ce n'est pas si compliqué. En revanche, demander qu’un ingénieur système gère tout ça, cela devient bien plus compliqué. J’aimerais insister sur un autre point. On a un peu trop tendance à tout focaliser sur la programmation. Or, il ne s’agit pas de mettre simplement un cours de programmation à l’école primaire et de se dire qu’on a réglé le problème. Il faut un suivi, un enseignement qui débute à l’école primaire, qui continue sur le collège, puis sur la terminale. En mathématiques, on commence par le calcul en CP, et après cela va crescendo dans la difficulté. L’informatique c'est un petit pareil, il ne faut pas croire que cela se réglera en un cours.


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