Nous continuons la série d'articles consacrés aux ponts de la Goutte d'Or avec le pont qui enjambe les voies de chemin de fer du Nord sur le boulevard de la Chapelle, celui qui est sans doute le plus connu mais dont en général on ignore le nom: le pont Saint-Ange.
Dernier pont avant la gare du Nord
Le pont Saint-Ange est un pont qui permet au boulevard de la Chapelle d'enjamber les voies de chemin de fer du Nord à l'arrière de la gare du Nord. Ainsi, le coté impair du pont Saint-Ange offre une vue panoramique privilégiée sur les quais de la gare du Nord. Situé à d'extrémité sud de la Goutte d'Or, à la frontière du dixième et du dix-huitième arrondissements de Paris, ce pont a énormément évolué depuis sa construction. À son édification vers la fin de la première moitié du XIXe siècle, le pont Saint-Ange est un simple ouvrage d'art en pierre laissant passer les deux seules voies du chemin de fer du Nord. Aujourd'hui, c'est un pont métallique qui supporte le viaduc de la ligne 2 du métro et qui enjambe pas moins de vingt-sept voies de chemin de fer de surface ainsi que quatre voies souterraines.
Le pont de Saint-Ange a été construit concomitamment avec le percement des voies de chemin de fer du Nord en 1844-1846. On dû alors surélever le sol du boulevard de plusieurs mètres afin que le pont soit suffisamment haut pour permettre le passage des trains de la Compagnie des chemins de fer du Nord. Tout comme les autres ponts voisins jetés sur cette tranchée de chemin de fer, il a subit de nombreuses modifications (reconstruction, élargissement, surélévation) pour s'adapter à la croissance du trafic ferroviaire de la gare du Nord et aux élargissements successifs des voies de chemin de fer du Nord. La première reconstruction date de 1860, la construction en pierre est alors remplacée par une construction métallique (de même pour le pont de Jessaint). Les dernières modifications d'envergure datent de 1977.
Viaduc
Si le pont Saint-Ange a été remanié à de nombreuses reprises, la transformation la plus remarquable est sans conteste celle opérée par le passage du métro sur un viaduc métallique sur le parcours du boulevard de la Chapelle. En effet, la ligne la circulaire Nord du métropolitain parisien, aujourd'hui Ligne 2 de la RATP, qui relie la Porte Dauphine à la place de la Nation, est en partie souterraine et en partie émergée entre les stations Barbès-Rochechouart(anciennement "Boulevard Barbès") et Jaurès (anciennement "Allemagne") où elle surplombe les boulevards de la Chapelle et de la Villette sur un viaduc porté par des colonnes de fonte et des piliers en pierre. Ce tronçon aérien de près de deux kilomètres permet au métro de traverser les lignes de chemins de fer du Nord et de l'Est ainsi que le canal Saint-Martin qu'il croise successivement. Et c'est bien ce viaduc qui donne sa physionomie multimodale si caractéristique au pont Saint-Ange, où piétons, vélos, voitures, trains et métro se croisent incessamment.
Pour cette ligne de métro, c'est le projet de Fulgence Bienvenüe qui est retenu, alors que les ateliers de Gustave Eiffel voient le leur retoqué (voir croquis plus bas). Les études préparatoires ont lieu en 1900 et le chantier commence en 1901. Certaines parties souterraines sont d'abord réalisées et ouvertes en 1902, le viaduc est construit entre 1902 et 1903. Remarquons que le passage sur le pont Saint-Ange nécessite des travées beaucoup plus longues (75,25 mètres) que celles du reste du parcours aérien (de 19,48 à 27,06 mètres, 35,89 mètres pour le franchissement du boulevard Barbès et 43,47 mètres pour celui de la rue d'Aubervilliers). La ligne est ouverte aux usagers dans sa totalité le 2 avril 1903.
Dernier souvenir du hameau Saint-Ange
Hormis ceux qui enjambent la Seine, les ponts parisiens portent généralement le nom de la voie qu'ils supportent, comme le pont de Jessaint ou le pont Jean-François Lépine et c'est également le cas du pont Saint-Ange. Il faut revenir sur l'histoire du boulevard de la Chapelle, qui n'a pas toujours porté ce nom, pour comprendre ce baptême. Ce boulevard parisien, qui s'étire depuis les rues de Château Landon et d'Aubervillier jusqu'au carrefour Magenta/Rochechouart/Barbès, est percé en 1789 sur le parcours extérieur du mur des Fermiers généraux (mur détruit juste après l'annexion des communes suburbaines en 1860). Le chemin de ronde intérieur est annexé au boulevard avec la destruction du mur d'enceinte en 1860, lui conférant sa largeur actuelle. Auparavant, il était dénommé comme suit: à l'extérieur de l'ancien mur d'octroi: boulevard des Vertus, entre les rues d'Aubervilliers et Marx Dormo ; boulevard de la Chapelle, pour le surplus. A l'intérieur de l'ancien mur d'octroi: chemin de ronde Saint-Denis, entre la rue du Faubourg Saint-Denis et la place de la Barrière Poissonnière, qui était située au débouché de la rue du Faubourg Poissonnière ; place de la Barrière Poissonnière ; l'ancien boulevard de la Chapelle s'était appelé boulevard des Anges entre les rues Marx Dormoy et de la Charbonnière et précédemment boulevard Saint-Ange entre les rues de la Chapelle et de la Charbonnière.
Le pont Saint-Ange se nomme donc ainsi car il supportait à son origine le boulevard Saint-Ange, qui lui-même tenait son nom du hameau Saint-Ange. Le hameau Saint-Ange s'est développé dans les années 1815-1830 depuis les rues de Chartes et de la Charbonnière jusqu'à l'actuel rue Marx Dormoy (alors Grande-Rue de la Chapelle), d'ailleurs, l'intersection en croix de Saint-André des rues de Chartres et de la Charbonnière a porté le nom de place Saint-Ange jusqu'en 1877. Ce foyer d'habitations, aujourd'hui inclus dans la Goutte d'Or, n'en faisait alors pas partie. Le quartier de la Goutte d'Or, qui s'est développé autours d'une nitrière artificielle à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, était cantonné autours de ce qui est aujourd'hui l'intersection de la rue de Goutte d'or et du boulevard Barbès, ne dépassant guère la rue des Islettes (alors rue Neuve de la Goutte d'Or). Le hameau Saint-Ange (puis "quartier Saint-Ange") de la commune de la Chapelle, porte le nom du propriétaire-spéculateur du terrain à l'origine de son urbanisation: M. de Trutat-Saint-Ange. Ce dernier acquit les terrains pour une somme de 12000 à 14000 francs pour les revendre, une fois viabilisés, pour la somme de 214000 francs.
L'urbanisation galopante du quartier à partir des années 1840 fit son oeuvre et le quartier Saint-Ange fût absorbé par celui de la Goutte d'Or, et hormis le pont Saint-Ange, il ne reste aucune trace de ce passé. Signalons tout de même l'hôtel Saint-Ange qui subsista à l'angle de la place de la Chapelle et de la rue de Jessaint jusqu'à que l'îlot auquel il appartenait fut détruit et annexé pour partie au square de Jessaint, le reste servant à l'élargissement de la tranchée des voies de chemins de fer du Nord (voir photo ci-dessous). Un autre hôtel Saint-Ange exista antérieurement au 22 rue de la Charbonnière.
Promenons-nous sur le pont ?
Aujourd'hui, le pont Saint-Ange, comme le reste du boulevard de la Chapelle, offre un visage peu reluisant. Relativement abandonné des pouvoirs publics, les piliers de soutien du viaduc faisant office d'urinoir et de dépôt d'encombrants. Il offre néanmoins un refuge à quelques sans-abris sous les arches du viaduc, et depuis peu il abrite le "marché de la misère" qui prolonge le marché Barbès qui se tient le mercredi et le samedi sur le boulevard de la Chapelle entre les rues Guy Patin et de Maubeuge.
Déplorant cet état de relatif abandon, l'association Action-Barbès propose une réhabilitation de ce parcours en une promenade urbaine (voir le projet sur le blog d'Action-Barbès). Si on ne peut que se réjouir de cette heureuse initiative et espérer son aboutissement prochain, dans le détail, on déplorera la proposition de couverture de voies de chemin de fer entre le pont Saint-Ange et le pont de Jessaint en vue d'en faire un parking pour les autocars de tourisme. En effet, ces derniers se sont approprié dernièrement une voie de circulation sur le pont afin de se garer en toute illégalité et en toute impunité, les responsables politiques et les forces de l'ordre privilégiant à cet endroit le contrôle au faciès plutôt que le respect du code de la route. La Goutte d'or ne saurait être l'arrière-cour de Montmartre et de la gare du Nord, ce quartier et ses habitants méritent mieux que cela.
Mais ce projet, soutenu par les maires du dixième et du dix-huitième arrondissements durant la campagne électorale pour les municipales du printemps 2014, semble pour l'instant n'être qu'un voeux pieu (voir à ce sujet l'article sur le blog d'Action-Barbès). Le pont Saint-Ange attendra encore…
Quelques vues et évènements du pont Saint-Ange