Depuis des mois, les opposants au projet de barrage de Sivens dans le Tarn dénoncent la destruction annoncée de la zone humide du Testet sur 12 hectares, havre de 82 espèces animales protégées et se situant en partie sur une zone naturelle d’intérêt écologique (ZNIEFF). Jusqu’ici, le conseil général et le la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’ouvrage, poursuivent leur projet de barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes d'eau, estimé à près de 8 millions d’euros.
Une dizaine d’hectares d’arbres ont déjà été défrichés par les donneurs d’ordre. La justice vient de rejeter deux recours déposés par France nature environnement (FNE). La mobilisation militante a grandi depuis la création en 2011 du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. La forêt de Sivens, aujourd’hui en partie déboisée, est occupée depuis des mois par des activistes, certains perchés dans les arbres pour empêcher qu’ils ne soient abattus. D’autres s'enterrent jusqu’au cou dans le sol, d’autres encore sont en grève de la faim. Des occupations (des fermes, un lycée à Gaillac, devant le conseil général à Albi…) s'organisent. Même le Groland s’est invité au Testet et y a créé« GroZAD ».
Dans le sillage de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ils ont déclaré le Testet en« ZAD », une « zone à défendre » contre les engins de chantier et les aménageurs. Depuis le début du mois, les affrontements ont été rudes. Comme dans le bocage nantais, les forces de l’ordre n’ont pas lésiné sur l’usage de bombes lacrymogènes. « Maïs, armée et globalisation », a dénoncé l’économiste et militante d’Attac Geneviève Azam dans une tribune.
Pour le conseil général du Tarn, la retenue de Sivens est rendue indispensable par « l’état critique chronique de la rivière du Tescou, en terme d’étiage et par les besoins d’une activité agricole raisonnée ». L’exécutif départemental dénonce les « quasi commandos » des opposants, essentiellement composés de non-riverains, critères apparemment d’illégitimité politique. Ségolène Royal a nommé une mission d’expertise et annonce vouloir « concilier la sécurisation d'une activité agricole raisonnée et la préservation de la ressource aquatique et des milieux naturels ».
Contre le projet de barrage, ses détracteurs mettent en avant son coût (8,4 millions d'euros), l'ancienneté de ce projet (près de 35 ans), les failles de l’enquête publique et la non-prise en compte de plusieurs expertises, scientifiques et des services de l’État chargés de l’eau, le mépris pour la faune et la flore condamnées par la submersion, l’ignorance de la valeur des zones humides. À cela s'ajoute un conflit d’intérêts latent : les études préliminaires ont été réalisées en 2001 par la société CACG, qui est devenue aujourd’hui maître d’ouvrage. Face à ces critiques, la puissance publique se retranche derrière le respect des procédures réglementaires, comme à Notre-Dame-des-Landes.
Un autre enjeu majeur de ce conflit est jusqu’ici plutôt passé inaperçu : la mise en cause des méthodes de compensation de la destruction annoncée de la zone humide, composée d’aulnes, de saules, de frênes et de prairies permanentes naturelles. Pour le conseil général et la préfecture, la destruction de la zone humide du Testet serait compensée par la réhabilitation de zones humides ailleurs, réparties en neuf parcelles discontinues : 20 hectares doivent être recréés en amont de la retenue.
Ces mesures compensatoires présentent « un caractère hypothétique, voire inadéquat », notamment sur la restauration des caractéristiques des parcelles destinées à disparaître sous les eaux, signale le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN)en décembre 2012. Il constate« une analyse bénéfices-risques défavorable pour le patrimoine naturel, notamment du fait de l’altération prévisible du bon état écologique actuel du Tescou (la rivière qui doit être équipée du fameux barrage, ndlr) » et de l’ennoiement « impossible à compenser d’une partie notable de la seule zone humide majeure de la vallée ».
« Il est rarement possible de compenser à l’identique, et plus généralement, de penser l’équivalence entre des destructions de surfaces naturelles et la recréation d’espaces naturalisés », analysent les auteurs du livre Économie et biodiversité (voir l'onglet Prolonger), pour qui « le principe de la compensation écologique repose sur l’illusion que l’ingénierie écologique et la toute-puissance de la technologie sont capables de restaurer la nature de façon équivalente. C’est pourtant loin d’être toujours le cas ».
La bataille de l’eau et du climat
Le rapport sur « Le climat de la France au XXIe siècle », sous la direction du climatologue Jean Jouzel, prévoit une augmentation des épisodes de sécheresse dans une large partie du sud du pays d’ici la fin du siècle. Le monde agricole y sera vulnérable, et en particulier en Midi-Pyrénées. Apprendre à s’adapter au manque structurel d’eau, de façon récurrente, va devenir un enjeu vital pour les paysans du Tarn.
Et pourtant, avec le barrage de Sivens, les pouvoirs publics poursuivent une politique d’équipement envisagée sous l’angle d'un approvisionnement toujours croissant, et non d’investissement pour réduire les besoins. Comme si à leurs yeux le dérèglement climatique n’existait toujours pas. C’est l’autre bataille cachée du barrage de Sivens. « L’enjeu majeur de ce projet est de renforcer l’irrigation des terres agricoles (maïs et oléo-protéagineux, voire abreuvage de bétail), analyse le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) en avril 2013, l’enjeu d’intérêt public majeur est évoqué sous l’angle des besoins en eau, mais aucune mesure d’économie de l’usage de l’eau n’est indiquée dans le dossier pour y parvenir. » En conséquence, il a accordé un avis défavorable au projet.
Il faut fouiller dans les documents de l’enquête publique pour cerner l’ampleur du problème : près de 68 % du volume total du futur barrage doit servir à l’irrigation. Les exploitations concernées ne sont pas forcément gigantesques, la surface agricole utile ne dépasse pas 60 hectares en moyenne, précise le conseil général. Mais sans stratégie concrète d’adaptation au changement climatique, elles risquent de pomper de plus en plus d’eau pour se maintenir. Les calculs de débit et les besoins en eau n’ont pas été actualisés depuis 2009, déplore le CNPN.
Dans ces conditions, c’est tout le projet du barrage de Sivens qui entre en contradiction avec les objectifs de transition énergétique et écologique affichés par le gouvernement, à quelques jours de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi de Ségolène Royal. Pourtant, ministres de l’écologie et de l’agriculture se font discrets sur le sujet.