TAIGA s’ouvre sur le titre éponyme, une introduction mélangeant une rythmique ultra basse très lente avec des cuivres un peu baroques, presque grandiloquents, d’où la voix de Nika Roza Danilova se détache très distinctement bien que jouant sur différentes textures. L’effet est assez déconcertant car même si au premier abord ce titre semble solaire, l’ambiance n’en reste pas moins spectrale et tout l’album est de cet acabit. ‘’Dangerous Days’’, le titre teasé à l’annonce de l’album, qui suit est très pop avec un petit effet eighties.
Mais qu’on ne s’y trompe pas non plus, cela reste néanmoins assez sombre. Il en est de même pour ‘’Dust’’ qui utilise assez ironiquement certains formats RnB des années 90. On peut déjà voir que le verni ‘’pop’’ n’est que cela, du verni. On retrouve constamment cette part sombre qui est partie intégrante de Zola Jesus. Cette ironie continue encore dans ‘’Hunger’’, si le titre pourrait vous faire danser sur un dance-floor, les paroles, elles, parlent d’addiction et de la difficulté d’y résister.
Les titres bien que jouant sur un gimmick – ici les cuivres alors que Versions jouait sur les violons – sont loin de tous se ressembler : s’il y a des titres se montrant emphatiques, d’autres sont plus intimes, notamment ‘’Ego’’. La volonté d’explorer différents territoires musicaux avec cette base est palpable. Sur ‘’Lawless’’, on retrouve des thèmes symphoniques avec des ensembles de cordes. ‘’Nail’’, le titre suivant, se montre très dépouillé avec un début a cappella pour ensuite ajouter, alors que tout est dit, une rythmique electro et les cors : comme une ouverture de l’intime vers l’extérieur.
Que l’on passe de la lamentation de ‘’Nail’’ à la dimension épique très marquée dans ‘’Hollow’’, ce qui ressort avant tout c’est la voix riche et puissante de Danilova. Les orchestrations sont toujours bien dosées et la mettent vraiment bien en valeur. Or, on pourrait tout aussi bien s’en passer pour ne garder qu’un album a capella. Si souvent les thèmes sont sombres, il faut se garder de penser que l’album est déprimant, bien au contraire, il y a une énergie positive tout au long des titres: on peut même parler de catharsis.
Cinquième album de la jeune femme, TAIGA se montre le plus facile d’accès comparé aux précédents albums. Néanmoins cette apparente facilité cache beaucoup de maîtrise pour faire cohabiter toutes les influences que ce soit indus, electronica, cold wave ou goth. Comme répété souvent ci-dessus, cet album invite l’auditeur dans le monde sombre et secret de Zola Jesus mais en laissant entrer de la lumière sans pour autant gâcher l’attraction mystérieuse qu’il suscite. Au final c’est bien de cela qu’il s’agit : le point d’équilibre entre l’obscurité et la lumière, entre le froid et la chaleur, l’intime et l’épique, tout comme la taïga est cette zone entre les zones habitables et les froids extrêmes du Grand Nord. Taiga est certainement le meilleur album de Zola Jesus à ce jour et on peut presque sentir dans chaque note l’engagement, la dévotion même, que met Nika Roza Danilova dans son art.