Un jour de plaisir, édité en 1979 chez Stock, est une compilation d’une vingtaine de textes, pour certains déjà parus ailleurs, pour d’autres inédits. On y trouve aussi la première mouture de Shosha qui deviendra plus tard un roman à part entière.
Comme le précise l’écrivain dans sa préface, « Les histoires que je raconte dans ce livre sont vraies et se sont passées pendant les quatorze premières années de ma vie. » Souvenirs d’enfance, donc, où nous suivons l’auteur de Radzymin, petit village polonais où il naquit à Varsovie, puis alors que la première Guerre mondiale éclate et fait souffrir les habitants des villes, à Bilgoray village natal de sa mère. Né d’un père rabbin et d’une mère fille de rabbin, le jeune Singer baigne dans le respect des traditions et de la culture juive.
Le bouquin découpé en chapitres courts, dresse des portraits attachants que ce soit le laitier, Reb Asher qui le balade dans sa voiture tirée par un cheval, ou bien l’émouvante histoire de cette vieille blanchisseuse qui jusqu’à sa dernière seconde mettra un point d’honneur à satisfaire ses clients et enfin, Shosha une amourette d’enfance qui nous vaut un texte au final poignant.
Un excellent livre dans le sens où il est une parfaite introduction à la littérature juive américaine, on y retrouve ici les mêmes souvenirs de jeunesse que chez les Henry ou Philip Roth (par exemple) mais en moins trash que chez Henry et exprimés plus naïvement que chez Philip. Là aussi, les termes yiddish font l’objet d’un très mince glossaire en fin d’ouvrage et n’entravent pas du tout la lecture. Une bonne occasion pour se familiariser avec les traditions juives (de l’époque ?) comme l’interdiction d’avoir de l’argent sur soi pendant le shabbat ou de porter une perruque pour les femmes… Personnellement, j’aime beaucoup ces histoires où de jeunes juifs corsetés dans leurs rigides coutumes ancestrales et religieuses font l’expérience de la vie en se confrontant au monde moderne qui s’éveille en ce début de vingtième siècle. Et comme chez ses confrères écrivains, il y a une écriture qui ne peut laisser indifférent.
« J’étais très jeune quand je pris conscience de la souffrance humaine. La Pologne, déchirée entre la Russie, l’Allemagne et l’Autriche, avait perdu son indépendance une centaine d’années plus tôt. Mais nous, les Juifs, nous avions perdu la terre d’Israël voilà près de deux mille ans. Mon père m’assurait toutefois que si les Juifs menaient une vie pieuse, le Messie viendrait et nous retournerions tous en terre d’Israël. Mais attendre deux mille ans, c’était long, vraiment trop long. En outre, comment être sûr que tous les Juifs obéissaient à la loi de Dieu ? Il y avait des voleurs, dans notre rue, et toutes sortes d’escrocs. Des gens de leur espèce pouvaient retarder indéfiniment la venue du Messie. »
Traduit de l’anglais par Marie-Pierre Bay