Onzième et dernier épisode de ce feuilleton. Il s’agit d’extraits d’un ensemble intitulé Cahier AA de Claude Minière.
Cette citation de Villon : « Emperiere des infernaux palus ». Que la Vierge soit l’impératrice des marais infernaux a dû secouer le destinataire de la lettre, André Breton.
6ème VUE SUR L’ACROPOLE
Bien avant le laïque les pieds nus
ou de sandales d’or
le désir plus savant de la célébration
ils dansent
à Kalamata, Péloponnèse
bras écartés
le danseur forme un Tau
tout balancer, tout dépouiller
comme à la fin d’une tragédie
qui reprendra demain,
le fond, ils remuent le fond
solo, couple
en résumé, en perpétuel
lui et elle
ici ont dansé
le sol le sait
et les chênes et les lauriers
Dionysos, Apollon
la guerre et la paix
les pieds sur terre, la tête en l’air
ils ont raison
la danse est une frise une guérison
les spéculateurs la trouvent suspecte
Antonin Artaud s’est un jour présenté comme « l’homme qui recherche une poésie. » Mon poème répond à un désir de célébration. Pas grand-chose à se mettre sous la dent ? Mettons sous le pied. Ton pied ne foule-t-il pas la vérité comme un tapis ? Écrire comme un pied.
« Mieux vaut écrire une conerie et agir qu’une sublimité et laisser faire. » Que laisser faire les démagogues, les nihilistes, la vulgarité.
Écrire en pied, en bantou, en grec ancien, en résistant, en concret, encore, pied à pied.
Les idées appellent des idées… jusqu’à former, à la longue, un monde détaché et localisé : « le monde des idées ». Mais le corps particulier, là, au présent ? Fonction de l’écrit : passionner le débat de l’être.
On ne se refait pas ? Que si (Artaud, Augustin).
C’est pourquoi la question est celle de l’inné. L’inné est-il inévitable ?
Paul Cézanne s’était dit « impénétrable », Artaud se veut imperméable.
(Palestrina)
Pourquoi Palestrina et non Vivaldi ou Couperin ? Le Romain ne cultive pas une tradition, il l’instaure. Mais aussi, tout contre Dieu, il a ses propres armées de chœurs. La polyphonie est-elle un progrès ? Rapport au monothéisme.
Un pape vaut bien une messe, un désordre, une foire, une prophétie.
Je me suis intéressé à des poètes américains modernes, je me suis intéressé à Ezra Pound parce qu’il était moderne, mais ce n’est pas ma voie, je ne suis pas moderne, je cherche, je ne suis pas Picasso, je cherche. Je suis monocorde et sans poussières, je sais, pas de polyphonie, ou plutôt j’utilise un bizarre instrument à deux cordes pour « chanter » la diversité des vies. Plain-chant, disharmonie, poussée latérale.
C’est dans la dynamique sur place. D’expédients,
« le meilleur signe que j’ai trouvé jusqu’à présent. J’en trouverai d’autres et ne m’en tiendrai pas là. »
Une question quand même : le verbe « être » ne caviarde-t-il pas mes pages ?
Paupières serrées, oreilles bouchées, front lisse comme le masque Kodiak je me concentre sur mes forces internes. Alors peut commencer la longue et véritable migration des corps et des identités.
Bien des fatigues, pas encore au bout du rouleau.
La conscience de son art :
« Et que l’imbécile qui comme moi a voulu
tout théâtraliser
et n’avoir pas un sentiment ou une idée qui ne soit un geste
concret dans une mesure physiquement passionnée
se voit ravir son travail par les singes d’une crapuleuse
immobilité. »
En un sens, Canterbury (mon « Canterbury ») théâtralise. Le chant n’est pas que sublimation, il est un geste concret qui accentue la souffrance à l’échelle d’un lieu. Selon l’étymologie savante, conjoncturelle toutefois, « bury » serait dérivé de « burg » (« village »). Mais le rapprochement de « bury » et « burial » (enterrement) ne manque pas d’être intrigant. Et c’est ce qui se passe, passionnément.
© Claude Minière
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Ce feuilleton en PDF : Claude Minière, Cahier AA, extraits