Vies brisées, Etat et élus pointés du doigt : retour sur trois semaines de procès Xynthia

Publié le 07 octobre 2014 par Blanchemanche
#Xynthia

Le procès de cinq semaines qui se tient aux Sables-d'Olonne se terminera le 17 octobre. Alors qu'on approche de la fin, voici un résumé de tous les épisodes à partir des articles de notre journaliste Pierre-Marie Lemaire

 Vue aérienne de La Faute-sur-Mer inondée, plusieurs jours après Xynthia © Photo Bertrand Guay / AFPPublié le 07/10/2014 par Sud Ouest La Rochelle http://www.sudouest.fr/2014/10/07/vies-brisees-etat-defaillant-elus-pointes-du-doigt-retour-sur-trois-semaines-de-proces-xynthia-1695969-1391.php Lundi 15 septembre s'ouvrait "le procès Xynthia", soit la comparution de cinq personnes en correctionnel poursuivies "pour homicides involontaires aggravés et mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence". On s'apprête alors à juger d'éventuels responsables des 29 morts de La Faute-sur-Mer, en Vendée, après le passage de la tempête Xynthia le 28 février 2010. Au total, 47 personnes ont perdu la vie en France dans la catastrophe, dont 12 en Charente-Maritime. Les cinq prévenus sont le maire de La Faute-sur-Mer de l'époque, René Marratier ; sa première adjointe Françoise Babin ; le fils de la première adjointe, Philippe Babin ; le constructeur Patrick Maslin et le fonctionnaire Alain Jacobsoone.
La Faute-sur-Mer au lendemain du passage de Xynthia, le 1er mars© Photo Jean-Pierre Muller / AFP
  • Premier jour du procès et premiers accrochages
Le premier jour du procès aura surtout servi à la défense à contester la compétence du tribunal, non sur la procédure pénale mais sur l'action civile : en clair, si la responsabilité d'un agent public est retenue pour une faute commise dans l'exercice de ses fonctions, c'est au tribunal administratif de se prononcer sur les demandes d'indemnisation des parties civiles. C'est vrai pour M. Jacobsoone, fonctionnaire, comme pour M. Marratier et Mme Babin, élus.
En vain. Les nullités de procédure soulevées par la défense ne bloqueront pas le procès.
  • Le constat du scientifique
Dès le deuxième jour d'audience, la sagesse scientifique a été appelée. Climatologie, géographie, économie, histoire, avec quelques détours du côté de la sociologie et de la psychologie, Thierry Sauzeau est enseignant chercheur à l'université de Poitiers et est venu parler longuement de la mer.
Il a raconté l'histoire de ces petits villages autour de la baie de l'Aiguillon qui se sont bâtis "en tournant le dos à l'océan". Comment ils ont troqué leur économie agro-maritime pour l'économie du tourisme au détour des années 60. Comment ils se sont fortement urbanisés ces trente dernières années. Et comment ils ont oublié la fragilité de leurs territoires si exposés aux fureurs de l'océan.
Devant la stèle en hommage aux morts de Xynthia, à La Faute-sur-Mer© Photo Jean-Sébastien Evrard / AFP
  • Survivants brisés
Nous sommes le 17 septembre et le docteur Laurent Boidin, médecin expert, évoque les maux qui sont ceux des victimes depuis quatre ans. Il y a ceux qui se réveillent toutes les nuits à 3 heures du matin, ceux qui ont fait un « infarctus de stress », ceux qui ont tenté de se suicider. « Après Xynthia, 403 personnes ont fait l'objet de soins psychiatriques, principalement par des traitements anxiolytiques. »
L'ancien maire René Marratier, tout prévenu qu'il soit, est lui aussi un sinistré. Il souffre également de troubles depuis la tempête du 28 février 2010, à laquelle il pense « tous les jours ».
  • L'horreur racontée
A partir du 18 septembre, on entre dans la partie la plus éprouvante du procès, celle où les survivants se remémorent cette nuit du samedi au dimanche 28 février 2010.
Celle nuit-là, le couple Ferchaud réussit à rejoindre son bateau au fond du jardin. « On s'est tapotés mutuellement pour ne pas tomber en hypothermie. » Commence une longue attente dans la nuit d'hiver. « On entendait des cris déchirants, frémit encore Gérard Ferchaud. Et puis plus rien. Au petit jour, le silence était total. » « Un silence de mort, ajoute-t-il en hésitant, même si nous ne savions pas encore qu'il y avait des victimes. »
Il y a eu aussi l'insoutenable témoignage du docteur Bounaceur, qui a vu mourir sous ses yeux sa mère, sa femme et deux de ses enfants. Son terrain lui avait été vendu par des proches du maire de La Faute-sur-Mer. « J'entends encore les cris de mes enfants qui m'appelaient à l'aide. Je ne pouvais rien faire. J'étais à bout de forces. Je voulais mourir avant eux pour ne pas les voir mourir. J'ai réussi à monter sur le toit, au-dessus de leur chambre. J'ai enlevé les tuiles, j'ai vu ma fille inanimée, en hypothermie, je l'ai hissée jusqu'à moi. Puis j'ai vu des corps qui flottaient ; c'étaient ceux de ma mère et de ma femme. Après, je suis resté des heures à écouter battre le cœur de ma petite fille, de peur qu'il ne s'arrête. Voilà tout ce que j'ai à dire. »
Le 31 mars à La Faute-sur-Mer : on rase la zone sinistrée par Xynthia© Photo Frank Perry / AFP
  • Le déplacement du tribunal sur les lieux du drame
Jeudi 25 septembre, le tribunal correctionnel des Sables-d'Olonne s'est déplacé à La Faute-sur-Mer pour mettre une image sur ce qui reste de la zone sinistrée. Le président Pascal Almy ouvrait la marche, entouré des juges assesseurs et des deux procureurs. Ce transport de justice restera comme un temps fort du procès Xynthia. Il a clos les deux premières semaines consacrées presque entièrement au récit des victimes.
Pascal Almy, président du procès Xynthia© Photo Xavier Léoty
  • La responsabilité de l'Etat en cause
A qui la faute ? À des élus locaux tout à leur obsession de transformer leur banc de sable en station balnéaire ? Ou à une administration absente qui les a laissés faire ? Pour la troisième semaine du procès Xynthia, début octobre, ce sont les services de l'État que le tribunal des Sables-d'Olonne a soumis à la question. Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) modifié, apparent manque de moyens et valse des fonctionnaires : l'Etat a perdu des points au procès Xynthia.
  • Elus et administration sur la sellette
Audience du 3 octobre. La mission sénatoriale d'information sur les effets de la tempête Xynthia, lancée dès mars 2010, souligne « la mobilisation remarquable des secours ». Et pointe « de graves défaillances dans toute la chaîne de décision ». Son rapporteur, le sénateur girondin Alain Anziani (PS), cité par l'avocat de René Marratier, les a énumérées devant le tribunal. Il évoque « une chaîne d'irresponsabilités », de la prévision de l'alerte à sa gestion, en passant par l'information des populations. Élus locaux et administration sont à mettre dans le même panier.
Audience du 4 octobre. Les regards se tournent de plus en plus vers l'ancien maire de La Faute, « aveuglé par le développement de sa commune », dixit un témoin. Son ex-première adjointe, Françoise Babin, signait les permis de construire sur des parcelles lui appartenant, commercialisées par son fils, Philippe. Tandis que Patrick Maslin, autre adjoint et entrepreneur, construisait des maisons. Le capitaine de gendarmerie, Jean-Marc Raffy, enfonce le clou. Comme directeur d'enquête, il a acquis l'intime conviction que les élus locaux n'ignoraient rien des risques et qu'ils les ont « oubliés », à la fois pour ne pas affoler la population existante et à venir, et pour ne pas contrecarrer des intérêts financiers.
Réné Marratier, maire de La Faute-sur-Mer au moment du drame, auditionné au procès de La Faute-sur-Mer© Photo Franck Dubray / "Ouest France"
  • La parole à l'ancien maire de La Faute-sur-Mer
Depuis ce lundi, René Marratier est entendu et ne nie pas quelques « carences », quelques « manquements ». Mais il estime avoir fait tout ce qu'il devait faire. Qu'il y ait eu presque 2 000 nouveaux logements à La Faute pendant son règne d'un quart de siècle, comment le lui reprocher ? « L'ambition d'un maire, c'est de développer sa commune. Moi, je voulais que La Faute soit une jolie petite station conviviale où les gens aiment à venir. Oui, je pense avoir géré en bon père de famille, dans l'intérêt général de la population. »
Pour le reste, il s'en tient à sa ligne de défense maintes fois déclinée : « Personne n'aurait imaginé même 1 mètre d'eau ici » ; « que voulez-vous qu'une petite commune de 800 habitants, démunie, fasse de plus ? » ; « nous avons fait confiance aux services de l'Équipement qui ont toujours avalisé les permis de construire » ; « je n'avais ni les moyens ni l'intelligence d'anticiper pareille catastrophe ».

>> Le procès se poursuit ce mardi après-midi aux Sables-d'Olonne, et ce jusqu'au vendredi 17 octobre. Le jugement sera rendu le 12 décembre.