Pour exercer « le plus beau métier du monde », j’aurais pu, comme la majorité des enseignants, passer un concours exigeant à bac +5, le Capes ou l’agrégation, puis faire mes gammes au fil d’une année de stage. J’ai préféré une autre voie, moins connue mais plus expéditive : celles des « contractuels », ces enseignants en CDD, recrutés à bac +3 et envoyés, du jour au lendemain, en salle de classe, avec les mêmes responsabilités que les titulaires. J’ai déposé mon CV en ligne, répondu médiocrement aux questions d’un rapide contrôle et passé un entretien… en 90 minutes chrono. Me voilà professeur de mathématiques à temps plein dans un collège de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), sans aucune formation, et voici comment j’y suis parvenu.
3 juin 2014 : Une candidature bien ciblée
Me voilà dans la peau d’un aspirant prof, candidat aux postes dont personne ne veut. Dans certaines matières, les étudiants, peu motivés par un premier salaire de 1 388 euros net pour des conditions de travail difficiles, désertent les concours : en maths, leur nombre a été divisé par sept depuis 1999. Dans cette discipline, au dernier Capes, la moitié des 1 592 postes n’ont pas été pourvus, faute de copies au niveau. En postulant comme contractuel, j’ai donc toutes les chances d’être pris, tant les académies sont aux abois pour placer des profs face aux élèves. Je choisis celle de Créteil, réputée difficile. Les contractuels y représentent 12 % des enseignants selon le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale), contre 7,25 % en moyenne en France à la rentrée 2013. L’équation est simple : plus l’établissement a mauvaise réputation, plus ces enseignants sans formation y sont nombreux. Selon un rapport publié en avril par l’inspection générale de l’Education nationale, « sur les 350 collèges de l’académie de Créteil, 90 ont en mathématiques une équipe comprenant plus de 25 % de contractuels. (…) Dans certains collèges très ‘‘sensibles’’» de la Seine-Saint-Denis, il n’est pas rare d’avoir une (voire plusieurs) équipe disciplinaire entièrement constituée de contractuels ». Pas de doute : c’est là qu’il faut que je postule. Sur le site Internet de recrutement « Acloe », je coche toutes les cases : collège, lycée, temps partiel, temps plein, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne, tout me va. Je suis diplômé d’HEC, ce qui signifie que j’avais un bon niveau en maths… il y a douze ans.
25 juin 2014 : Test inachevé…
Direction Créteil : je suis convoqué pour un entretien avec l’inspecteur de mathématiques à 14 heures. Je pénètre dans l’imposant bâtiment en béton gris sale du rectorat et rejoins, au huitième étage, une trentaine d’autres candidats, âgés de 30 à 50 ans, qui patientent en silence dans un couloir sombre. Surprise : nous sommes tous rassemblés dans une salle de classe pour un test de quarante-cinq minutes. Mon voisin, Sam, étudiant au Conservatoire national des arts et métiers, est aussi décontenancé que moi. Une dizaine d’exercices s’enchaînent, au programme du collège et du lycée. J’additionne et multiplie des fractions sans souci, développe sans problème une équation du second degré, mais échoue piteusement à définir l’équation d’une droite dont j’ai les coordonnées de deux points (niveau 2de). Je ne connais plus mes dérivées, ai oublié le calcul des intégrales, sorti de ma tête l’existence des nombres complexes : c’est la déroute. Je jette un coup d’œil furtif à la copie de Sam, en vain. Les inspecteurs, malins, nous ont distribué des exercices différents. Ramassage des copies : je n’ai même pas entamé les deux derniers exercices… Je quitte la salle la tête basse et aborde un autre candidat, ingénieur informaticien d’une quarantaine d’années. « J’ai fait 40 % du test, je ne m’y attendais pas du tout. Je suis fort en équations, mais le reste, j’ai un peu oublié » soupire-t-il. Voilà qui me rassure : il y a plus nul que moi.
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