Christophe Honoré met en scène les Métamorphoses d'Ovide, place alors Europe, Jupiter, Bacchus et tant d'autres dans un cadre spatio-temporel contemporain et livre une adaptation « modernisée » de ces fameux écrits mythologiques.
Moderniser Ovide ? Le terme n'est finalement pas exact puisque le besoin de modernisation n'est pas si essentiel : la puissance symbolique et humaine des écrits de l'auteur résiste au temps qui passe. Les portraits qu'il dresse des Dieux sont des caricatures des hommes et des femmes qui se rongent et se débattent entre orgueil, jalousie, excès. L'aspect moderne que donne Honoré aux Métamorphoses réside alors dans la façon dont il les lie à la jeunesse, à la liberté, à la fougue (des thèmes chers au cinéaste qui prônait déjà l'amour libre dans Les Chansons d'Amour). Les dialogues, recrées par Honoré, sont aussi plus actuels mais ne tombent jamais dans les clichés du langage de la jeunesse (pas de verlan par exemple), pour ne pas entraver l'amour que déclare le cinéaste à cette période de la vie. Là réside toute la délicatesse et la poésie du réalisateur : il ne propose pas une version « djeun » des Métamorphoses, toute la mythologie est conservée, sublimée, même si Narcisse fait du skateboard et joue au basket et que tous ces Dieux vivent dans une cité. Le film décrit l'épanouissement presque naturel des Métamorphoses dans la société actuelle.
Nous suivons alors Europe, qui guide le récit, elle-même domptée par un désir ardent de liberté. Elle aime Jupiter, puis rencontre Bacchus et ses Bacchantes et décide ensuite de suivre Orphée. Ce voyage initiatique s'apparente à la fuite de la jeune fille : elle renonce à son foyer, à son père, à son frère. Elle découvre, en même temps que nous spectateurs, les histoires des Dieux, dans lesquelles s'enlacent et s'entrechoquent merveilles et horreurs. Comment Junon a transformé, par jalousie, Io en génisse ; comment cette même déesse rendit aveugle Tirésias …
Honoré met en scène ces métamorphoses comme des tableaux. C'est d'ailleurs, pour ma part, la première curiosité du film : comment le cinéaste filme la métamorphose ? Honoré n'est pas un réalisateur de science-fiction, nous l'imaginons mal avoir recours à des artifices flamboyants. Il les filme comme des esquisses : des gros plans sur les détails des corps essoufflés des hommes condamnés (la peau, les côtes, les plis de la chair), et la métamorphose s'impose par une simple coupe qui dévoile l'animal. Le pelage annule la peau lisse de l'humain et Honoré filme l'animal comme il filme ses acteurs : d'une façon contemplative et très intimiste.
De l'adolescence, Honoré abandonne les complexes liés aux corps : ses acteurs sont nus, libérés dans leur érotisme. Ils se battent, se désirent, s'enlacent. L'aspect fantastique des Métamorphoses est comme voilé par le naturalisme exacerbé de ces corps. Mais, l'hybridité n'en est pas annihilée : le naturel embrasse l'onirique, comme si les étreintes des acteurs filmées avec douceur illustraient ce mélange. Autre symbole de l'hybridité mythologique qui émane des Métamorphoses d'Honoré : les corps déchaînés qui se fondent dans des espaces sub-limes.
Le film deviendrait alors un miroir des Métamorphoses, dans lequel tout fusionne et rien n'entrave ce mélange, initialement dualistique. La nature absorbe les corps, les corps s'enchaînent et s'injectent dans la roche, dans l'eau, dans l'écorce des arbres et dans les herbes, et se transforment en bêtes sauvages, pour ne former qu'une seule matière. Et, comme ultime tableau de ce retour aux essences de l'humanité, le dernier plan du film, merveille picturale, symbolise ce miroir : Europe se baigne dans une eau scintillante, si brillante qu'elle pourrait devenir un reflet. Et, de la fusion de ces deux corps émane toute la beauté du film : les hommes comme les Dieux font partie de cette nature sublimée et sublimante.