d'après NOS LETTRES de Maupassant
Vers dix-neuf heures,
J’arrivais à la propriété
De mes amis Francoeur.
Tous les ans, ils m’invitent en janvier.
Après le diner, je demandai
À mon camarade André :
-« Quelle chambre m’as-tu donnée, cette fois-ci ? »
-« La chambre de tante Amélie. »
Je n’y avais encore jamais dormi.
La servante m’installait
Elle ferma les volets.
Et bassina mon lit.
Mais vers trois heures, pris d’insomnie,
Je me suis levé et rallumai le feu
Pour écrire mes lettres de vœux.
J’ouvris le petit secrétaire
Et prenais quelques feuilles de papier.
Puis, au fond d’un tiroir secret,
J’ai découvert
Deux lettres jaunies.
Je les transcris ici :
« Vous me demandez, très cher ami,
De vous rendre vos lettres. Les voici.
Cela me fait une peine extrême
Mais je vous les expédie tout de même.
Permettez-moi,
Toutefois,
De vous demander
Si vous regrettez
Non pas de m’avoir aimé
Car je sais que vous m’aimez toujours
Mais le regret d’avoir exprimé
Par écrit votre vif amour. »
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« Ma chère Amélie,
Vous avez compris.
Je ne regretterai jamais
De vous avoir dit mon amour.
Et je vous l’écrirai
Encore et toujours,
Mais, dorénavant,
Je vous saurez reconnaissant
De me réexpédier
Tous mes courriers
Car je ne veux pas,
Que ma faute atteigne d’autres que moi. »
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« Mon ami, rassurez-vous.
Personne ne trouvera ma cachette.
À propos, savez-vous
Qu’une femme ne brûle jamais les lettres
Où on lui dit qu’elle est aimée.
Elles sont
Ses titres de séduction.
Si je mourrais en premier,
Vos missives seraient trouvées par qui ?
Par mon mari.
Et que pourrait-il en faire ? : Rien.
Songez-bien
Que tous les jours
Meurent des femmes qui ont été aimées,
Et que tous les jours,
Les traces des femmes décédées
Qui ont fauté
Tombent sous les yeux de leur mari.
Mais, c’est évident, il n’y aura
Ni scandale de famille ni duel sur le pré.
Par contre, le mari se vengera,
C’est certain, si sa femme est en vie
Il se battra contre son concurrent.
Et tentera de tuer l’amant.
Donc, je préfère garder
Vos lettres, ici, sous ma responsabilité.
Car elles sont une menace pour nous deux.
Je vous embrasse et caresse vos beaux cheveux.
Amélie Jacquin,
Ce 28 février 1881.