La rentrée 2014 a été particulièrement éprouvante pour le pouvoir socialiste,
qui, chaque jour, fait grimper le crédit des sirènes du populisme à la bourse du chômage et du déficit. Retour sur le casting hollandien.
Le couple de
l’exécutif a bien du mal à surnager dans les eaux profondes et mouvantes de l’impopularité. La rentrée 2014 a été particulièrement éprouvante pour lui, avec des sondages désastreux, la perte d’un Sénat qui devient désormais accessible au
Front national, et un nouveau gouvernement.
Je voudrais revenir sur le choix des hommes et l’incapacité du pouvoir socialiste à choisir les meilleures
personnalités.
La goutte de Frangy qui a fait déborder la vase
Le changement du gouvernement a surpris beaucoup les observateurs. À peine à la fin des vacances, après seulement quatre mois seulement d’exercice, le Premier Ministre Manuel Valls a réalisé une véritable petite révolution de palais en présentant la démission de son gouvernement le lundi
25 août 2014.
En cause, les propos à la Fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, le 24 août 2014, de deux ministres importants
de son gouvernement, le Ministre de l’Économie Arnaud Montebourg et le Ministre de l’Éducation nationale
Benoît Hamon, s’opposant à la politique économique choisie par le gouvernement.
Ambiance. Arnaud Montebourg : « Le Ministre de l’Économie
que je suis a le devoir de ne pas se taire et de proposer des solutions alternatives. (…) La France est un pays libre qui n’a pas vocation à s’aligner sur les obsessions de la droite allemande. (…) J’ai demandé solennellement au Président de la République et au Premier Ministre une inflexion majeure
de notre politique économique. » pour terminer par cette ironie assez méprisante : « Je vais lui envoyer une bonne bouteille de la
Cuvée du redressement, au Président, hein ! ».
Benoît Hamon, en mauvais français malgré son rôle d’éducateur national : « Les Français attendent de nous que l’on fasse ce que l’on a dit qu’on ferait. (…) Il est temps de mettre en œuvre une politique équilibrée. ».
Deux réflexions à ce sujet.
La première, c’est se poser une question : pourquoi les deux ministres, qui savaient très bien quelle était
la politique du gouvernement (elle a été définie dès le 14 janvier 2014 par le Président François
Hollande, elle n’a pas changé depuis ce temps-là), se sont sentis obligés seulement sept mois plus tard de la critiquer ? Et cela d’autant plus qu’un nouveau gouvernement a été formé le 2 avril 2014, avec à la clef un discours de politique générale relativement clair sur
les intentions affichées du gouvernement. C’est d’autant plus étonnant qu’Arnaud Montebourg était justement le Ministre de l’Économie, et donc, le premier concerné dans la définition de cette
politique : ou il ne servait à rien, ou il avait un comportement schizophrène. Comme disait Raymond
Barre, il y a des discours d’après-banquets.
La seconde concerne la méthode. En démissionnant brusquement, Manuel Valls a mis dos au mur l’ensemble des
parlementaires et des ministres socialistes, plus généralement de sa majorité, mais aussi le Président de la République François Hollande qui voulait encore continuer à ménager la chèvre Valls et
le chou Montebourg. En ce sens, c’est une nouvelle preuve que celui qui décide est bien Manuel Valls, non élu, seulement 5% à la primaire
socialiste en 2011, et pas François Hollande, seul Président élu en 2012.
C’est aussi un bon moyen pour impressionner les ministres, leur montrer que le Premier Ministre est capable
de s’autodétruire, et avec lui, ses ministres, en cas de désordre patent. Ce n’est pas faire preuve d’autorité mais d’autoritarisme que d’agir ainsi, évidemment.
Nouveau gouvernement
En définitive, le nouveau gouvernement Vall II est composé de 34 membres, soit seulement quatre de moins que
le gouvernement Ayrault II (et deux de plus que le gouvernement Valls I). Le gouvernement "resserré", "de combat" déjà évoqué en début avril 2014
n’a jamais été autre chose qu’un slogan publicitaire très virtuel (du reste très fréquent à chaque changement de gouvernement).
La démission d’un gouvernement à froid, c’est-à-dire sans raison d’échéances électorales (qui ponctuent
généralement les changements ministériels) ni parlementaires (motion de censure), n’est pourtant pas unique dans l’histoire républicaine récente.
En effet, le 5 juillet 1972, le Président Georges Pompidou avait renvoyé le Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas, et cela malgré le vote de la confiance des parlementaires.
Le 27 février 1974, son successeur Pierre Messmer a également présenté la démission de son nouveau gouvernement pour en nommer un nouveau qui dura seulement trois mois à
cause de la mort prématurée de Georges Pompidou (c’était l’occasion de nommer Jacques Chirac à
l’Intérieur, un poste clef pour l’élection présidentielle).
Le 25 août 1976, Jacques Chirac a également remis la démission de son gouvernement, mais c’était pour
s’opposer au Président Valéry Giscard d’Estaing, la seule fois dans ces conditions, où un chef du gouvernement claque la porte.
Comme pour Jacques Chaban-Delmas, le Président François Mitterrand a renvoyé pour convenance personnelle le 15 mai 1991 le Premier Ministre Michel Rocard pourtant assez populaire (trop ?) pour le remplacer par Édith Cresson.
Alain Juppé a également remis la démission de son
gouvernement le 7 novembre 1995 pour en nommer un nouveau plus efficace face aux dures grèves qui s’annonçaient. Ce fut à cette occasion qu’après à peine six mois de bons et loyaux services, la
plupart des "Juppettes" furent remerciées.
Enfin, là aussi à froid, François Fillon a remis la
démission de son gouvernement le 13 novembre 2010 pour en renommer un nouveau sous sa direction. À l’époque, les rumeurs de remaniement avaient démarré dès le printemps 2010, semant la terreur
chez les ministres et laissant entendre que Jean-Louis Borloo irait à Matignon.
Comme on le voit, la démission du gouvernement Vall I est la sixième depuis 1958 qui se fait sans raison
apparente, sinon pour restructurer ou reformater (en 1972 et en 1976) une majorité en péril. La méthode qui devient de plus en plus fréquente (trois fois dans les vingt dernières années) a pour
effet de rendre les ministres encore plus précaires, et donc, de forcer leur allégeance envers la tête de l’exécutif.
Les changements dans les ministères
Le gouvernement Vall II nommé le 26 août 2014 a finalement peu de différence avec le précédent. Selon la
communication de Matignon, le Premier Ministre aurait reçu chaque ministre pour s’assurer de l’accord avec la politique gouvernementale (moi, dans ma naïveté originelle, je pensais que lorsqu’on
était nommé ministre, on était, par définition, en accord avec la politique gouvernementale, mais en Hollandie, apparemment, ce n’était pas automatique, c’était juste optionnel).
Quatre principaux changements se sont donc opérés.
Le premier, politiquement important, c’est la grande promotion de Najat Vallaud-Belkacem (36 ans) qui accède (pour la première fois pour une femme) au prestigieux
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle devient ainsi la plus importante ministre après les deux éléphants Laurent Fabius et Ségolène Royal, et a fait dès sa nomination un bond dans les
sondages. Elle est très appréciée à gauche, comme Christiane Taubira, mais assez détestée à droite.
Le deuxième, c’est la nomination d’un banquier et conseiller présidentiel médiatiquement inconnu mais très
brillant, Emmanuel Macron (36 ans), au stratégique Ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Son CV est impressionnant :
assistant du philosophe Paul Ricœur, d’abord proche de Jean-Pierre Chevènement puis de Jean-Pierre
Jouyet, IEP Paris et ENA, membre de la Fondation Jaurès, il a fait partie des Gracques, ce groupe de hauts fonctionnaires socialistes qui avaient appelé à voter pour François Bayrou en 2007 : « François Bayrou a démontré la vitalité d’un courant social-démocrate autonome vis-à-vis de
la droite. Sa force réunie à celles de la gauche ouvrait la voie à la victoire. Mais le PS n’a pas osé. » (7 mai 2007, au lendemain de la défaite de Ségolène Royal).
Inspecteur des finances, Emmanuel Macron fut le rapporteur de la Commission Attali pour la libération de la
croissance française après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, puis travailla pour la banque Rothschild de septembre 2008 à mai 2012, poste
grâce auquel il est devenu plurimillionnaire. Il fut ensuite Secrétaire général adjoint de l’Élysée du 15 mai 2012 au 30 août 2014 pour s’occuper des questions économiques : il a notamment
cuisiné deux outils hollandiens, le "pacte de responsabilité" et le "crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi". Ne payant plus sa cotisation au PS depuis cinq ans, Emmanuel Macron est un
bon pianiste et fait de la boxe française.
Le troisième concerne la Culture et la Communication dont hérite Fleur Pellerin (41 ans) quasiment en cadeau d’anniversaire (le 29 août). Chargée pendant deux ans des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique puis
du Commerce extérieur, du Développement du tourisme et des Français de l’étranger, diplômée ESSEC, IEP Paris et ENA, elle avait montré sa bonne
connaissance de la vie économique (l’une des rares sous le gouvernement Ayrault I) et aurait pu au contraire être choisie à l’Économie plutôt qu’à la Culture où elle ne connaît pas grand
chose (elle a gardé le même directeur de cabinet).
Le quatrième changement concerne le Secrétariat d’État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche confié
à Alain Vidalies (63 ans), avocat de droit social et député de Mont-de-Marsan depuis 1988, exclu du gouvernement Vall I et ancien Ministre
délégué aux Relations avec le Parlement du 16 mai 2012 au 31 mars 2014.
Les autres changements sont de moindre importance : Patrick Kanner (57 ans), adjoint à Lille et président du Conseil général du Nord depuis le 31 mars 2011, est nommé Ministre de la Ville, de la Jeunesse et
des Sports ; Thomas Thévenoud (40 ans), député de Solutré depuis 2012, Secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, du Développement
du tourisme et des Français de l’étranger (j’y reviendrai) ; Myriam El Khomri (36 ans), adjointe à Paris, Secrétaire d’État chargée de
la Politique de la ville ; enfin Pascale Boistard (43 ans), ancienne collaboratrice de Jean-Luc Mélenchon et députée d’Abbeville depuis 2012, Secrétaire d’État chargée des Droits des femmes. Tous ces nouveaux entrants sont principalement des anciens
apparatchiks du Parti socialiste.
Dans le prochain
article, je reviendrai sur les ministres sortants et sur la poursuite des couacs.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (7
octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Manuel Valls.
Le couple Hollande-Valls.
Martine Aubry.
Arnaud Montebourg.
Aurélie Filippetti.
Benoît Hamon.
Pierre Moscovici.
Jean-Pierre Bel.
François Rebsamen.
Valérie
Trierweiler.
Les sondages désastreux de la rentrée
2014.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rentree-pourrie-a-l-elysee-2-un-157723