Cette semaine je voulais clore les chroniques des mangas de septembre en parlant de tomes 1 mais j’ai constaté que la rentrée manga 2014 m’a surtout enthousiasmé dans ses suites. Tout n’est pas à jeter – loin de là même – mais le coup de foudre n’y était pas forcément, alors que, à contrario, je suis déjà curieux de 4 mangas à venir en octobre rien qu’en les ayant feuilletés : Moyashimon, Uwagaki, Husk Of Eden et Tokyo River’s Edge.
Néanmoins, avec ce constat sur les bras, je me suis demandé ce qui met finalement mes voyants de lecteur et de blogueur au vert, ce qui me décide à vous en parler, ce qui m’emporte dès les premiers chapitres… que la bonne impression se confirme ou pas par la suite, d’ailleurs. Et ce qui m’est venu en premier c’est finalement l’univers du titre, la façon de le mettre en place, de le représenter et d’en dévoiler toute ou partie dans les premiers instants. C’est donc le sujet du papier de cette semaine, écrit un peu au feeling et assez subjectif. J’espère que ça vous plaira et qu’on échangera nos avis… Bonne lecture
Un univers de fidèles…
L’univers est donc la première chose que je regarde quand je tombe sur un titre et un mangaka que je ne connais pas. Il apparaît par le mélange de son histoire de fond et de ses thématiques : est-ce qu’on se situe dans la vie de tous les jours, dans un bon vieux lycée japonais, dans une île sympathique ou sordide ? Est-ce qu’on fait un bond dans le futur ou plutôt un saut dans le passé à la découverte d’une époque ou d’une figure de l’histoire ? Ou alors, enfin, est-ce qu’on invente une oeuvre à part entière via une dystopie, une utopie ou encore un mix de contes et de légendes, anciennes avec des fantômes et des démons ou, plus à la mode, des vampires ou des zombies. Si on apprend bien une chose avec le manga c’est que l’on peut traiter de tout et que les mangakas ne se sont jamais imposés des limites dans le choix des univers qu’ils mettent en place. Mais chacun à ses avantages et ses inconvénients.La première possibilité est de poser toutes les cartes sur la table, en présentant un univers qui est le nôtre. C’est souvent ce qui est fait dans les mangas tranches de vie, dans les romances lycéennes, dans les mangas de furyô ou les shônens sportifs pour ne citer qu’eux : « alors voilà vous êtes dans telle région du Japon avec des gens lambdas et une épicerie au coin de la rue que vous pouvez même retrouver dans la vraie vie » ou encore « bon voilà c’est un lycée nippon avec ces codes sociaux bien rigides qu’on va faire voler en éclat » ou enfin « bon ce sera ce sport là, avec ce ou ces personnages principaux et ça va durer les 3 années de lycée, comme d’hab’« .
C’est un risque, celui du manque d’originalité, mais c’est une façon efficace de focaliser l’attention du lecteur sur autre chose, comme les personnages, leurs relations, ou plus simplement l’action à travers une narration qui devra être prenante et /ou surprenante. C’est aussi une immersion plus facile du lecteur, en prenant le parti de faire « comme dans la vraie vie« . A travers des mangas comme Yotsuba, Barakamon, Vamos Là, Chihayafuru, les titres de Masanori Morita (Racailles blues, Rookies) et les dizaines de shônens sportifs que l’on connait tous, on a la preuve que cette équation peut tout à fait fonctionner. Cependant, dans certains cas comme Yotsuba ou Barakamon, les lecteurs
auront besoin de plus de temps pour s’immerger dans l’aventure, le temps de faire connaissance avec les protagonistes. Il faut donc bénéficier de lecteurs patients, ce qui n’est pas toujours évident. J’ai d’ailleurs l’impression que c’est encore plus dur dans les shônens sportifs, où le mangaka a très peu de temps pour convaincre : le charisme des joueurs et /ou la façon de raconter les matches doit faire mouche dès les premières pages et ceux qui prennent leur temps, comme Dream Team par exemple, sont souvent pénalisés.C’est vrai que, même avec un cadre limpide, certaines histoires peuvent prendre le lecteur à contre-pied quelques tomes plus tard en nous servant une dimension parallèle, des aliens, des démons ou un bon vieux voyage dans le temps. Mais dans le tome 1 on n’en sait strictement rien donc il faut vraiment assurer dans les autres domaines de l’oeuvre pour emmener le lecteur jusqu’à un éventuel plot twist… Comme je l’évoquais plus haut il faut parfois du temps et un bon bouche à oreille : « ouai ça peut paraître classique mais au tome X il se passe un truc de fou !« C’est toute la problématique des mangas de Mitsuru Adachi qui dévoile toutes les bases de son récit dans les premiers chapitres : où ça se passe, à quelle époque, avec quel sport et quel ensemble de personnages. Heureusement l’ambiance peut changer et les relations entre protagonistes peuvent avoir leur lot de d’incertitudes, vu que le mangaka tue régulièrement ses icônes, sans crier gare. Néanmoins cette marque de fabrique assez forte, celle qui produit des univers très proches les uns des autres et qui sont globalement prévisibles, lui vaut aussi tous ses détracteurs. Comme quoi, c’est un risque qu’il faut bien calculer.
C’est l’histoire d’une Histoire…
On retrouve ce même challenge dans les mangas historiques : en donnant un nom célèbre ou une date, l’auteur met une bonne partie de son scénario à nu et un lecteur qui connait bien l’époque va vous attendre au tournant… tandis que le lecteur béotien peut toujours faire un tour sur Wikipédia. On a donc besoin de ressentir un certain niveau de documentation, des recherches sur les faits, les personnages, les lieux, les costumes, etc. Le manga historique étant une formidable occasion de se cultiver, le lecteur doit donc se sentir en confiance et avoir l’impression que sa lecture possède une valeur culturelle ajoutée.
Ensuite, c’est autant l’accumulation de détails que leur cohérence qui fait prendre ou non la mayonnaise, pour nous projeter dans le temps : à l’époque des vikings dans Vinland Saga, dans les steppes d’Asie Centrale de Bride Stories ou le Londres victorien d’Emma, durant les révoltes des helvètes de Wolfsmund ou pour observer l’hégémonie religieuse et l’architecture italienne dans Cesare. Dans le premier volume, tout n’a pas besoin d’être rigoureusement vrai et on peut laisser l’auteur broder sur des zones d’ombres tant que l’ensemble se tient. Libre à l’auteur, plus tard, de choisir entre un manga rigoureux aux allures de frise historique ou de ne prendre que quelques moments-clés pour étayer son récit ou pour faire office de rebondissement et de virage scénaristique.Bref, cette vraisemblance dans les mangas historiques est la clé de voûte nécessaire pour ce genre d’univers, afin que le lecteur n’ait pas l’impression de flairer une arnaque ou le grand n’importe quoi. Cela dit dans le domaine du WTF et du portnawak il existe des auteurs brillants qui réussissent l’exploit : Drifters de Kohta Hirano et Fate / Zero de Gen Urobuchi sont de rares exemples d’insubordination aux livres d’histoire qui valent le détour et qui jonglent, dans une irrévérence jouissive, avec des personnages très documentés évoluant dans un cadre complètement improbable. On en arrive donc à un résultat totalement nouveau, un nouvel univers avec ses propres codes… C’est le troisième et dernier cas de figure…
Création d’univers : le choix des ingrédients
Cette dernière piste est celle du nouveau monde. L’avantage de construire un nouvel univers est d’y installer de nombreux horizons imprévisibles mais aussi des êtres inédits qui interagissent, tant qu’à faire, selon des règles sociales différentes. Et je ne parle même pas des bestiaires fantastiques et fantasmagoriques qui n’ont pour limite que celle de l’imagination du mangaka. Oui mais voilà, personne ne découvrira tout ça s’il ne lit pas les volumes suivants, donc que garder dans tout ce maelström pour vos 198 premières pages ? Comment conserver un certain équilibre entre ce que l’on montre et ce que l’on ne dit pas, entre le visible séduisant et les mystères intriguant ?
Pour certains la solution est assez simple : le nouvel univers tient dans un seul concept. On garde le monde des hommes, une époque plus ou moins proche de la nôtre et on change UN truc qui va mettre le monde sans dessus-dessous… puis on va s’asseoir tranquillement et regarder ce qui se passe. Le premier exemple qui me vient à l’esprit c’est Ikigami, et son fameux préavis de mort, mais on retrouve des méthodes similaires dans d’autres dystopies ou même dans les survival game d’ailleurs : Suicide Island, Afterschool Charisma, Doubt, Judge, King’s Game, Reset, Dud’s Hunt,etc. Pour chacun on s’assure que l’idée soit forte, parfois fracassante et sanglante, pour happer le lecteur. Le reste ? On verra plus tard ! C’est ce qui pose parfois pas mal de soucis pour la conclusion de la série d’ailleurs… Parce que sous le vernis de l’excellent pitch, on peut avoir de mauvaises surprises.De plus on a pu remarquer que lorsqu’une idée ou une thématique forte apparaît sur le marché du manga, elle est souvent reproduite en différentes versions, sans forcément tenir ses promesses à chaque variante, et laissant un lecteur de plus en plus méfiant. Les îles désertes à répétition ont conduit à certaines déceptions tandis que les survival game lycéen ou les mangas de zombie pourraient connaître un sort similaire en 2014 et 2015. La création, lorsqu’elle est réduite au simple concept ou à une seule thématique est rapidement copiée et déclinée à X sauces, donc il vaut mieux être le premier sur les rangs. Ou alors, on s’arrange pour que le concept de départ soit d’une complexité suffisamment personnelle pour conserver toute votre originalité. Oui oui, je parlais bien de Naoki Urasawa, et plus précisément des deux premiers tomes inimitables de Billy Bat. Atsushi Kaneko est pas mal dans son genre lui aussi, avec Wet Moon.
Enfin il y a donc ceux qui créé réellement leur univers, dont l’imagination ne tient pas dans un seul tome mais où l’idée de départ nous emmène déjà ailleurs : chez les pirates de One Piece, les ninjas de Naruto, les titans de Shingeki no kyojin, l’alchimie de FMA, la dark fantasy de Übel Blatt, l’université folle de Soul Eater, les boules de cristal de Dragon Ball. C’est souvent l’apanage des shônens grand public, des grands et des très grands succès… Qui ne viennent pas toujours tout de suite d’ailleurs. En effet, les premiers tomes s’apparentent à des tours de magie scénaristique avec des poupées russes, où l’on doit faire rentrer une grande poupée dans une de taille moyenne et que la moyenne rentre elle même dans la petite, et ainsi de suite jusqu’à résumer l’idée en un seul volume. Ou 2, à tout casser. Pour réussir ce pari on donne l’occasion au lecteur d’explorer la carte de ce nouveau monde, d’en découvrir les espèces et les grandes règles, pour sentir que tout y est possible. On sous-entend également qu’il s’en est passé des vertes et des pas mûres dans un passé plus ou moins lointain.Mais bon, un univers qui se respecte met souvent du temps à déployer ses ailes, et comme le lectorat n’est pas toujours très patient, la meilleure façon de le faire patienter est de l’allécher visuellement. La première rencontre avec un univers est bien souvent graphique, et on en revient à l’essentielle cohérence qui doit se dégager des premiers chapitres. C’est en effet le graphisme qui va construire la fameuse ambiance du manga, c’est l’indicateur d’un niveau d’originalité plus ou moins poussé, du niveau de détail que l’on peut attendre de l’auteur, et c’est enfin une part de la cohérence que j’évoquais plus haut, dans les décors et l’architecture, dans le chara-design et les costumes. C’est d’ailleurs pour cette raison que le succès de l’Attaque des Titans n’a tenu qu’à un fil et que Pika a attendu si longtemps avant de se lancer : c’était plutôt moche et les personnages ne brillent pas forcément aux premières lueurs du jour. La saga anime a gommer le problème, a permis de présenter l’univers de façon palpitante et de lui laisser le temps de s’installer pour le graphisme du manga ne soit plus du tout rédhibitoire.
Après je pourrais continuer ce papier en évoquant les personnages mais c’est un sujet en soit, et je résumerais en disant que le charisme d’un personnage découle pour moi de son graphisme, qui va définir son style et évoquer des traits de caractère, et de sa façon de se placer dans l’univers qui l’entoure. C’est plus complexe que ça bien sûr mais, puisque le sujet du jour se cantonne au premier volume, je ne vais pas m’étendre. Bon allez, je cite une exception quand même : les personnages d’Inio Asano, qui sont des univers à eux seuls.
En conclusion ?
Mettre en place son univers, qu’il s’agisse d’un nouveau monde, d’une réalité alternée ou d’un quotidien lambda est donc un exercice épineux. On peut remettre ça à plus tard ou se contenter d’un calque de la réalité mais cela signifie se passer de la carte « coup de cœur au premier tome ». On peut donc tenter l’approche historique, un concept fort ou une thématique à la mode qui installe votre manga en à peine quelques pages, mais c’est prendre des engagements pour la suite, pour répondre à l’attente que vous avez suscité sur une base pas toujours très solide. Enfin, pour les plus imaginatifs, il y a la possibilité de démarrer d’une copie blanche, à condition que votre crayon soit capable de dévoiler une identité visuelle originale et de qualité dès les premières planches.
La solution facile et efficace n’existe donc pas, vous vous en doutiez, donc la prochaine fois que vous avez un coup de cœur pour un premier tome, faites comme moi, demandez-vous pourquoi et venez partager ici !