Récitation, rap, slam…
La poésie vivante
La poésie est «l’essence des peuples». C’est l’art du langage, de l’imagination et des sentiments. Intemporelle et universelle, en 2014, elle se décline sous diverses formes. Poésie traditionnelle, rap, slam, micro ouvert… les membres de la grande famille poésie ont parfois du mal à s’entendre. Mais une chose est certaine, la poésie est toujours présente et plus vivante que jamais. Immersion dans ce monde vibrant, changeant et chamaillant.
Delphine Caubet dossiers Rap, Culture
Photos: gracieuseté Les voix de la poésie.
Marianne Verville a découvert la poésie il y a peu. Pour se lancer dans le bain, l’interprète d’Aurélie Laflamme a débuté par le concours Les voix de la poésie. Durant la finale pancanadienne du 9 mai 2014 à Vancouver, la jeune femme est arrivée deuxième dans la section bilingue de ce concours de récitation.
Marianne et la tradition
Les voix de la poésie veulent rester dans la tradition, tout en promouvant cet art auprès des jeunes de secondaire et de Cégep. Pour ces récitations, une banque de poèmes est mise à la disposition des jeunes. Dans la section francophone, Victor Hugo, Jean de la Fontaine et Gilles Vigneault se côtoient.
Marianne a découvert ce concours grâce à son professeur et elle le reconnaît: avant, elle n’était pas une passionnée de poésie. «Au secondaire, on est mal informé», explique la jeune actrice. Ils y étudient les classiques, «mais on ne comprend pas.» La poésie est pourtant un art qui laisse place à l’imagination et à la réflexion, mais dans les écoles, elle est étudiée rapidement, avec une brève explication du message de l’auteur. «Mais il peut y avoir plusieurs interprétations», poursuit Marianne, et la beauté de cet art est de chercher soi-même le message et les interprétations.
Aujourd’hui, Marianne a pris goût à la poésie, et preuve étant, elle découvre par elle-même des auteurs tels que Rimbault. Cette expérience lui a fait prendre conscience que «la récitation peut être belle en bouche. Les mots sont choisis par quelqu’un d’autre, mais ils peuvent avoir différents sens. Et en récitation, on comprend mieux.»
Ouverture
Si Les voix de la poésie se situent ouvertement dans la tradition, le concours essaie néanmoins de s’ouvrir à l’ensemble de la francophonie. Certains poètes des îles, tels qu’Aimé Césaire, sont présents et progressivement le contemporain s’ajoute au classique. Mais si l’on observe leur banque de poètes, force est de constater qu’une large majorité de portraits des siècles derniers domine. Souvent des hommes, blancs.
Sepideh Anvar, directrice du concours, explique que malgré cette volonté de rester aux racines de la poésie, Les voix de la poésie travaillent à l’élargissement des cultures et des formes de poésie. Actuellement, elle est en discussion pour les droits d’un texte de Loco Locass et de plusieurs poètes étrangers, tels que l’Haïtien Frankétienne.
Mais s’ouvrir à de petits auteurs peut être difficile. Sepideh Anvar travaille pour l’obtention d’une quarantaine de textes d’auteurs multiculturels, mais elle se bute à des maisons d’édition fermées, et à une recherche parfois ardue des tenants des droits d’auteur. La tentative d’ouverture est difficile, mais bien présente.
Si les poèmes sont classiques, les participants du concours sont libres d’en faire une interprétation plus moderne, et qui leur corresponde. Marianne et Sepideh à l’unisson parlent d’un participant dans la section anglophone, qui bouscula la tradition et fit une interprétation slam de son poème. L’initiative a payé: le jeune homme est arrivé 3e, tandis que la directrice et la lauréate qualifient de «magnifique» ce mariage du moderne et du classique.
Webster et le rap
Photo: Gracieuseté Webster.
Si les institutions de la poésie s’ouvrent difficilement à ses formes modernes, ces dernières poursuivent leur propre chemin. Et le rappeur Webster, qui vient de voir paraître un de ses textes dans un livre d’école, en est un exemple.
L’interprète de Québec history X donne depuis 2009 des cours de poésie. Il débute suite à la demande du Musée des beaux arts de Québec d’animer un atelier de poésie pour les adolescents. Le bouche-à-oreille fonctionne, et progressivement il cumule les mandats pour vivre de ses ateliers.
Webster circule à travers les institutions et les continents: école à Rivière-des-Prairies, consulat de France aux États-Unis, jusqu’à la prestigieuse université Harvard. Son objectif est de partager ses connaissances, et de prouver que «le rap est une forme littéraire pour aller au fond des choses».
Ryhthm and poetry
Pour lui, la beauté du rap, c’est d’être moins rigide et d’être ouvert à l’interprétation. Durant ses ateliers, tous y trouvent leur compte, dont les professeurs qui reçoivent une aide extérieure pour enseigner la poésie. Au menu: rimes, métaphores… Les professeurs comprennent que le rap est un outil comme les autres, tandis que les jeunes reçoivent leur enseignement par «celui qui est à la télé et sur YouTube».
Fort d’avoir enseigné dans des contextes diversifiés, Webster constate que la beauté de la poésie est d’être universelle. Il ne faut pas l’oublier, l’acronyme rap signifie rhythm and poetry. Alors, qu’il enseigne au Québec, aux États-Unis ou en Suisse, tous ont droit d’essayer la poésie, car «l’imagination et l’art sont universels.»
Au Québec, si le rap a encore du chemin à faire pour être accepté, Webster note que le slam a une meilleure acceptation auprès du public adulte. «La petite musique douce en fond, et pas le "boom boom" les rejoint», explique-t-il.
Mise en scène
Dans certains festivals, tels que le Festival de la poésie de Montréal, d’autres formes de poésie peuvent trouver leur place. Isabelle Courteau, directrice générale et artistique du Festival, veut représenter durant son évènement annuel tout ce qu’il se fait en poésie.
Elle le constate, parallèlement à la vague slam, les lectures de poésie ont évolué elles aussi. Depuis une dizaine d’années, un travail de mise en scène est effectué par les poètes, influencés par l’oralité et le cinéma, précise la directrice. Que ce soit l’insertion de musiques ou d’images, ils occupent la scène pour faire vivre leurs textes autrement.
Certains auteurs iraient même jusqu’à travailler deux versions de leurs textes. Une pour l’écrit, car le visuel sur la page a une influence, précise Isabelle Courteau, et une autre pour l’oral, plus accessible à ces présentations.
Micro ouvert
Lors de ce festival, une soirée à micro ouvert est organisée pour laisser les amateurs s’exprimer. Carl Bessette, le responsable, organise de tels évènements depuis novembre 2013.
Pendant la soirée «où l’on ne sait jamais ce qui va arriver», Carl n’impose que 2 règles: respect et temps limité (3-4 min maximum). Chacun vient alors librement partager ses textes et leur donner libre forme. Avec ou sans images et musiques, aucune restriction n’est posée à la créativité.
Carl note que les plus âgés trouvent les jeunes «frileux» et «propres», et le poète a développé sa propre théorie autour de cette différence générationnelle: «Pendant les 100 dernières années, la poésie a été malmenée et les poètes sont allés à des extrêmes. La nouvelle génération veut peut-être revenir à quelque chose de plus calme, retrouver un socle plus solide.»
Un art vivant
Photo: Gracieuseté Les voix de la poésie.
Après discussion avec ces professionnels et amateurs de poésie, force est de constater que cet art est toujours bien vivant. Aujourd’hui, il se décline sous diverses formes, et les jeunes générations se l’approprient. La directrice du Festival de la poésie de Montréal constate avec enthousiasme que les jeunes artistes sont «battants, forts, lucides et mieux armés. Ils sont passés par des maîtrises, des doctorats… ils ont un cheminement».
Pour la branche hip-hop de la poésie, Webster constate que la place du rap dans la société québécoise est sous-estimée, car bien souvent le Québec est perçu comme «blanc, franco et rock». D’après son expérience, ce protectionnisme vient d’une crainte du rap américain fait «de guns et de filles».
Mais lui est fier de ses textes, et il note ce paradoxe: «En voulant se protéger du rap américain, on l’y pousse. C’est toujours associé à la culture noire, pourtant le rap comme l’eut fait le jazz, s’adapte au pays où il s’installe. Et si des modèles adéquats étaient proposés, il y aurait du rap québécois, fait par des Québécois, sur des enjeux québécois.»
Carl Bessette temporise et explique qu’il existe des préjugés des deux côtés: autant auprès des institutions que des rappeurs. Lui a déjà entendu des rappeurs et slameurs être fiers de ne pas être poètes. «Mais c’est pitoyable, on est de la même famille. Il faut aller voir ailleurs ce qu’il se fait.» À quoi il conclut que «c’est impossible de ne pas aimer la poésie, c’est l’essence des peuples. C’est comme dire qu’on n’aime pas la musique. Il faut simplement trouver la forme qui nous convient.»
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