Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 06 octobre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

 Muré depuis un siècle déjà dans ce même wagon, avachi sur ce même siège, l’air commence à te manquer. Et tu toussotes. Et tu suffoques. Au fil des années, la population de ton petit nid douillet s’est multipliée. Plop, plop, plop. Ça éclot dans chaque recoin. Et ça déblatère. Et ça vocifère. Celui qui, il y a quelques heures encore s’assimilait à un doux cocon te perfore de part et d’autre. Les yeux, la gorge, le cœur, le foie. Instinctivement, tes mains agrippent les accoudoirs de ton fauteuil qui irrite. Depuis un siècle, le rythme de croisière s’est accéléré. À présent, ton train a atteint la vitesse de la lumière. Ça va vite. Trop vite. Tu le sais. Tu es coincé. Ici. Dans ce même wagon au voisinage trop là.

 Alors que tu prends une respiration, tu rouvres instinctivement les yeux. Et tu les distingues. Tous. Autour. Calmes. Rieurs. Ces voisins tapageurs. Connaissent-ils, eux, la destination de ce trop long voyage pour sembler si sereins ? Toi, tu ne l’as jamais su. Où il pouvait bien aller, ce train. Cherche-t-il à atteindre le sommet d’une montagne ? Se dirige-t-il tout droit au fond d’un ravin ? Y aura-t-il des escales ? Pourras-tu profiter d’une correspondance pour fuir vers l’océan ? Vraiment, tu ne comprends pas. Comment ceux-là peuvent encore garder le sourire sans savoir à quoi pourrait ressembler un hypothétique demain.

 Ceux-là semblent cultiver l’art de vivre depuis la naissance. Comme si une fée penchée sur leur berceau leur avait nonchalamment octroyé ce don. Cette fée qui manque à ta vie. Toi qui n’auras jamais su vivre. Penses-tu. Les anges gardiens, ça n’existe pas. T’es-tu toujours dit. Non, vraisemblablement il n’y a jamais eu personne pour t’aider à emprunter tel ou tel chemin. Personne pour te murmurer à l’oreille ce «c’est bon, tu fais le bon choix ». Personne pour poser une main sur ton épaule. Pour te retenir lorsque le précipice te fait de l’œil. Mais comment font-ils, ces autres ? Qui semblent porter sur leurs épaules un sac de certitudes douillettes ? Comment font-ils ? Pour courir droit devant sans jamais perdre l’équilibre à trop regarder derrière. Ont-ils un coach qui les guiderait au quotidien ?

 Toi, le sac que tu portes sur le dos n’a jamais contenu autre chose que des contradictions, des doutes, des déroutes. Et il pèse lourd. Ton sac à toi. De plus en plus lourd au fil des jours. Toi qui n’auras su lâcher, ici et là, que des pourquoi pas, je sais pas, comme tu veux. Sans la moindre conviction. Sans la moindre envie. Sans la moindre vibrance. Sans jamais oui. Sans jamais non. Sans jamais je suis. Sans même je veux. Et si tu n’avais jamais été que l’ombre de toi-même ? Celui aux contradictions internes plus intenses que n’importe quel débat. Celui aux sourires moins chancelants que ses pas. Celui à la langue qui claque plus que les mots. Trouveras-tu, toi aussi, un jour le coach qui te permettrait enfin d’avancer dans la vie ? Ailleurs qu’en ce chemin que le monde t’impose et dont l’issue t’échappe.

 Coach de vie, qu’il se dit le type qui te fait face, au sourire écarlate. Coach de vie. Si les anges n’existent pas, il faudra se contenter de ça. Aussitôt, ta langue se délie, sous le poids de tes mots retenus depuis un siècle déjà. Comment sait-on que l’on fait le bon choix ? Quel est le sens de cette absurdité qu’est la vie ? Où aller ? Comment ? Pourquoi ? L’amour existe-t-il ? À la fin, est-ce que pointent des points de suspension ? Et si non, à quoi bon ? L’émotion a-t-elle raison de prendre toujours le dessus ? La raison a-t-elle une raison d’être ? Allez, coach, réponds. Allez, coach, réponds. Hagard, le type en face de toi. Ce type qui se prétend coach de vie. Je serai là, ne vous inquiétez pas, qu’elle dit, cette loque qui te fait face. Coach, psy, voyant, ou autres balivernes, tous dans le même panier. Eux-mêmes n’auront jamais atteint le bon chemin pour avoir besoin d’aider l’autre à voir clair en tout ça.

 Coach de vie. Qu’il exhibe ostensiblement, le type qui te fait face. Malgré ses caries, malgré son haleine putride. Je vous aiderai, qu’il dit, à rejoindre le droit chemin. Avec moi vous parviendrez, qu’il dit, à vous sentir bien dans votre tête et dans vos baskets. Entre ces voisins-là. Et déjà il t’effraie, ce type, avec son sourire trop parfait. Avec sa bienveillance trop blanche. Avec son regard trop clairvoyant. Translucide. Et déjà, il t’effraie, ce fantôme qui ne semble même pas exister. Là. En face de ton siège. Au beau milieu de wagon. Dans ce train à la cadence folle. Ce type qui te tend la main. Sa main trop rugueuse. Avec ses ongles beaucoup trop longs. Et crochus, aussi. Ses ongles qui, déjà, perforent tes mains de part et d’autre. Tes yeux. Ta gorge. Ton cœur. Ton foie. Le wagon déjà est rouge.

 Rouge de honte. De honte de toi. D’être toi. Juste, toi. Et pas un autre. Qui aurait plus de charisme. Au pas assuré sur le droit chemin. Rouge est le wagon. Te pointant déjà du doigt. Toi. Ou l’ombre de toi qui subsiste sur le sol. En flaque. En flic, flac, floc. Soudain, tu te redresses. Sur le même siège que tu occupes depuis un siècle. Dans le même wagon que tu peuples depuis une éternité. Chancelant, dans ce wagon qui vibre de toute son âme, tu t’accroches à un siège, une barre, un mouflet. Pour rejoindre la porte de sortie. De toutes tes forces, tu tentes de la faire plier. Depuis une ère déjà. Jusqu’à ce que soudain, la porte plie enfin. Qu’elle s’ouvre. Qu’elle s’offre, béante, à toi. Un sourire, enfin, semble enfin daigner occuper ton visage figé. Un œil à gauche. Un œil à droite. Il n’y aura aucun spectateur pour apprécier cet infâme point final. Tu sautes. Demain n’a jamais été aussi loin, tu sais.

  Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)