Note : 4/5
Le cinéma d’Alain Cavalier est décidément sans pareil. Il fait partie de ces rares cinéastes qui se risquent à dire beaucoup avec peu. Voilà bien ce qui impressionne dans ce Paradis : la simplicité de ses effets et la force de leur mise en récit.
© Pathé Distribution
Le film dérive avec poésie et délicatesse de la Bible à l’Odyssée, en passant par la mort d’un paon, des anecdotes de jeunesse et autres histoires.
Tous ces récits, du plus "noble" au plus "petit", trouvent avec Cavalier un traitement inédit, fort de sa simplicité et de son humour. Le cinéaste rejoue ainsi les grands épisodes du retour d’Ulysse à Ithaque avec… des figurines. Ulysse est un petit robot en ferraille ; Athéna une statue de chouette (évidemment). C’est très drôle – d’autant plus que Cavalier, qui double ses personnages en voix off, ajoute au récit des pointes d’humour – et c’est très beau : on est surpris par la qualité (cadrage, lumière) des plans numériques composés par Cavalier.
Cavalier procède par collage : images d’archives, entretiens, séquences de reconstitution composent son Paradis. Le film ne se veut pas purement formel : Cavalier aborde des thématiques aussi diverses que l’héritage, le rôle de l’éducation, les grands textes fondateurs.
Revenant sur ce qu’il appelle ses « deux mini dépressions de bonheur » dans le texte qui accompagne la sortie du film – et en partage les qualités poétiques –, Cavalier traite avec délicatesse de ces petits moments simples touchés par une grâce désacralisée, l’ostie et le rollmops provoquant la même délectation.
Réflexion sur le temps aussi, Le Paradis est bien une « parade » qui cherche à « deviner dans l’hiver les signes du printemps ». Les animaux, la nature, les hommes et les histoires qu’ils se racontent : autant de raisons de croire que nous vivons encore dans un "paradis". Il suffit d’être « serein » pour ainsi « croire en une certaine beauté de la vie ».
© Pathé Distribution
Le film est presque trop court (soixante-dix minutes) tant « tout est bien ». Ce n’est certainement pas le plus abouti de Cavalier, mais c’est peut-être l’un des plus heureux, tout simplement. Et la forme "amateur" et autobiographique, chère à Cavalier, recèle d’une force jeune qu’il est rare de voir en salles.
L’audace de Cavalier est encore là, lui qui se permet de filmer l’une des scènes de sexe les plus torrides qu’on ait vues depuis longtemps avec un robot en ferraille et une oie en plastique.
Alice Letoulat
Film en salles le 8 octobre 2014.