Michel henry, Philosophe français, 1922-2002
"Ne vivons-nous pas dans un perpétuel présent ? Sommes-nous jamais sortis de celui-ci?
Comment le faire si nous sommes des vivants, invinciblement joints à eux-mêmes dans la Vie qui ne cesse de se joindre à soi - de s'éprouver soi-même dans la jouissance de son vivre, dans la chair indéchirable de son Affectivité originaire, tissant inexorablement la trame sans faille d'un éternel présent? L'éternel présent vivant de la Vie, la Demeure qu'elle s'est assignée à elle-même-, c'est donc la nôtre, celle de toutes les vivants. C'est la raison pour laquelle il y a tant de place dans cette Demeure.
Que nous demeurions toujours en l'éternel présent de la Vie, que ce soit là la condition de tout vivant concevable et de tout fragment de vie, la chair de la moindre nos impressions, ce qui fait en elle son maintenant et sa réalité, c'est ce qu'on peut aussi bien reconnaître à ceci: nous ne nous tenons et nous ne tiendrons jamais dans aucun avenir - "l'avenir", disait Jean Nabert, "est toujours futur", dans aucun passé non plus, pas même le plus immédiat, parce que l'écart de l'irréalité y a d'ores et déjà rendu impossible toute vie".
Incarnation , Michel Henry
Plotin, Philosophe égyptien, 3ème siècle ap. J.C.
« L'Etre éternel ou l'être qui est toujours, c'est celui qui n'a absolument aucune tendance à changer de nature, celui qui possède en entier sa propre vie, sans y rien ajouter ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l'avenir. Un tel être possède la perpétuité. La perpétuité c'est donc une manière d'être du sujet, manière d'être qui vient de lui et qui est en lui. L'éternité c'est le sujet lui-même, pris avec cette manière d'être qui se manifeste en lui. C'est pourquoi l'éternité est chose auguste; elle est identique à Dieu, la réflexion nous le dit; et il convient de dire qu'elle est Dieu lui-même se montrant et se manifestant tel qu'il est; elle est encore l'Etre, en tant qu'immuable, identique à lui-même, et ainsi, doué d'une vie constante. Et si nous disons que cet être est pourtant fait de plusieurs, il ne faut pas s'en étonner; chaque être intelligible est multiple, parce qu'il a une puissance infinie; infinie dis-je, parce que rien ne lui manque; et il est par excellence l'être à qui rien ne manque, parce qu'il ne perd rien de lui-même. On peut donc dire que l'Eternité est la Vie infinie; ce qui veut dire qu'elle est une vie totale et qu'elle ne perd rien d'elle-même, puisqu'elle n'a ni passé ni avenir, sans quoi elle ne serait pas totale. Nous voilà ainsi bien près d'une définition de l'éternité. Et ce qui suit notre définition: "il est une vie totale qui ne perd rien", explique le mot infini. Cette nature éternelle, qui est si belle, est auprès de l'Un; elle vient de lui et va vers lui; elle ne s'en va pas loin de lui; mais elle reste toujours près de lui et en lui; elle conforme sa vie à l'Un. C'est, je crois, ce qui a été exprimé par Platon en de si beaux termes et avec une telle profondeur de pensée."L'éternité reste dans l'Un".Se ramener à l'Un pour l'Eternité, c'est non seulement se ramener à elle-même, mais encore maintenir la vie de l'Etre auprès de l'Un. Voilà ce que nous cherchons; ce qui reste ainsi auprès de l'Un possède l'Eternité".
Les Ennéades III, 7, Belles-Lettres, p. 132-133.
Jean Klein, enseignant français, 20e
Question : D'après vous, lorsque nous vivons affranchis de la relation sujet/objet, nous sommes dans l'intemporel. Pourtant, nos corps vont et viennent, le soleil se lève et se couche, ne sommes-nous pas, en fin de compte, limités par le temps ?
Etes-vous clair sur ce que vous entendez par le temps ? Il est vrai que l'homme est toujours en train d'en créer. Le temps psychologique est une pensée basée sur la mémoire qui en soi est le passé et nous le revivons continuellement à travers elle. Ce que nous appelons le futur est seulement un passé modifié ; le temps psychologique n'est jamais dans l'« ici et maintenant », il se comporte comme un pendule qui oscille entre le présent et le passé, dans une succession rapide. Il existe uniquement sur le plan horizontal de l'avoir et du devenir, du plaisir et du déplaisir, de la possession et du refus, de la sécurité et de l'insécurité. C'est une source de malheur et de conflits. Le comprendre conduit à une méditation sur la juste appréciation des choses.
Le temps chronologique, astronomique est également basé sur la mémoire, mais c'est une mémoire fonctionnelle, libre des interventions de l'ego, libre de volonté. C'est un temps présent, les événements s'y suivent dans une succession cohérente, sans prétendu futur ; aucun conflit ne s'y manifeste. La vie est le présent, mais quand nous pensons, nous la voyons sous forme de passé et de futur. Vivre dans le présent implique un esprit libre de toute visée et de toute récapitulation, libre de possessivité et de désir. Le présent est sans pensées, celles-ci sont fondues dans le tout. La vie dans l'instant contient tout le possible à venir. Quelle place resterait-il pour le temps ? Pour résumer, nous pouvons dire : le temps est une pensée et la pensée apparaît dans le temps : beauté et joie ne se révèlent que dans le présent.
Jean Klein, L'Insondable Silence, p.66-67.