Pierre-Yves LINOT
En plein week-end de PAQUES, il paraissait naturel de parler de Chocolat. Grâce à l'expérience de Pierre-Yves, nous pouvons profiter des coulisses de la fabrications des moules et de l'injection et rotomoulage pour calibrer industriellement des "pièces en chocolat".
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Produit de grande consommation, le chocolat fait l'objet de nombreuses recherches afin d'améliorer sa qualité et donc son procédé de fabrication. Il peut être produit artisanalement ou industriellement mais dans tous les cas, l'étape de solidification est déterminante. Jusque là, seuls les tunnels de refroidissement étaient utilisés mais ils présentent un encombrement important et un coût énergétique élevé.C'est au sein du CROMeP, centre de recherche en matériaux de l'Ecole des Mines d'Albi et en partenariat avec le chocolatier de renom BELIN™, qu'a vue le jour cet étrange projet. Tout commença avec le dépôt d'un brevet visant à réduire les cycles de régulation thermique nécessaire pour obtenir un chocolat correct : il s'agit de l'opération de tempérage.
Ce brevet se basant sur le principe d'auto-ensemencement permet donc pour l'industrie chocolatière de réduire les coûts mais il reste à vérifier si les caractéristiques mécaniques restent les mêmes.
Sans rentré plus en avant dans le détail du procédé, on peut noter que le chocolat est usuellement moulé par simple gravité et centrifugé afin d'obtenir des sujet creux et d'épaisseur constante. Cependant il existe de multiples moyens de mise en forme de cette matière ô combien délicieuse.
Or les caractéristiques mécaniques du chocolat sont très peu connues et sont liées à l'opération de refroidissement. Aussi nous nous sommes employés à créer des éprouvettes permettant de caractériser son comportement en fatigue, traction et compression en reproduisant le procédé de tempérage. Dès lors pour la production d'éprouvette axisymétrique, nous avons employé des outils de la plasturgie à savoir l'injection.
La conception du moule en CAO effectué, nous avons exploité le logiciel Moldflow™ pour simuler l'écoulement du chocolat fondu pour validé le positionnement des évents et la répartition de la matière. D'où la nécessité de définir le comportement rhéologique du chocolat.
Les études réalisées sur le chocolat ont déterminé essentiellement la viscosité du chocolat, la dureté et la résistance à la chaleur. D'après ces études, le chocolat a le même comportement que les fluides pseudoplastiques (par exemple les polymères !!).
La viscosité peut être modifiée par plusieurs paramètres comme la température, la taille des particules présentes dans le chocolat ou le pourcentage de graisse. Plus la taille des particules présentes dans le chocolat augmente, plus la viscosité diminue pour devenir stable à partir d'une taille de particule de 15μm environ. Plus on ajoute de graisse dans le chocolat, plus sa viscosité diminue pour devenir proche de 5 Pa.s à partir d'un pourcentage de graisse d'environ 35%. Enfin, plus la température du chocolat est élevée, moins ce dernier est visqueux.
Donc les grosses particules, la présence de graisse et une haute température aident à avoir un écoulement plus facile du chocolat. Mais les propriétés physiques du chocolat dépendent aussi du degré de mixage des ingrédients lors de sa fabrication, de l'ordre d'addition des ingrédients lors du conchage et du contrôle de mixage de ces éléments.
Disposant donc de cette loi rhéologique et des caractéristiques usuelles (thermique, retrait, ...), on peut exploiter les pleines capacités du code de calcul Moldflow™ pour simuler l'opération de moulage.
L'autre intérêt de cet outil a été de simuler l'écoulement au sein du système de régulation thermique très complexe et de coupler l'aspect thermique. Complexe en effet car pour obtenir des éprouvettes ayant cristallisés de manière homogène, nous avons crée un réseau serpentant autour de chaque éprouvette. Les plasturgistes conviendront que ce type de système n'est pas appliqué aux moules d'injection classiques qui se limitent souvent à des réseaux croisés usinés dans la masse.
Et l'usinage de ce moule thermorégulé et instrumenté en aluminium est alors le parfait cas d'application de l'usinage par stratoconception. Ce procédé breveté est utilisé pour le prototypage rapide et trouve aujourd'hui de multiples applications pour l'injection faible pression ou bien l'injection de mousses.
Disposant enfin d'éprouvettes pour la caractérisation mécanique, une difficulté subsistait : comment mesurer précisément la déformation d'une éprouvette axisymétrique alors que le chocolat ne permet pas l'emploi d'extensomètre ou bien de jauge de déformation ?
Nous avons utilisé une méthode de mesure sans contact désormais rentrée dans les mœurs : la stéréovision (également issue des recherches du CROMeP). La stéréovision est basée sur le principe que l'information de profondeur peut être obtenue par triangulation à partir de deux images ayant une partie commune dans leur champ de vue. Concrètement un dispositif de deux caméras fixes et d'un code de calcul permet par stéréocorrélation de mesurer la déformation ; il suffit alors d'appliquer un simple mouchetis sur les éprouvettes à tester.
En conclusion, cette expérience démontre encore une fois que le domaine des matériaux est véritablement sans limite tant par l'utilisation détournée d'outils comme Moldflow™ que dans les domaines d'applications où les analogies intersectorielles permettent de faire avancer la recherche.
Remerciements à l'équipe projet du CROMeP : J. HENRY, J. MOYART, R. LORDONNOIS, F. REZAI-ARIA