d'après COMMENT ON CAUSE de Maupassant
Il est d’usage
D’aller dans les salons,
D’y montrer son visage
Et d’y faire la conversation.
On y voit des femmes
Qui causent avec d’autres femmes
Et des hommes présentant bien,
Qui saluent, baisent les mains…
Ils n’ont aucun sujet à discuter
Mais émettent ce qu’ils croient être une idée.
Cette idée, ils l’ont d’ailleurs
Déjà émise dans le salon précédent
Et ils l’émettront dans le salon suivant.
Puis, ils recommenceront ailleurs
Leur exhibition polie
Et répéteront les mêmes niaiseries.
Les gens du monde sont remarquables
Surtout par leur ignorance totale.
Dans le monde, on parle de tout,
De tout !
Des hommes qui n’ont jamais
Appris que l’alphabet,
Impressionnent le Gotha.
Des femmes traitent, sans aucune réflexion,
Des plus hautes questions
Et donnent leur avis, sans embarras,
Sur les sujets les plus importants.
Que ces gens sont amusants !
Il y a toujours un fait
Que tout le monde connait.
Alors se forment deux camps
Car il faut des avis différents.
Chaque parti ayant préparé
Ses arguments, la bataille peut s’engager.
Les évènements politiques,
Les pièces de théâtre, les nouveaux romans,
Les découvertes scientifiques,
Et les actions scandaleuses,
Sont les meilleurs aliments
De ces causeries douteuses.
Ce qu’on entend dire sur la politique
Et les aventures d’amour platoniques
Ou non, sont des sujets à la portée
De toutes les intelligences bornées.
Ce qui se dit dans les salons
Devrait faire hurler d’indignation
Si le savoir-vivre n’imposait
Le devoir d’écouter en souriant
Et de répondre poliment.
Cinq heures. Lampes allumées.
On cause autour de cinq tasses de thé.
Sont en présence Mmes A. et B.,
MM C., D., et É.
Voici ce qu’ils disaient :
Mme A :
–« Ce que je n’admets pas
C’est la présence de ce vieux serviteur
Chez le marquis Philippe d’Anglas.
M. C. :
-« Quel vieux serviteur ? »
Mme A :
-« Vous ne l’avez pas remarqué, vous ?
Et les hommes se prétendent observateurs !
Tenez ! Apprenez que le baron Daunou
Reçoit Mme Morand
Dans son appartement
Tenu par un domestique mâle !
Jamais une femme
Ne devrait y consentir. Jamais !
Songez à tous les intimes détails…Songez !
C’est un manque de délicatesse inadmissible !
M. D :
-« Une bonne serait tout aussi pénible. »
Mme B :
-« Oh ! Que non pas ! »
M. C :
-« D’après vous, une femme
Peut se montrer nue devant une autre femme ?
Ça ne vous embarrasse pas ? »
Mme A :
- « Vous êtes un impoli !
Vous n’entendez rien à ces choses-là.
C’est tout simple, pourtant.
Ma chère, vous êtes de mon avis,
N’est-ce pas ? »
Mme B :
-« Oh ! Oui. Absolument. »
M. C. :
-« Moi, madame,
Je me fierais plus à la discrétion
D’un homme qu’à celle d’une femme.
Mme A :
-« Il ne s’agit pas de discrétion… »
M. É.
-« Ce qui m’étonne le plus,
C’est que le mari n’ait rien soupçonné. »
M. C :
-« Nous sommes ici trois hommes mariés
Qui ne nous doutons de rien non plus ! »
M. D :
-« Ah ! Ah ! Permettez,
Je prétends que je ne suis pas trompé. »
M. C :
-« Je suis également convaincu
Que je ne suis pas cocu.
J’ignore cependant
Ce que fait ma femme en ce moment.
Il en est de même pour les vôtres, D. et É….
N’est-ce pas vrai ? »
M. É. :
-« la mienne est chez sa couturière. »
M. D. :
-« La mienne est chez le notaire. »
M.C. :
-« Vous le croyez ! Mais imaginez-vous
Qu’elles vous préviendraient
Si elles avaient un galant rendez-vous ?
Et si, à l’heure du diner, vous leur demandiez :
’’ Ma chérie,
Où avez-vous été aujourd’hui ? ’’
Vous savez qu’elles n’auraient pas répondu :
’’ J’ai passé l’après-midi à vous rendre cocu ? ’’
Elles vous diront avec sérénité :
’’ Je suis restée
Trois heures chez ma couturière…
Ou deux heures chez le notaire.’’
Et elles vous donnent des détails circonstanciés !
Elles sont d’ailleurs très gaies
Et vous les trouvez
Plus charmantes que jamais… »
M. D. :
-« Le paradoxe est amusant.
Mais prenez le cas de Mme de Ganay,
Qui est fréquent.
Elle a vu un homme qui lui plaisait
Et comme rien n’est plus compromettant
Que ce qui précède le chavirement,
Elle a brusqué l’événement. »
M. É. :
-« Oh ! Moi, je connais parfaitement
Ceux qui tournent autour de ma fiancée.
Si elle osait
Me tromper,
Je tuerais son amant sans hésiter. »
Mme A. :
-« Vous dites ça car vous êtes assurée
De sa fidélité.
Tenez, j’en ai connu un qui rentrait chez lui
Juste au moment où…, entendant un bruit,
Il s’est élancé
Vers le placard situé
En face de son lit.
Il était vide. Il crie :
’’ Rien dans celui-ci-ci ! ’’.
Il passe au suivant. Il est vide aussi.
Il s’exaspère,
Vocifère,
Se précipite dans le salon,
Ouvre l’armoire située près de la cheminée,
Et là, voyant un capitaine de dragons.
Il la referme à double tour de clef
Et déclare d’une voix apaisée :
’’ Rien nulle part. Je m’étais trompé ! ’’
Mme A. :
-« Vous êtes féroce en commérages.
Si un homme est sûr qu’Elle n’est pas sage.
Il pense sincèrement
Qu’il tuera l’amant sans hésiter
Mais le jour où il découvre la vérité,
Il demeure atterré…hésitant…
Moi, je n’ai jamais trompé mon mari
Et pourtant Dieu sait
S’il est laid ! »
Mme B. :
-« Alors…comment faites-vous, chère amie ? »
Mme A :
-« Mon Dieu !
Quand il veut m’embrasser,
Je ferme les yeux
Et à quelque autre, je me mets à penser. »