Avec la sortie de Gone Girl, c’est l’occasion de revenir sur l’un des films de David Fincher et le choix est difficile étant donné son parcours sans fautes. Et dans une carrière remplie de films qui mettent à mal leurs personnages et la société, le plus classique et romantique mais aussi l’un des plus audacieux est sans aucun doute l’Étrange Histoire de Benjamin Button.
Après les démonstrations insolentes de Fight Club ou Panic Room, le surdoué David Fincher avait bluffé tout le monde avec Zodiac. En apparence plus posé, il montrait qu’il pouvait géré un récit qui prend son temps avec une maîtrisede l’image qui prenait un autre sens. Comme si il s’était calmé. Son projet suivant faisait fantasmer le tout Hollywood depuis des années, une adaptation d’une nouvelle de F Scott Fitzgerald (Gatsby le Magnifique) dans laquelle un homme naissait vieux puis rajeunissait. Le réalisateur a donc attendu que les progrès des effets spéciaux soient suffisamment crédibles pour nous emporter dans l’histoire.Si le projet a également mit du temps à se concrétiser, c’est parce qu’en plus de la valse des réalisateurs (Ron Howard, Spike Jonze entre autres) qu’il a connu, le couple star a de nombreuses fois changé avant de que Cate Blanchett et Brad Pitt (qui entame alors sa 3e collaboration avec le réalisateur) ne soient réunis, après leur rendez-vous manqué sur the Fountain de Darren Aronofsky. Avec ces deux grands acteurs, Fincher adapte donc la nouvelle en la situant juste après la première guerre mondiale. Ainsi notre héros va traverser toutes les grandes étapes du XXe siècle, de son enfance en maison de retraite pendant la grande dépression, son engagement sur le front de la seconde guerre, et sa jeunesse pendant les 30 glorieuses.
Après avoir fait durer une enquête sur plusieurs années dans Zodiac, David Fincher réalise donc à nouveau un récit sur le temps qui passe. Une notion qui débute dès le commencement du film avec cette touchante histoire sur une horloge qui fonctionne à l’envers, établissant ainsi le principe de tout ce qui va suivre. Le film est alors une grande fresque infiniment intimiste, se faisant autant le témoin de différentes époques que le portrait d’un homme qui voit le temps qui passe et l’amène inévitablement vers la mort qui n’a jamais été aussi proche de la naissance, et inversement. A de multiples instants, il nous rappelle à cette notion de temps qui passe et aux possibilités qui en découlent, à l’instar de la mise en scène du dramatique accident de Daisy.
Le film prend ainsi son temps et peut parfois laisser apparaître certaines longueurs, mais avec sa photo magnifique et la partition toute en douceur d’Alexandre Desplat, Fincher installe une véritable atmosphère invitant à une plongée dans des souvenirs qui font de Benjamin Button le film le plus « classique» du réalisateur. Et pourtant, dans sa narration et dans sa réalisation, avec l’appui d’effets visuels étonnants qui permettent de retrouver un Brad Pitt vieillissant ou au contraire dans ses jeunes années, Fincher s’inscrit dans une certaine modernité qui confère à son œuvre un statut complètement intemporel au sens noble dont le seul défaut pourrait être son côté « intouchable» .
Mais Benjamin Button est aussi sans conteste le film le plus gracieux et romantique de David Fincher. Ici, il met une histoire d’amour aux débuts impossible entre Benjamin et Daisy qui vont devoir attendre le milieu de leur vie afin de pouvoir vivre pleinement le romance. Brad Pitt et Cate Blanchett y sont sublimes, subtils et touchants, avec une véritable alchimie qui nous emporte dans notre envie de les voir vivre ensemble malgré cette condition impossible, jusqu’aux derniers instants poignants.
Prenant tout le monde à revers avec cette Étrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher montrait bien qu’il était capable d’autre chose que des films malins et poseurs, du grand cinéma romanesque et intimiste qui sera pourtant boudés par les Oscars qui vont lui préféré le Slumdog Millionaire de Danny Boyle, ne laissant alors à Fincher que des récompenses techniques méritées pour les progrès réalisés sur les effets visuels et maquillages toujours au service de l’histoire. Avec plus de 2.5 millions d’entrées en France et plus de 300 millions de dollars récoltés dans le monde, le film sera tout de même la plus grande réussite financière de Fincher, au même niveau que Se7en. Et pourtant, le cinéaste s’engage déjà dans un nouveau projet risqué et moderne : the Social Network.